== extrait de "Chronique des mondes Haathoriens", page 42 ==

Voilà quelques cycles que c'était l'effervescence sur Haathor. En l'espace d'un instant ou presque, le niveau technologique Haathorien avait bondi. Fruit d'une sorte de convergence encore inexplicable, la technologie Haathorienne s'était développée à une vitesse considérable. Le monde avait basculé de l'âge du planétaire à l'ère extra-planétaire si vite que les instances dirigeantes ne se sentaient pas prête, pas à la hauteur de la tâche.

Il y a quelques cycles, nos télescopes ont été capables de détecter des planètes telluriques - potentiellement habitables - aux alentours de différents soleil de notre système. Quelques cycles plus tard, nous étions capables de discerner plus précisément la nature de ces planètes, notamment au moyen d'analyses spectrales et autres procédés révolutionnaires. A peine les premières planètes étudiées que les nouveaux télescopes désormais orbitaux pointaient leur nez, révélant la multitude des systèmes au sein de notre secteur. A peu près au même moment, une convergence technologique incroyable, portée par une vision plus transversale des différentes disciplines - et largement soutenue par une politique financière appropriée de la recherche Haathorienne, tout secteur confondu - permit une avancée technique massive : la propulsion spatiale. Il n'était plus seulement question d'observer le ciel : nous avions désormais des vaisseaux capables de s'y déplacer.

La première planète visitée fut Steliano60, la planète la plus proche d'Haathor. Entièrement recouverte de glace, totalement inhabitée et inexploitable, son exploration s'avéra décevante. A quoi pouvaient servir de tels territoires, lointains et inhospitaliers ? Existait-il des mondes exploitables ? Voir plus incroyable encore... peuplés d'êtres intelligents ?

== extrait de "Chronique des mondes Haathoriens", page 69 ==

Des terres arides, luxuriantes ou désertiques : de vastes mondes inhabités étaient sans cesse découverts. Depuis trois cycles, les Haathoriens multipliaient les découvertes d'exoplanètes vides. Mais une question demeurait : sommes-nous seuls ? Et la réponse n'allait pas tarder à tomber : NON. Nous le savons désormais !

Retracer l'ensemble des découvertes et avancées qui avaient conduit à cette révélation serait fastidieux et probablement dénué d'intérêt pour le lecteur moyen, mais le résultat était là. D'intenses recherches avaient été nécessaires, ainsi que des algorithmes complexes faisant appels à du deep learning et des mathématiques avancées, une puissance de calcul inégalée et des milliards de leems investis.

Le rayonnement cosmique : ces ondes prenant leurs origines aux confins du cosmos n'étaient pas des phénomènes aléatoires. Nos appareils de mesure avaient commencé par détecter les ondes proches, puis à l'échelle galactique. Rapidement, les Haathoriens découvrirent ce que tout le monde savait désormais : ce rayonnement existait à dessein.

Fruit des gazouillis spatiaux de dizaines voire de centaines de civilisations, sa structure profonde venait d'être découverte. Prenant racine dans les flux cosmiques subspatiaux, un protocole complet semblait partagé par un ensemble de peuples intelligents répartis dans la galaxie. Aussi incroyablement variés que l'imagination puisse les concevoir, ces peuples semblaient communiquer, par-delà leurs différences et par-delà l'espace. Comprendre, déchiffrer, s'approprier ce moyen de communication était surement une sorte de rite de passage. Etait-ce la preuve attendue, par-delà la forme de notre civilisation, de sa légitimité à faire partie d'un tout plus grand ? Les Haathoriens étaient sur le point de déchiffrer ce mode de communication.

Oui mais pour dire quoi... ?

=== Haathor, dans l'un des laboratoires d'astronomie appliquée ===

C'était l'effervescence et le chaos : des moyens considérables avaient été attribués à la recherche spatiale. Le gouvernement, surfant sur l'option favorable du peuple en la matière, multipliait les crédits recherche. Peu importe la justification, peu importe le montant, il semblait suffire de prononcer le mot "espace" pour voir son projet financé. Un déluge de leems pleuvait sur les labos de recherche du monde entier... et le café n'avait jamais été aussi buvable qu'à présent !

Mais les techniques bureaucratiques Haathoriennes quant à elles n'avaient évolué en conséquence et même obtenir un simple crayon s'avérait une tâche administrative plus complexe qu'elle ne le devrait. Et... chercher un crayon quand on en a besoin était vraiment quelque chose que Miroslav détestait !

Pour être stimulant, ça l'était. Passionnant même. Du moins pour Miroslav, le responsable de la recherche Haathorienne. Propulsion spatiale, physique, sécurité informatique avancée, communications, tout y passait dans ce complexe de recherche avancée. Il griffonnait, analysait, supputait. Toute cette cogitation l’émulait : il adorait ça.

Issu de la classe plus que modeste d'Haathor, il n'était le fils de personne. S'il en était là, c'est qu'il avait travaillé pour. Pas grand-chose ne l'avait épargné dans la vie : les coups de pouces du destin ne semblaient pas faits pour lui. Il n'avait jamais pu compter sur son physique : il n'était ni vraiment beau, ni vraiment laid, juste moyen. Il n'avait jamais pu compter sur ses ressources non plus : il n'avait eu beaucoup de moyens, ni gratuitement gagné quoi que ce soit. Au mieux pouvait-il compter sur son intellect. Certains le décrivaient comme plus intelligent que la moyenne, mais c'était faux. Il n'était pas mieux équipé que quiconque, mais en avait pris conscience et s'entrainait à aiguiser les facultés dont il disposait.

Et son nouveau jeu à l'heure actuelle, c'était de comprendre comment fonctionnait ce système de communication galactique... Depuis le début, il abordait cette affaire comme une rétro-ingénierie, un espionnage industriel d'une technologie qu'il fallait comprendre, absorber et reproduire. Mais l'enjeu n'était pas financier ce coup-ci : c'était du savoir pur... et cela aussi remettait en cause toute l'existence de l'espèce, qui devrait désormais apprendre à collaborer et composer avec les entités extra-Haathoriennes de la galaxie.

Mais bon, ça, ce n’est pas mon problème songeait-il souvent souriant. C'était en tout cas ce qu'il croyait encore.

=== Haathor, toujours dans le laboratoire d'astronomie appliquée ===

L'équipe de Miroslav se composait de linguistes, de physiciens et de mathématiciens, ainsi que d'une petite armée d'ingénieurs de toutes sorte. Coordonner tout ce petit monde avait été au début un joyeux bazar, mais ensemble ils espéraient réussir une première pour leur espèce: communiquer avec les autres peuples de l'Univers.

Ils en étaient arrivés à la conclusion qu'il fallait dissocier le travail en deux parties : d'une part déchiffrer le langage universel qui sous-tendait les échanges et permettait à chacun de se comprendre, par-delà les langues et les paradigmes de communication planétaires propres. De l'autre, il leur fallait déchiffrer le support technique permettant de véhiculer leur message. En découvrant des patterns dans les ondes cosmiques sub-spatiales, son équipe avait fait une avancée incroyable : ils connaissaient désormais le contenant - ou encore le vecteur - par lesquels les aliens avaient choisi de communiquer sur de longue distance. Restait à comprendre le contenu, et cela était une tâche d'une complexité extrême.

C'était le dirigeant Haathorien en personne qui venait de faire irruption dans son bureau.

Nom de dieu, pensa Miroslav, c'est déjà ce cycle la visite annuelle des installations...

Miroslav présenta un schéma au dirigeant.

Sur le schéma, il était noté :

...

Miroslav reprit :

Miroslav pointa une autre suite de symboles :

...

...

Il reprit :

A nouveau il montra une feuille :

...

...

Il montra un dernier bloc, d'apparence bien plus complexe.

...

Le dirigeant Haathorien se gratta la tête...

Vous voulez dire que quelqu'un ou quelque chose dans l'espace nous envoi tous les jours des cours de maths par correspondance galactique ? demandea le dirigeant Haathorien.

Miroslav se grattait la tête... Il n'arrivait pas à lui faire comprendre la problématique si complexe de la communication avec des peuples d'un autre monde.

Il parlait de plus en plus vite, emporté par sa passion.

Sa voix se pausa.

Il fit une pause, songeur…

Et là... je pourrais leur transmettre un message de paix. conclut-il.

Ou d'expansion - marmonna le dirigeant tout doucemnt en posant la main sur l'épaule de son homme en guise d'approbation de son travail... ou d'expansion.

Et le dirigeant sorti, laissant Miroslav à son travail. Encore un peu de travail, quelques crédits recherches, et ils pourraient commencer à communiquer avec le reste de la Galaxie.

Aujourd'hui était un grand jour, songea le dirigeant Haathorien, un de ceux dont notre peuple se rappellera dans plusieurs générations. Et c'est moi qui mène la danse... Il bomba le torse, imperceptiblement, comme un réflexe inconscient de son corps trahissant le fond de sa pensée.

Le dirigeant Haathorien s'avança vers l'estrade. Son nom venait d'être annoncé, les applaudissements résonnaient en tous sens, la clameur montante le galvanisa. Une fois proche du micro, il fit un signe de main à la foule

Merci, merci, pensa-t-il. Je sais oui je sais !! Acclamez-moi ! Rhaa... c'est bon ça !

Paume vers le bas, main ouverte, d'un geste lent, calme et humble, il invita la foule à se calmer. Une immense assemblée, des centaines - peut-être des milliers - de partisans et de sympathisants de l'ouverture au monde extra-haathorien était pendue à ses lèvres. Le silence était revenu, instant flottant dans l'air. D'un regard tendre, il balaya l'assemblée, un sourire bienveillant aux lèvres.

Regardez-moi ces nanas au premier rang pensa-t-il en balayant les seuls rangs éclairés par la scène des yeux. Ce soir je ne dors pas seul dans mon hôtel ! Ça va être la-bamba-night jusqu’à pas d’heure !

Il prit alors la parole.

Une vague d’applaudissement secoua l’auditoire. Visiblement moins à l’aise devant une foule que derrière son bureau, Miroslav baissa instinctivement les yeux, un sourire crispé s’affichait sur son visage. Pourvu que ça ne dure pas trop longtemps… songea-t-il. Le prototype fonctionne, mais il y a tant à faire. Je pourrais réécrire l’implémentation du protocole de traduction des émotions implicites, essayer de décrypter le contenu sous-jacent des messages. Parce que pour faire de la diplomatie extra-haathorienne, faudra bien qu’on manipule la langue de bois. Ça, mon communicateur en est implacable pour l’instant, et au gouvernement, on ne me le laissera pas passer ça…

En arrière fond, le discours continuait.

Whaaattt ? Le cœur de Miroslav s’emballa. Oh non non… mais je veux pas moi.

Le dirigeant Haathorien l’invita au micro, tandis que la foule hurlait, applaudissait, sifflait à tout rompre. Miroslav avait la cote auprès du peuple, toutes les émissions d’holoTV l’interviewaient et suivaient son travail depuis quelques cycles. Il était l’un des vulgarisateurs les plus en vogue de sa planète.

Heuu… Merci trouva-t-il juste à dire, le micro grésillant. Son cœur battait la chamade, son souffle était coupé, ses mains moites, ses aisselles… bah ses aisselles quoi… Bref, il était stressé. Il s’approcha d’un drap qui couvrait un dispositif d’holo-diffusion. C’était le procédé théâtral décidé par le gouvernement pour introduire au peuple un système de communication qui, en réalité, tournait sur des baies quantiques immenses, enterrées dans un bunker, sous le plancher de l’océan, et refroidi directement à l’eau de mer par les courants marins. Ses mains tremblaient, mais il avait répété la phrase que lui avait écrite les conseillers gouvernementaux par cœur.

Clameurs générales. Miroslav n’avait que ça à faire, désormais, il pouvait se rasseoir. Mais... pris d’un élan incompréhensible, il continua.

Clameur massive de la foule.

Whaaattt ? Le cœur du dirigeant s’emballa. Oh non non… mais je veux pas moi !

Et c’est par ce début improvisé que s’installa une situation provisoire qui se pourtant durera : d’un côté Miroslav, pacifiste, ambassadeur du peuple Haathorien aux actions soutenues par le peuple. Et d’un autre, un dirigeant Haathorien rongé par la volonté de conquête et d’expansion de l’empire Haathorien.