Un soleil moqueur brillait sur la vallée de Primoverdans ce jour. Cet encaissement géologique, lieu historique des peuples de Dun Kazem, se situait dans les contrées à l'Ouest des Monts Bleutés, fief des Thynds depuis que Dumathuïn le-Père-de-Tout avait crée le monde il y a cela deux éternités. La vallée se caractérisait par un versant herbeux qui voyait à chaque saison naître des béliers de combats vigoureux, prompts à venir grossir les rangs de la Brigade des Pics, le corps de garde d'élite de la race thynde. L'autre versant ne voyait la lumière que pendant quelques heures, et la végétation timide qui poussait ça et la venait poindre au milieu de rochers anthracites, montrant clairement les deux faces de la vallée, comme pour une pièce dont la tranche était marquée par un chemin étroit qui coulait en son centre.

Ici, entre vie et mort, au sein de caveaux de pierre taillées richement décorés, les Thanes des temps passés reposaient pour les éternités à venir, paisibles dormeurs au cœur de cet écrin nimbé d'ambivalence.

Et c’était au tour d'Akkad de reposer ici.

Les premiers convois avaient déposé les plate-formes via OSPREY, l'accès au fond de la vallée étant rendu trop difficile par voie terrestre pour être efficace. L'ancien chemin royal, utilisé naguère pour la longue marche rituelle de Dun Kazem jusqu'au Primoverdans, n’était aujourd'hui qu'un amas de broussailles et de pierres moussues qui ne retranscrivaient plus la grandeur des processions d'antan. Les aéronefs avaient déposé de grands plateaux métalliques afin de préparer une scène prévue pour l'allocution de Dame Ada Marteau Brisé, qui allait rendre un ultime hommage à son frère demain. D'autres estrades, prévues pour les invités de marque, avaient été disposées aux alentours de la scène principale. Les Thynd travaillaient durement, sans se plaindre, ce qui était une chose rare : chacun ici savait que le cœur n’était pas aux rires et pourtant, tous s’attelait à fixer, marteler, bâcher, enfoncer, construire, polir, poncer, ébarber, dénuder, brancher, câbler, allumer, tester et disposer sans mot dire. Les Thynd avaient déjà vécu ce moment il y a 50 ans, lors de la mort du Thane Barricus, et aucun des ouvriers présents n'avait imaginé connaître de vie de Thynd deux enterrements thaniques.

Vers 20h alors que le soleil choisissait de tirer rideau, une shuttle se posa au centre des travaux, et un Thynd richement vêtu en sortit. Il s'agissait du Représentant de la Maison Veine de Jaspe, Marduk de son prénom, qui venait statuer sur l'avancée des travaux.

Le contremaître ne protesta pas : il avait parfaitement entendu parler des rumeurs sur la Maison Veine de Jaspe, mais préférait rester loin de tout cela. Il pensa à Dame Ada. Celle-ci devait être bien seule maintenant, son frère parti, les membres de sa famille dispersés aux quatre coins du Secteur II depuis l'insurrection post-hacking qui avait vu les flottes de l'Empire Thynd s'évanouir dans le néant. Un travailleur sans casque le ramena bien vite a ses réalités, et il gueula un ordre dans sa langue afin de ramener l'ordre sur son chantier.

De son coté, Marduk Veine-de-Jaspe jubilait. Il lui était difficile de contenir sa joie au milieu de tant de deuil, tant que parfois il devait masquer son sourire dans une grimace sinistre. Son plan fonctionnait mille fois mieux qu'il ne l'avait espéré. Les pillages avaient été une aubaine dont il avait su tirer parti sans faillir. Évidemment, il y avait bien eu cet espion qui avait menacé de révéler son plan à la Gazette, mais le destinataire ne s’était douté de rien, trop occupé à faire le paon pour les beaux yeux de la catin du Gouvernement. Crétins d'Hund, trop occupés à gérer leurs empires. Qu'ils continuent donc de piller et de tuer, tandis que lui, le Représentant des Veine-de-Jaspe, appliquait avec brio un plan qui allait rendre aux Thynd leurs droits légitimes et souverains. Ada n'y pouvait plus rien.

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