Pages : 1
Cdte. Aube Niflheim
Respect diplomatique : 350 31/01/1020 ETU 02:07 |
Message édité -
Score : 4
Détails
Aube ouvrit les yeux et se redressa dans son lit. Instinctivement, elle porta une main à son visage. Il était froid. Autour d'elle la lumière de la chambre s'intensifiait progressivement jusqu'à un niveau raisonnable. Une discrète odeur d'herbes aromatiques fraîches et d'iode flottait dans l'air, diffusée par l'élégant orgue d'humeur posé sur la table de chevet. Quel rêve étrange. Difficilement descriptible, mais assurément très curieux. Aube plissa les yeux. Elle se souvenait flotter entre des géants morts, dans un genre d'abysse. Derrière-elle se trouvait les limites d'une fosse océanique et devant elle, l'infiniment grand, la Galaxie. Il y avait des formes massives, comme des montagnes, qui se mouvaient dans l'obscurité de l'espace, sombres et tortueuses. Des fractals de chair cachant jusqu'à la lueur des étoiles Une chose vivante, titanesque, qui l'observait l’ensemble de la Création. Elle qui respirait. Cet être était si grand que son souffle était plus un fait de l’Univers, un phénomène cosmique. Incomparable au mécanisme nécessaire chez un être vivant.. Elle se traduisait en courants de l'espace. Aube avait pourtant pu la deviner à travers des éclats brillants comme de la poussière de quartz et des nébuleuses qui se déformaient tout autour d’elle. Et puis il y avait son visage. Aube se souvint avec un certain dégoût : son propre visage, qui se déchirait de part en part. Pris de spasmes, de contorsions locales. La peau qui s’écharpait, fondait, était comme libérée de la chair, quittant la viande pour l'éternité, faisant apparaître des muscles meurtris d'où jaillissait aussitôt un sang rouge et froid. Et cette sérénité, inexplicable sentiment de... La verre cligna des yeux, cherchait à se concentrer. Elle agrippa les draps et les repoussa sur le côté. Ils étaient imbibés de sueur. Dans ce rêve, comme bien souvent, elle n'avait pas peur. Elle ne ressentait pour ainsi dire rien. Pas de détresse, pas ce sentiment pesant de vide, de perdition. Pas la morbide certitude qu'elle dirigeait une nation sans savoir quoi en faire, rien. Rien. Un vide total, une absence d'empathie pour sa propre souffrance, ou plutôt une absence de souffrance. Nouvelle hésitation. C'était un flottement de la conscience d'autant plus spectaculaire que désormais, Aube le regrettait et le haïssait avec force. Et puis, se souvint-elle, quelqu'un lui avait tendu une main à travers le vide. Menue, frêle, pâle. Comme la sienne. L'Impératrice resta encore un instant assise dans son lit. Puis elle frissonna. Les rêves. Aube aimait les rêves. Elle rêvait rarement, ce qu'elle regrettait, mais adorait lire des retranscriptions poétiques de visions ensommeillées. L'art Verre moderne était rempli de rêves. De surréalisme, de symbolique. Les artistes à la mode aimaient se donner au jeu des interprétations. Naturellement il n'y avait rien de fondé. On ne comprenait pas vraiment la nature des rêves et chacun trouvait ça plus drôle ainsi. Aube pencha la tête sur le côté, poussant les cheveux qui tombèrent sur son visage pour lancer un regard dubitatif à son reflet dans un miroir installé face au lit. La lumière avait désormais atteint sa puissance de jour, aussi se voyait-elle très clairement. Elle observa ses traits blancs. Elle ressemblait à une jeune femme de tableau. Ou à une morte tout juste sortie de sa tombe. Instinctivement Aube entrouvrit la bouche pour regarder ses dents. Elles étaient normales. Pas de canines proéminentes. L'idée la fit sourire. Pour une raison ou une autre ce fut ce qui, ce jour-là, lui donna la force de se lever. Comme chaque jour avant celui-là, elle passa devant son orgue d'humeur, hésita sur une programmation pouvant lui donner un coup de booste et laissa finalement la machine à sa place en concluant avec frustration que l'utiliser aurait été une tricherie malsaine. Elle se dirigea vers la salle de bain. Au même titre que son rituel journalier, les quartiers de l'impératrice n'avaient pas beaucoup changés au cours des cycles : pourtant le palais s'était agrandi. On ne devinait pour ainsi dire plus rien ou presque de l'ancienne carcasse de croiseur impérial qui avait servi de structure au siège gouvernemental lors de la colonisation. Aube, fidèle à elle-même, avait refusé de migrer pour une chambre plus grande, et refusait toujours d'être assistée par la moindre servante ou le moindre androïde. Elle restait fermement convaincue que les anciens verres vouaient un culte déplacé à la grandeur, à la possession physique et aux gâchis de ressource. Et elle avait cette idée en horreur. Par une étrange perversion de son propre esprit, cependant, la suzeraine était persuadée que c'était son masque « d'impératrice » qui pensait ça. Qu'Aube la femme se serait très bien accommodée de quartiers plus grands. Gigantesques de gâchis. La vérité était probablement entre les deux, ce qu'elle ne comprenait pas vraiment. Comme chaque matin, Aube passa presque une heure à s'observer dans la glace. Elle ne se souvenait jamais précisément de ce qui se passait alors, mais son esprit partait généralement en roue libre et l'observation de ses propres traits devenait parallèle à l'observation tout aussi attentive de sa propre existence, de son règne, de la politique galactique, sectorielle et ainsi de suite. Après quoi, à l'aide d'eau froid et de produits diverses, pour reprendre l'expression consacrée, « Elle façonnait la glaise de son visage, de ses mains, et quittait le statut de femme pour celui d'Impératrice ». C'était pour Aube l'occasion de penser à l'ordre du jour au sein du gouvernement de l'Enclave. Comme d'habitude elle avait profité d'une période d'insomnie pour consulter les rapports nocturnes et les synthèses préparées par ses ministres. Il y avait bien entendu la continuation des efforts de réarmement de l'Enclave, la gestion du réseau diplomatique de la maison impériale, des communications badines avec tel et tel commandant, ainsi de suite… Pour être honnête, la politique internationale ne l'intimidait plus autant qu'avant. Petite Aube est devenue grande. Elle est partie dans l'Espace à la recherche de ma mère et y a trouvée… Des guerres ? Non. Des alliances. Des alliés. Des personnes la respectant. Et des guerres. C'est à l'ordre du jour au Sénat, oui. Elle devait leur parler de la paix retrouvée et des inévitables guerres à venir. Un vieil aphorisme lui revint tout droit sorti de ses longues lectures sur Kaiserde. La Guerre, c'est la Paix. Elle cligna des yeux et se surpris à sourire d'un air franchement cruel. Oui, Hismer et sa mère en étaient persuadés. Au moins n'avaient-ils pas cru pas à l'idée selon laquelle la "Liberté c'est l'Esclavage". Ça leur faisait ça de moins. Maintenant il était vrai que, pour être parfaitement honnête, l'Enclave n'avait connue ni guerre, ni paix. Peut-être un jour. En attendant la lutte continuerait de se faire sans un fusil, sans une baïonnette et avec des milliers de morts quand les mots ne suffisaient pas. Pathétique. Comment les militaires du gouvernement pouvaient-ils accepter une telle irresponsabilité. C'était eux qui avaient raison, non ? Eux qui voulaient créer une armée dès les premiers cycles, envahir des mondes, assujettir les voisins les plus faibles au sein du secteur un. Et Aube avait refusée cette politique pour des résultats dont elle était incapable de se satisfaire. Encore cette situation où elle approuvait et désapprouvait ses propres décisions. Dans d'autres circonstances, les choses auraient-elles évolué différemment ? L'Enclave était-elle vouée à rester une puissance inférieure, respectée en somme pour sa politesse et sa conscience aïgue de sa propre situation ? Mais n'était-ce pas mieux ainsi ? Le fait d'être neutre, respecté, d'être capable, au moins un peu, de rassembler autour d'une image partagée ? Vouloir autre-chose n'était-ce pas justement tomber dans le culte de la possession physique ? Aube, cherchant un échappatoire, tenta d'envisager la situation autrement. L'Assemblée Galactique. Le Conseil. La diplomatie. N'étaient-ce pas des réussites ? La verre écarquilla un peu les yeux, se rendant compte de la migraine qu'elle s'apprêtait à s’infliger. Car pour chaque point, elle voulait répondre oui, non, et se déchirait à nouveau. « Peu importe. », murmura-t-elle en conclusion.
|
Pages : 1