Je suis assis dans mon fauteuil de directeur et n'arrive pas à comprendre. Cela me paraît impossible. Comment ne peut-on pas se souvenir d'une si grande partie de sa vie. 26 ans de néant.

J'essaye de revenir en arrière. La gestion de la fortune d'Hégémonia Corp ©®. La prospérité de mon entreprise. La récente entrée dans la coalition Avalon suite à une discutions des plus passionnées avec le commandant Merlin. L'entrée dans la coalition la fondation suite à un discours très convaincant du commandant Sorcier. Les débuts d'Hégémonia Corp ©®. Mon arrivée au pouvoir.

Des fois, je suis même étonné de la facilité avec laquelle je gère cette entreprise galactique. Comme si cela était inné chez moi. Logique.

D'aussi loin que je peux voir dans ma mémoire, pas de parents, pas d'amis, pas d'enseignement. Rien.

La première chose dont je me souviens, c'est mon réveil à bord du vaisseau diplomatique officiel d'Hégémonia Corp ©®. Devant moi, une lettre non signée.

Une si petite lettre pour un message si important. J'étais désormais le chef suprême. Au fond de moi, cela me paraissait normal, logique. Mais aucun souvenir antérieur ne vient me conforter et m'aider dans la recherche de mon passé. Je ne me souviens pas.

Qui a écrit cette lettre, qui dirigeait la compagnie avant lui, qui est cet Ombre ?

Aucune réponse, pas même une intuition. Même après des mois de réflexion, rien ! Cela me perturbe, me distrait. Des fois je suis ailleurs, en train d'essayer de me remémorer quelques instants, même une image, rien. Pourtant, j'ai tout essayé. Hypnotismes, psychologie, imagerie cérébrale mémorielle, rien. Le verdict est clair : je ne possède pas de mémoire antérieure à ce moment où je me suis réveillé.

De plus toutes les archives informatiques ont été détruites par l'ouragan magnétique. Il ne reste rien de l'ancienne Hégémonia Corp ©®. J'ai fait fouiller le vaisseau dans lequel je me trouvais à mon réveil. Pas un indice, pas un !

Je suis Alaahr, je suis...

15 jours après mon réveil, je décide de démanteler le vaisseau dans lequel je me suis réveillé. Le démonter, entièrement. Examiner chaque pièces, chaque objet même le plus insignifiant. Et puis lorsque tout espoir semblait vainc. Il trouvèrent. Entre la couche de céramique et la couche d'acier du nez du vaisseau, un livre. Le Livre.

Étonnement beau. Il ne reflète pas la lumière. On a l'impression d'être plongé dans le vide intersidéral quand on le regarde de trop prêt. Il y a comme des reflets à la surface. Le simple fait de se concentrer dessus pour essayer de distinguer des formes ou un message, ou même un titre donnent des migraines. Pages noires et écriture blanche manuscrite. Pas de signature. Environ 2000 pages. A l'intérieur, une langue inconnue, traduite à la hâte par les scientifiques d'Hégémonia Corp ©®. Il en ressort des phrases sans aucun sens. Des réflexions hasardeuses et improbables. Pas une phrase n'est liée avec la suivante. Lire les 10 première pages fut déjà un travail de plusieurs semaines rien que pour arriver à trouver un fil dans la pensée de l'écrivain. Ce livre est un non-sens, une énigme que même les ordinateurs les plus évolués d'Hégémonia Corp ©® n'ont pu résoudre.

Je regarde le Livre posé devant moi. Rien que la première page me donne des sueurs. Seule la mention régulière de la personne nommée Ombre me motive à continuer. Cette lettre peut tout expliquer. La traduction du Livre est imparfaite, certaines phrases et mots restent un mystère.

Je regarde la page. L'auteur devait être un fou. On dirait les aventures d'une personne complètement désorientée, une hallucination continuelle parsemée de coupures illogiques. On dirait un cauchemar.

Je suis Alaahr, je suis...

Je prends mon verre d'astrovodka et le bois d'une traite. L'évidence vient soudain à moi. Un cauchemar ! C'est exactement ça. Ce récit raconte les rêves et cauchemars d'une personne ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plutôt. Cela explique beaucoup de choses. Je comprends mieux à présent le déroulement chaotique du récit. D'après les scientifiques et les linguistes, une seule explication est possible. Le Livre est la retranscription automatique des rêves de l'écrivain. C'est le seul moyen d'expliquer la nature des propos que le Livre contient.

Depuis cette découverte, je décide de traduire le livre moi même. J'ai récupéré les données de l'IA chargée de l'étude du Livre et m'y atèle moi même quand j'ai fini mon travail. Ce Livre me donne l'impression d'une porte ouverte vers mon passé. Le seul indice de ma vie avant le grand renouveau. Car j'en suis certain, je suis resté cryogénisé pendant plus de 2 siècles, j'étais vivant avant l'apocalypse. Cette quête, moi seul dois la mener. Au bout de quelques jours, cette sensation devient conviction. Et malgré les requêtes des chercheurs, désormais je serai le seul à avoir accès au Livre. Je décide d'ailleurs de virer les scientifiques les plus curieux, histoire de montrer l'exemple. Je suis le Chef Suprême, personne ne contredit mes ordres. Personne travaillant pour l'Hégémonia Corp ©® n'en a le droit.

Le Livre tient ses promesses. Après une centaine de pages lues et traduites, les premières descriptions logiques apparaissent.

Je finis de noter ses récentes découvertes dans mon nouvel ouvrage que j'ai nommé « Les Chroniques Hégémoniennes ». Je relève la tête de mon bureau, finis mon verre d'astrovodka, m'étire. C'en est tout pour aujourd'hui. Je jette un œil au derniers comptes rendus, rien de spécial. Tout se passe comme prévu.

Puis l'hologramme de l'IA chargée de la co-gestion des affaire d'Hégémonia Corp ©® fait son apparition.

Je suis Alaahr, je suis...

Entre alors un vieil homme, ses cernes sont des cratères. Il n'a pas du dormir depuis un moment. Pourtant, il arbore un sourire dénotant une très grande satisfaction.

J'attends que le chercheur soit parti puis commence à examiner la découverte. 6 mots. Dénués de sens. Je les regarde attentivement. Rien de logique la dedans. Puis comme si je pensais à voie haute, je les prononce.

Puis soudain tout bascule. La pièce se déforme. Les objets sur le bureau disparaissent. Ma vu se trouble. Je deviens aveugle. Je me vois en train de parcourir Tau Ceti Central. Je vois les paysages passer. Puis une ville. Les banlieues, le centre puis le quartiers des affaires. Un immeuble. Une tour gigantesque. Je monte et vois l'intérieur de la tour. J'entre à l'intérieur. Marche vers le centre. Puis descends les centaines d'étages. Les sous sols, les parkings. Puis en dessous. Les égouts et bouches de métro. Puis encore en dessous. Un salle. La salle.

Puis je prends conscience. Je comprends. Ma mémoire revient peu à peu. Enfin tout à un sens. Mais c'est impossible. J'aurai du le savoir plus tôt.

Je suis Alaahr, je suis...