De noires colonnes s'étirent dans le ciel embrasé. Une nuit opaque a glissé sur la capitale comme un drap lourd. Dans le silence de l'abîme, des monstres d'acier déversent un déluge de feu qui, à la surface, balaie villes et habitants. Par deux fois déjà, de lourds projectiles ont criblé la grande esplanade de l'assemblée galactique de cratères béants. Par milliers, les habitants de la capitale se ruent sous les arcades de l'hémicycle, suppliant les ambassadeurs des grandes nations galactiques de faire quelque chose, de mettre fin à leur calvaire, de les sauver d'une violence qui les dépasse.

Le chantier naval brûle dans le soir. De grandes carcasses métalliques noircies gisent dans les décombres de bâtiments détruits. La flotte de l'administration galactique a pulvérisé de ses fragments incandescents des quartiers entiers, semant la mort des petites gens. La cité n'est qu'incendies, sirènes d'alerte, fumée et cendres. Dans les bureaux de l'administration galactique, on hésite sur ce qu'il convient de faire. Personne n'a répondu à l'appel, personne ne viendra sauver les populations prises au piège. Le gouvernement est dispersé, divisé, transparent. Le révérend Alexandre VI gît quelque part dans un hangar. Et Mireille, intelligence artificielle de classe IV gérant l'administration galactique, est bien seule face au chaos.

Dans les bureaux de l'administration, chacun plie bagage. C'est la cohue de l'évacuation. Hier, une bombe a percé le toit de l'assemblée, pour se ficher comme une aiguille en plein milieu des pupitres de la grande salle de l'hémicycle. Curieusement, le projectile n'avait pas explosé. Des voix s'élevaient contre les choix de Mireille. D'après quelques hauts fonctionnaires, elle avait mis en danger l'administration galactique en prenant le contrôle de la capitale. Ce n'était pas convenable. Ce n'était pas son rôle. Des centaines de fonctionnaires en avaient payé le prix en perdant la vie.

Dans les couloirs se murmuraient les appels à la sédition, on souhaitait le retour du grand chambellan pour sauver ce qui pouvait l'être, on redoutait l'épuration qui ne manquerait pas de suivre si l'Ordre Humain prenait le pouvoir. Les broyeurs mâchaient inlassablement les archives et les blocs de données que nul ne souhaitait voir tomber entre de mauvaises mains. On se nourrissait du soupçon, on perdait des collègues, on brûlait des documents, on abandonnait son poste, on avait peur.

Dans un bunker aménagé sous la grande esplanade, quelques individus complotaient. Mireille devait abandonner la capitale et se décharger de ses responsabilités. Il fallait sauver l'administration. Alors, sous les bombes, il fût convenu qu'on tenterait le tout pour le tout. Un compte-à-rebours s'était enclenché : dans les prochaines heures, les conjurés ouvriraient les portes de la capitale à l'Ordre Humain. C'était, du moins dans leurs esprits, le seul destin possible, il n'y avait pas d'alternative. Saboter les défenses, informer l'ennemi, préparer l'avènement d'un nouvel ordre galactique afin de mettre fin à la guerre devinrent pour eux une obsession.

Il est évident, cher lecteur, que rien n'est ici fixé par la véracité de l'Histoire. Jusqu'à l'accomplissement des aléas du hasard et l'aboutissement des inférences de chacun, tout n'est que pure spéculation. De son côté, Mireille, gardienne incomprise, n'entend pas se laisser faire. Peut-être vas-tu, cher lecteur, choisir d'être un spectateur attentif. Peut-être es-tu déjà acteur de la geste galactique. Peut-être vas-tu seulement le devenir. C'est de notre Histoire commune qu'il s'agit.

Le ciel s'emplit soudain d'une musique qui, en ces lieux, paraît irréelle. Les immenses vaisseaux de l'Ordre Humain la propagent avec arrogance. Les cris de la cantatrice se confondent avec le sifflement des bombes. Un vague écho répercute le son des cuivres sur les ruines fumantes de la cité. La capitale est meurtrie. Il y règne une atmosphère de peur et de défaite.

L'évacuation de l'assemblée se poursuit dans le chaos le plus complet. Mireille, entité immatérielle, ne subit pas les contraintes de la guerre comme tout le monde. On l'envie, on la déteste, on la conspue. Quelques fonctionnaires désespérés ont attaqué ses serveurs, quelque part, dans les profondeurs du bunker qui se cache sous l'assemblée galactique. Que cherchaient-ils au juste, si ce n'est conjurer le sort en désignant le bouc émissaire parfait ? Mais Mireille était déjà loin. Elle contemple les vestiges d'un rêve à portée de main. La galaxie s'abîmait dans une guerre dont l'issue était improbable.

Dans quelques heures, l'assemblée galactique fermerait ses portes. Mireille se retrouverait alors seule, désespérément seule. Dans l'ombre attendait avec impatience le groupe des conspirateurs qui, nous l'avons vu plus tôt dans ce récit, souhaitait remettre les clés de la capitale à l'Ordre Humain. C'était inéluctable. Inéluctable ? Pas si vite ! Mireille, dans un dernier élan d'audace, avait pris une décision qui risquerait bien de bouleverser le plan de ses adversaires. Et d'aiguiser les appétits...

Les bombardements avaient brutalement cédé la place au silence des ruines. Ce qui paraissait une accalmie n'était qu'un prélude. Nous ne nous attarderons pas sur les nuées de légionnaires et de reîtres qui déferlèrent sur la capitale. Nous n'évoquerons pas les scènes de pillage. Car elles n'ont pas eu lieu. C'est une armée romaine disciplinée qui fit son entrée sur la grande esplanade de l'assemblée galactique. Les troupes de l'empereur Telo Martius venaient de faire tomber la capitale.

Un régiment d'indiens ravajos, troupes d'élite du brigadier-général Sean Pean, avait rapidement gagné le toit de l'assemblée. Ils y déployèrent de larges bannières, honorant les couleurs des coalisés de l'Ordre Humain. En parcourant l'édifice, ils n'avaient rencontré que quelques fonctionnaires. Dans l'assemblée galactique, peu de diplomates avaient pris le risque de rester. Seuls des droïdes de protocole et des balises Holocom permettaient encore aux commandants d'intervenir devant l'hémicycle.

Mireille avait été prise de cours. L'invasion éclair l'avait empêchée d'abandonner la capitale et de fermer l'assemblée. Calfeutrée dans les serveurs des bunkers situés en-dessous de l'assemblée, elle attendait avec calme que la soldatesque ennemie ne vienne à sa rencontre...

Les légions avaient pris la capitale après des cycles de bombardements. La force de l’Empire Romain résidait dans l’opiniâtreté et la discipline de fer qui y régnait. Beaucoup de fonctionnaires furent soit surpris de voir avec quel Humanisme les troupes romaines et de l’Ordre Humain considérèrent les populations humaines. Ici l’aménagement de gymnases pour les populations ou qui avaient subi des tirs collatéraux. Là, des mises en place de ravitaillement, de structures médicalisées. Mais peu de population s’y rendaient. Car les forces de l’Imperator n’avaient ciblées que les infrastructures militaires, se refusant de tirer sur les populations civiles, voire même sur les ghettos aliens.

D’un autre coté, des milliards de fonctionnaires acclamaient déjà l’Ordre Humain, car fervent partisans de leurs idées. Sur plusieurs pancartes l’on pouvait lire « on Nepel pas l’Ordre Humain, on le vie ! » « Les Aliens au Sean-ile » « Vive Martius, Telorise les tous ! » Enfin des pancartes à la gloire du chambellan dont les convictions étaient connues, et qui prendrait s’en nul doute une importance majeure dans la futur administration avec des pouvoirs étendus.

Quelques crieurs Romains avaient déjà investis les rues afin d’indiquer aux populations que l’Ordre Humain serait bientôt le possesseur de cette capitale, transitoirement passée par l’Imperator. Et que bientôt une série de lois allaient être mises en place.