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Cdt. Kyle Sochiovizzi
Respect diplomatique : 14 ![]() 27/04/1018 ETU 20:16 |
Score : 5
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Les bureaux de Kyle Sochiovizzi, installés dernier étage de la base lunaire Ûr, avaient vue sur les quais flottants du spatioport. Le mur de verre permettait à son occupant de contempler les esquifs faisant le trajet depuis Asmillen ou partant en direction de l’espace lointain. Un cargo colonial se découpait justement en cet instant même au-delà des tourelles aux allures presque gothiques des secteurs civiles. Préparant sans doute un vol allant établir quelques avant-postes sur l’une des sphères de roche inhospitalières composant le système. Kyle n’y préta aucune forme d’attention. Pour beaucoup des dirigeants d’Asmillen, parmi lesquels le Président figurait en première place, la course à l’espace n’était rien d’autre qu’un moyen de focaliser l’attention du peuple sur des bonnes nouvelles parfaitement artificielles. Une propagande bien pratique quoi que couteuse. Mais c’était toujours comme ça, avec eux. Il fallait dire que les dirigeants d’Asmillen étaient d’indécrottables conservateurs, corrompus et névrosés, étrangers à toute notion de changement et considérant encore que c’était sur la terre ferme de leur monde natal que se jouerait leur avenir. Quel éreintant manque d’habitions. C’était précisément parce qu’il ne partageait par leur avis que Kyle avait fait installer les bureaux du Commissariat Général à l’Aérospatial à Ûr. Bon. A vrai dire cela-lui éviterait aussi de se faire assassiner par un rival, et cette position éloignée d’Asmillen donnait l’impression à ses ennemis habituels qu’il ne représentait plus aucun danger alors même qu’il profitait justement de son éloignement pour garder secret un certain nombre de choses. Notamment, il avait bon espoir d’obtenir d’ici peu une technologie supraluminique viable. Une telle nouvelle avait de quoi renverser la donne, réorienter toute l’attention des chefs vers l’espace. En fait il y avait fort à parier que le président le ferait retirer de son poste pour le remplacer par quelqu’un de plus « fort ». Oh l’idée ne serait pas de lui. Le Président aimait bien, Kyle. Cependant la camarilla de parasites qui composait son gouvernement avait réussi, avec le temps, à le convaincre que l'actuel suzerain d'Ûr n’était pas fait pour diriger quoi que ce soit d’important. Il avait la réputation d’être un modéré et la modération politique était, pour le Président, une maladie mentale se caractérisant par une inaptitude crasse à toute prise de fonction à un poste réellement important. De toute façon la question ne se posait pas : tout le monde était trop concentré sur la terre ferme et Kyle s’était assuré qu’aucune information ne puisse circuler de la lune vers Asmillen sans son accord. Le Président était peut-être un dieu, sur Asmillen, mais sur la Lune c’était bien Kyle qui menait la danse. Les avancées prodigieuses des équipes du Commissariat demeuraient ainsi parfaitement secrètes, pour le moment. On toqua à la porte du bureau. « Entrez. » Le panneau métallique coulissa avec un suintant pneumatique, laissant apparaitre la silhouette fine et le visage un peu androgyne de Mme. Brauw, sa secrétaire. Une femme d’une remarquable efficacité qui remplissait son rôle avec entrain. Elle portait un petit plateau sur lequel reposait une tasse de thé. Kyle se leva pour la récupérer et gratifia Mme. Brauw d’un demi-sourire. « Merci Tania. — Je me permet aussi de vous rappeler que vous avez rendez-vous avec monsieur Parcels à quatorze heures, au cas où vous n'auriez pas vu ma note à ce sujet... — Oui, il lui tournait le dos car il retournait à sa place. Je m’en souviens. J'ai lu la note » C’était un mensonge éhonté, Kyle lança un regard en coin à son bureau, cherchant la note en question. Bien qu’étant très organisé, il avait un peu de mal à rester concentré depuis quelques jours. Si son employée le savait parfaitement, elle eut l’extrême obligeance de ne pas mettre en doute les paroles de son patron, se contentant d’un délicat sourire et de quitter la salle quand il la congédia. Kyle, de son côté, réfléchissait à la situation. Oui. S’il s’y prenait bien, et si aucun élément extérieur ne compromettait les opérations, il allait pouvoir utiliser la technologie aérospatiale pour augmenter son influence auprès des conglomérats militaro-industriels, faire affaire avec les commissariats et ministères chargés de les contrôler et s’assurer une place stable au sein des conseillers du Président. Modération politique ou pas. Mais c’était fou, totalement dément. Il complotait contre son propre gouvernement. On pourrait évidemment avancer que c’était là le concept même de la politique au sein des États autoritaires. Mais tout était si différent avant, à l’époque. Le Président, lui, tout les autres étaient comme un groupe d’ami unis dans un même désire de changement. Ils étaient arrivés au pouvoir contre toute attente en manœuvrant efficacement, noyautant les institutions et éliminant leurs ennemis. Ils s’envisageaient comme l’avant-garde d’un mouvement nouveau. Et puis ils étaient devenus la force la plus conservatrice, la plus réactionnaire qui ait jamais gouvernée Asmillen. La planète s'était immobilisé. Et le temps avait passé, leurs relations s’étaient gâtées. Les camarades étaient devenus autant de lobbyistes défendant ardemment la position à laquelle on les avait placés, tentant ainsi d’accentuer leurs pouvoirs personnels. La nation était percluse d’États dans l’État. L’armée, les services de renseignement, le ministère de l’éducation et de la propagande, tant d’autre parmi lesquels le Commissariat Général de l’Aérospatial n’était certes pas le plus anecdotique, mais pas non-plus le plus influent. Doux euphémisme. Enfin. Quand on y regardait bien, ce n’était pas un mauvais poste. Kyle ne s’y trompait pas : En le faisant placer ici, ses rivaux et le Président lui faisaient en fait un cadeau : Il aurait été bien moins contraignant de le faire mourir. Il n’avait jamais été très important. Le président l’aimait, il était doué, mais jusqu’au jour de sa nomination sur la base lunaire il n’avait jamais été qu’un ministre sans portefeuille, un électron libre sans attache, donc sans influence, donc sans danger. On aurait pu le faire assassiner. Une petite lettre aux services de sécurité et on en parlait plus. Cependant, Kyle avait la réputation d’être un homme globalement inoffensif et de plus, il avait tout de même quelques alliés. Des individus qui envisageaient sans doute de se servir de lui ou qui l’appréciaient humainement parlant. Sa position au sein du Commissariat Général à l’Aérospatial relevait donc de la mise à l’écart. Un moyen pour les factions lui étant opposée de ne plus avoir à le subir sans pour autant avoir à le tuer. Kyle ne put s’empêcher de sourire. Dehors, le cargo colonial s’était arrimé aux docs flottants, des petits drones branchaient des câbles et des tuyaux disproportionnés sous son blindage, comme d’immenses perfusions intraveineuses. Ne pas avoir à le tuer. Ils allaient faire une sacrée gueule en le voyant arriver sur Asmillen fort du soutient des conglomérats militaro-industriels. A n’en pas douter, sa mise au placard n’aura pas durée bien longtemps.
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Cdt. Kyle Sochiovizzi
Respect diplomatique : 14 ![]() 02/05/1018 ETU 09:10 |
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Andreal Shelley, commissaire général des polices, était installé dans son bureau, en plein cœur de la capitale. Un homme froid, sans envergure ou charisme, assis dans un immense fauteuil sombre, mains jointes sur la surface bleutée d’un bureau métallique. Il aurait pu être un fonctionnaire de province qu’il aurait sans doute renvoyé la même image. Quoi qu’un fonctionnaire de province n’était sans doute pas confronté aux mêmes situations que lui. En l’état, il semblait excessivement stressé et, pour ainsi dire, sur le point d’exploser dans l’une de ses fameuses colères froides. Il faut dire que la situation était mauvaise, très mauvaise. Le Président était en colère. Il l’avait rarement vu à ce point enragé. Le vieillard l’avait longuement entretenu à propos des « ennemis intérieurs », avait soliloqué encore quelques instants sur les traitres, les modérés, les lâches s’opposant à sa vision et avait sobrement conclu en écumant de rage à propos des nombreux commissaires et ministres composant la cellule dirigeant du parti central. Le cabinet présidentiel, duquel faisait justement parti Andreal Shelley. Cependant lui avait un avantage sur les autres : Il avait toute la confiance du Président. Il avait toujours fait en sorte de l’avoir, d'ailleurs. Lorsqu’il avait finalement quitté le bureau du président, le commissaire s’était ainsi vu doté d’un ordre signé de la main du despote même. Cet ordre autorisait « le commissariat à la police et les forces de l’ordre à user de tous les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de l’Etat, de la Nation et du Peuple dans le cadre du démantèlement des cellules terroristes ». En d’autres termes, il allait y avoir de grandes arrestations. Composante essentielle de la terreur. Mais cette composante était devenue quelque-chose d’habituel. Généralement les listes de nom étaient même votées par le Président selon des conseils des différents commissaires. Il était beaucoup plus inhabituel qu’il laisse les instances policières régler la question en parfaite indépendante. C’était pourquoi Andreal était stressé. Il avait envoyé ses hommes « régler la question » et ne savait pas si le résultat serait à la hauteur des attentes du vieux malade. La porte de son bureau fut ouverte, un sergent des Services de Sécurité d’Asmillen, ou S.S.A, la police secrète, entra dans la pièce. Il s’immobilisa dans un garde-à-vous statique. Le commissaire lui fit signe de parler. « Nous avons appréhendés près de cinquante opposants au sein même de la ville et plus d’une centaine dans les faubourgs. Nous avons incarcéré et près de cent quatre-vingts hommes. Les premiers aveux commencent à tomber. - Cent quatre-vingts... » Le regard du commissaire se plissa, il se frotta les tempes. Est-ce que ce serait suffisant ? S’il n’en tuait pas assez au gout du président, il risquait de passer pour un mou, un modéré. Pire, il risquait de passer pour une espèce de dissident, un allié des révolutionnaires, des complotistes. Cette conne d’Autumn Larsen, préposée à la propagande, se ferait sans doute un plaisir de lui trouver un titre haïssable et de lui inventer de nombreuses exactions. Cette truie, cette ignoble truie ! Andreal se redressa sur son fauteuil, fixant le sergent du S.S.A. droit dans les yeux. Il avait trouvé une solution. En cas de doute, se reporter à l’histoire. Le vieil homme était dans une colère noire, quelque-chose -il ne savait pas encore quoi- l’avait clairement foutu en rogne. En fait, Andreal ne l’avait pas vu de si mauvaise humeur depuis... Oh mais bien sûr. C’était clair maintenant. « Combien de personnes avons-nous arrêtés après la trahison de Nicolas ? - Je vous demande pardon commissaire ? - Merde, Nicolas Muleliand, la nuit du premier mai, combien d’arrestations ? - Je vais devoir fouiller les archives mais... » L’officier palissait à vu d’œil. Shelley se permit un petit sourire satisfait. Bien. Lorsque le président était en colère, il fallait lui offrir du sang. Si le Président était rouge de colère, mieux valait que le sang coule en quantité assez absurde pour faire pâlir les hommes les plus endurcis. C’était la règle. Ainsi, les arrestations confirmaient ses délires, lui donnaient l’impression qu’il existait bel et bien un complot et que la police s’en était occupée. Ça permettait de le calmer. La dernière fois, par exemple, le Service de Sécurité Asmillien avait fait arrêter et exécuter plus de la moitié des médecins de la région capitale. Si on prenait en compte tout les malades morts par la suite, cela faisait de Shelly le plus grand meurtrier de l’histoire planétaire. Et il s’en foutait royalement. Le sergent, en revanche, semblait franchement hésiter. C’était curieux. Quelle différence cela faisait ? Cent arrestations de routine ? deux cents ? Trois cents ? Dans tous les cas il était complice de nombreux meurtres. Le commissaire général des polices se racla la gorge. « Mais quoi, camarade ? Qu'y a-t-il ? - De mémoire, les arrestations du premier mai se sont soldées sur le jugement de plus de quatre cents criminels politique. - Alors, répondit Andreal en claquant ses mains l'une contre l'autre, nous arrêterons plus de quatre cents criminels. Affaire classée ! » Il lui lança une imitation affreuse du sourire radieux qu’affichait parfois Larsen puis le congédia d'un geste. Cette soirée allait être superbe. Il attendit que le subordonné soit loin puis se leva, il allait annoncer la bonne nouvelle au Président. Il allait le faire lui-même, comme d’habitude. Lorsqu’il était satisfait, le président était ouvert aux idées extérieures. C’était comme ça que Shelley avait conservé sa place jusque-là, et aussi comme ça qu’il avait peu à peu changé cette dictature paranoïaque en Etat policier entièrement dédiée à une tâche : L’enrichissement des dignitaires dans son genre. Il avait créé la plus grosse organisation mafieuse de l’histoire planétaire et le plus beau c’est qu’elle avait la police de son côté. Plus précisément, la police régnait dessus. Avant de rejoindre le bureau du Président, Shelley se plaça devant un miroir pour s’observer un instant -il était essentiel de se composer un masque de calme et de déférence avant de parler au vieux fou- et fit appeler son assistant. L’homme arriva dans son dos, obséquieux au possible. « Le sergent qui vient de sortir, vous avez son nom ? - Il s’agit de Noborovik Soliov, monsieur le Commissaire. Il est à votre service depuis-... » Andreal le coupa d’un air ennuyé. « Ce soir, dès qu’il rentre, vous me le faites incarcérer pour modération politique et sympathie pour l’ennemi intérieur. Nommez moi quelqu’un d’autre à la place. N’importe qui. Vous avez encore les listes que je vous avais fournis ? - En effet monsieur le commissaire. - Piochez dedans. Et pensez à dire à l'heureux élu que je l'ai choisis en personne pour sa fidélité et son efficacité, blablabla... - Bien entendu monsieur le commissaire. » Shelley acquiesça, satisfait, et fit rouler ses épaules en arrière. Oui vraiment, il avait l’air parfaitement calme et parfaitement soumis. Un vrai larbin. Avec ça, impossible que le Président le prenne pour un traitre. Souriant, le commissaire se tourna vers son assistant qui se permit de légèrement arquer un sourcil, sans pour autant se départir de son rôle de servant servile. « Dites-moi, de quoi ai-je l’air ? - Monsieur pourrait aisément me remplacer, si c'est ce qu'il désire savoir. » Ils échangèrent des rires guindés, la réponse étant tout à fait satisfaisante. Shelley quitta son bureau pour rejoindre celui du Président. Tout ne se passa pas exactement comme prévu.
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