Une goutte de sang tomba dans l'évier : "et merde" - lâcha-t-il.

Il y avait de grandes chances que ce soit un piège. Il y avait de grandes chances aussi qu'il se prenne un assaut en plein vol, mais il avait reçu cette proposition étrange. Ce n'était pas un classique hologramme, mais bien un texte écrit... sur un papier. Ce qui était très étrange en ces temps. Pas plus de précision. Il l'avait retrouvé sur son bureau, joliment calligraphié : "Je souhaite vous rencontrer. Venez sur xx" et une coordonnée de planète. Il ne savait donc s'il allait rencontrer une femme, un homme ou peut-être les hommes de main du Consensus. Mais Lee était ainsi : il n'avait pas peur du danger - ou était simplement naïf et inconscient -, et n'avait pas peur de mourir - ou en avait de toute façon marre de vivre. Voilà qu'il était prêt à partir.

Cela faisait maintenant de nombreux cycles qu’elle était de super mauvaise humeur et que tous ses conseillers l’évitaient soigneusement.

Elle avait rejoint depuis peu la base commerciale du peuple NIalphien en secteur 11 pour faire le point sur leur situation. Ils avaient tant et tant galéré pour se reconstruire un empire, ils avaient tant bien que mal repris le commerce, partant de rien, et aujourd’hui alors que cela commençait à peine à porter ses fruits (malgré l’énergie déployée par certains pour les empêcher de commercer) voilà que tout s’envolait en fumée.

Alors qu’elle-même peinait à sortir de la déprime post-apocalyptique et à retrouver l’espoir de vivre, la voilà à nouveau spectatrice impuissante de la mort de milliers de milliards d’innocents sous les bombes. Un goût amer de déjà-vu dont elle se serait bien passée.

L’histoire se répétait encore et encore. C’était désespérant. Comme si, où qu’on aille, il allait toujours se trouver des êtres pourtant doués de pensées, d'intelligence même on pourrait dire, prêts à exterminer des milliards d’innocents, sans raison, juste parce qu’ils le pouvaient.

Elle avait pourtant un peu retrouvé espoir et voire même confiance dans les autres ces derniers temps, en grande partie grâce à lui bien sûr.  Il est amusant quand on y songe, qu’alors qu’elle est si méfiante des autres, si solitaire,  elle n’a fait jusqu’ici confiance qu’à deux personnes. Deux êtres que pourtant tout oppose… Le jour et la nuit.

Elle soupire.

Dans ces temps troublés, elle a besoin d’oublier l’horreur et de se rappeler que des gens bien, sincères, généreux existent pour continuer à croire en la vie.

Alors, elle envoie son invitation, même si elle le sait toujours très occupé et qu’il a déjà reporté plusieurs fois ce dîner, même si elle se doute qu’il a bien mieux à faire que de perdre son temps à aller à l’autre bout de la galaxie juste pour la rencontrer. Elle espère qu’il viendra. Et elle pourra ainsi enfin le remercier en personne de tout ce qu’il a fait pour elle et son peuple depuis leur arrivée en Crépuscule. Il ne le sait sûrement pas, mais il est sans doute la raison pour laquelle elle est toujours debout aujourd'hui.

Un peu plus tard.

Attiré par de douces odeurs de cramé, Charles arrive dans les cuisines pour trouver une Louise échevelée, en train de se bagarrer avec divers ustensiles de cuisine en ronchonnant.

Elle sursaute et fait tomber la dite louche. Elle jette un regard mauvais à Charles qui écarte les mains en signe de reddition.

Elle lui tire la langue.

Une fois enfin débarrassée de Charles, elle retourne à ses préparatifs. Non mais, quelle idée elle a encore eu de vouloir cuisiner ? Ok, c’était parfait pour se changer les idées et elle voulait faire quelque chose elle-même pour une fois… mais… le résultat ! En plus, elle n’est même pas sûre qu’il ait eu son invitation car elle n’a pas eu de réponse. Aussi bien, elle a préparé tout cela pour rien...

Le soir est arrivé et elle attend toujours, tranquillement installée dans un fauteuil sur la terrasse avec une vue imprenable, un verre à la main. La résidence est construite en haut d’une petite falaise et domine la mer. Tout est si paisible, on a du mal à imaginer que l’horreur a frappé à quelques pas de là. Elle s’octroie quelques instants de détente et ferme les yeux.

Perdue dans ses pensées, elle songe à Lee et à la soirée qu’ils vont passer ensemble.

C’est bien sûr le moment que choisit le bip de son communicateur pour la tirer de son agréable rêverie.

Prenant connaissance du message, elle soupire. Encore des mauvaises nouvelles évidemment. Depuis quelques cycles, tout n’est que mauvaises nouvelles de toute façon, échecs, erreurs, mauvais choix… Rien ne va. Elle est totalement dépassée par la situation.

Il faut dire qu’elle n’a carrément pas l’habitude de se débrouiller seule. IL s’occupait de tout, la protégeant, la défendant, lui offrant tout ce dont elle pouvait avoir besoin et plus encore. Elle n’avait jamais eu à se soucier de rien jusque-là. IL réglait tous ses problèmes. Elle repense à toutes les fois où elle imaginait le pire, où elle avait peur et où IL lui répétait inlassablement : « Ne vous inquiétez pas Louise, j’ai tout prévu, tout est sous contrôle. »

Au début, elle avait eu l’impression de plutôt pas mal s’en sortir ici toute seule. Forcément, quand il ne se passe rien, tout est facile…

Aujourd’hui, entre la guerre ADM et la guerre commerciale, son empire a subi des pertes tellement colossales (tant humaines et matérielles) qu’elle ne voit pas comment elle pourrait les compenser, ni comment sauver son peuple et elle-même du désespoir.

Cette invitation était une erreur, comment pouvait-elle espérer passer une bonne soirée alors que tout s’écroulait autour d’elle ? Elle devrait peut-être annuler ? Prétexter une migraine ?

Elle lève soudain la tête pour voir arriver Lee à l’autre bout de la terrasse. Bon, il est trop tard pour annuler. Ne reste plus qu’à « jouer le jeu » et faire comme si tout allait bien. Car, il ne faut surtout jamais montrer ses faiblesses n’est-ce pas ? Les personnes faibles se font dévorer.

Elle s’approche de Lee et pose un sourire sur ses lèvres. Elle est quand même sincèrement heureuse de le voir. Il l’a tant aidée, elle pensait pouvoir lui « rembourser » cette dette au centuple, mais, les affaires ne se sont hélas pas déroulées comme prévues. Pourvu qu’il ne soit pas déçu d’avoir « misé » sur la mauvaise personne ?

Arrivée près de lui, elle se sent un peu gauche et ne sait trop comment le saluer ? Elle a à la fois l’impression d’être proche de lui mais sans vraiment le connaître. Alors, elle lui tend simplement la main.

Elle hausse les épaules.

Elle s’interrompt brusquement, se rendant compte qu’elle vient sûrement de l’assommer d’entrée avec ses questions.

Je prendrais bien une bière bien fraîche - dit Lee en souriant.

Elle hausse un sourcil, étonnée, s’étant attendue à ce qu’il boive autre chose, quelque chose de plus… moins… Elle fait un signe discret au majordome qui se faisait invisible à l’intérieur afin qu’il apporte deux bières et un plateau de petites bouchées salées à grignoter.

Puis elle conduit Lee à un fauteuil et s’installe en face de lui.

Elle rougit un peu, gênée par la question.

Elle lui fait un clin d’œil taquin.

Heureusement, elle est sauvée par le retour du majordome qui dispose rapidement boissons et petits fours sur la table basse qui se trouve entre les fauteuils et disparait aussi vite qu’il était apparu.

Elle se penche pour attraper les deux verres et en tend un à Lee puis commence à boire pour se donner une contenance.