Malgré les avertissements répétés de plusieurs de mes amis, la première chose qui me frappa en arrivant sur Exima fut la nuit perpétuelle. Je savais que le soleil moribond de la planète ne parvenait plus depuis maintenant cinq ans à traverser les diverses couches de polluants industriels, legs de deux cents ans d'exploitation intensive des ressources minérales. J'avais appris, me délectant de l'anecdote comme tous ceux qui n'avaient pas à l"affronter chaque jour, que l'opacité de l'atmosphère était due en particulier à un composant précis qui, par des effets photochimiques complexes, assombrissait le ciel de jour en jour. Exima ne reverrait jamais de lumière autre que celle, diffuse et pitoyable, des ampoules archaïques disposées dans les rues et près des bâtiments importants. Le crépuscule était définitif.

Et en dépit de ce savoir finalement bien académique, je restai sans voix lorsque le sas du vaisseau de transport coulissa, révélant les silhouettes sans fin des bâtiments résidentiels, blocs marrons tous identiques qui constituaient l'unique subsitut d'horizon lorsque l'on portait son regard vers le lointain. Hébété, je sentis les autres passagers me pousser et je manquai tomber de l'escalier. Me reprenant, je gagnai la galerie hermétique qui menait au terminal du spatioport, pressé de ne plus avoir sous les yeux ce spectacle malsain. Après une telle vision, l'acidité et la puanteur de l'air tout comme la crasse qui imprégnait les lieux me paraissaient secondaires. Je n'avais pas encore réalisé que désormais, j'allais vivre ici. Le spatioport était bondé; la foule semblait former une entité unique et indivisible tant les gens se ressemblaient avec leur teint blafard, leurs vêtements sales et leur agitation - ça grouillait de partout.

Immobiles mais non moins impersonnels au milieu de ce chaos, deux hommes attiraient l'attention par la propreté de leurs costumes. Ils étaient des agents du gouvernement et je me dirigeai vers eux en serrant contre moi la mallette renfermant les rares effets personnels que j'avais été autorisé à emporter, lors de la réception de ma lettre de convocation. Sans un mot, l'un des deux hommes vérifia mon identité, passant rapidement un scanner sur mon tatouage pariétal, là où mes cheveux faisaient place aux lignes et aux hachures de l'encre d'identification isotopique. L'autre homme saisit ma mallette, sans me laisser le choix, et je les suivis vers une voiture garée à l'extérieur, remarquant non sans un certain désespoir que l'obscurité était encore plus profonde entre les buildings. C'est comme cela, parvenant à peine à respirer, sous un ciel qui se confondait avec le polyasphalte de l'avenue rectiligne, que je partis à la rencontre du maître de cet empire nocturne.

On m'introduisit dans l'antichambre du bureau, puis mon guide me laissa seul. Seul dans la pièce exigüe aux murs couverts d'un papier peint beige miteux, totalement incongru dans ce qui était censé être la salle d'attente de l'homme le plus puissant du groupe de planètes aux alentours. Je restai debout, puisqu'il n'y avait pas de siège, me demandant, pas vraiment rassuré, ce que tout cela signifiait. L'air était tout aussi étouffant qu'ailleurs et je desserrai mon col, plein d'espoir à l'idée de respirer plus librement. J'allais vite comprendre que respirer librement n'était qu'en tête de la liste des choses impossibles à faire sur Exima. Mais, pour l'heure, j'étais encore dans l'incertitude et la confusion provoquées par ma convocation soudaine. A ma connaissance, il n'était jamais arrivé que quelqu'un de mon âge soit appelé au service du chef du gouvernement. Bien que fraîchement sorti de l'unité de formation administrative de Capiton IX, ma planète natale, je n'avais aucune qualité particulière qui ait pu justifier cet appel. N'empêche que j'attendais avec une angoisse grandissante une quelconque évolution de ma situation.

Ce qui arriva une poignée de secondes plus tard, lorsqu'un pan de mur coulissa pour révéler un couloir dans lequel je m'engageai d'un pas mal assuré. L'absence de décoration, et encore plus de luxe, était en tous points identique à celle de l'antichambre. Je m'avançai et une voix parvint à mes oreilles, provenant de l'autre extrêmité.

-... et c'est pourquoi j'ai entrepris, sans vous consulter, de déclencher l'éradication de tous les porteurs de cette mutation. Nous l'avons décelée un peu tard, mais elle n'était pas encore répandue dans la population et...

La seconde voix était douce, elle sonnait comme chargée de compassion même si je n'avais aucunement sous les yeux l'énonciateur de ce mot -et malgré ce mot.

-Mais pourtant je...

Silence.

-Nous n'avons cherché à éliminer que ceux-là, Monsieur!

L'autre semblait commencer à paniquer. Je n'avais plus guère de doutes sur l'identité de l'homme à la voix compatissante. Je m'immobilisai.

-Les homozygotes sont sujets à plusieurs formes d'allergies! Ils sont un fardeau!

-Mais ces projections sont valables à des échelles de temps de l'ordre de la génération! Nous parlons en trentaine d'années, Monsieur!

Mon angoisse augmenta, je sentis une sueur glacée couler le long de mon épine dorsale et derrière mes oreilles.