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Cdte. Maxeen
Respect diplomatique : 26 04/12/1021 ETU 00:21 |
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Silence. Les effluves d’ammoniac lui perçaient les narines. Accusée d’avoir détourné des fonds publics pour son propre profit, elle fut mise au cachot. Voilà près d’un mois qu’elle y séjournait, en attente de jugement. Celui-ci allait tarder, on le lui avait dit : il faut le temps de faire siéger le Haut Conseil, puis de juger de la situation qui est inédite, par après moult étapes encore. De toutes façons, tout ça n’était que facéties, elle ne reverrait jamais la lumière du jour. Pendant un moment, elle se questionna sur les véritables motifs de cette arrestation. Se pouvait-il qu’on la jugeait réellement pour l’assassinat de son père ? Non... Ou du moins, pas tout à fait. Lorsqu’elle appuya sur la gâchette au nom du Parricide, elle mit en chaîne une cascade qui finirait par la submerger. En tuant son père, une envie de renouveau susurra aux oreilles d’un peuple qui désirait une autre démocratie que celle qui leur était imposée. Après tout, ils pouvaient bien choisir eux-même leurs leaders. Pourquoi devait-ce toujours être un Percétoile, qu’avaient-ils de plus finalement ? Elle vint planter un dernier clou dans son cercueil en faisant prospérer la République. L’ambition des autres s’opposa à la sienne et elle perdit. En même temps, ils n’avaient pas vraiment tort, elle vivait une vie de luxe. Pendant un court instant, elle songea à se résigner mais elle se dit que c’était bien trop simple. A fierce gaze, through the stars. C’était un truc qui lui avait été marqué au fer rouge, comme à tous ceux et toutes celles qui l’ont précédée. Une chose pareille, ça s’oubliait pas. Pourtant, ça, c’était juste une phrase - rien de plus. Une phrase qu’on lui avait réitéré tant de fois que ses mots résonnaient en elle. On ne naissait pas membre de sa prestigieuse famille, on le devenait. Elle n’avait pas subi des années de bourrage de crâne pour terminer sa course dans un caveau. Elle avait été mieux éduquée que cela. Si elle se laissait juger par les autres, le concile serait unanime et sa sentence serait irrévocable (-Denis Brogniart, probablement...) Maintenant, il ne lui restait plus qu’à trouver un moyen de s’échapper de sa prison. Pour ça, bon courage. Elle devait être à l’heure actuelle la personne la plus surveillée de toute la planète - parce que tout le monde savait qu’il pouvait se tirer une part du gâteau tant qu’elle ne bougeait pas. Voilà une semaine déjà qu’elle s’était promise de se libérer des barreaux qui l’enserraient, sans succès. « Vingt-quatre heures pour s’en aller, pas une minute de plus », s’était-elle dit. En vain. Pari perdu. Tant pis. Elle trouverait une autre solution, même si pour ça elle devait y passer des jours, des mois, des années. Peu importe le temps nécessaire, elle ne terminerait pas sa vie dans un trou à rat qui puait la pisse. Elle aimait bien trop son confort pour se résoudre à accepter une telle bassesse. Finalement, son salut arriva d’une manière inopinée. Tandis qu’elle se lamentait une énième fois sur son sort, ressassant en boucle d’extravagants scénarios pour se sortir de là, le sol trembla. La secousse était presque imperceptible, mais pour un individu qui n’avait rien vu se produire d’intéressant depuis presque un mois, c’était un signe de la Providence. Rapidement, elle comprit qu’elle n’était pas la seule à l’avoir perçu : la prison s’ébroua soudainement. On aurait dit qu’une vieille machine se remettait soudainement en route, endolorie par une léthargie centenaire. Pour ceux qui logeaient ici depuis des dizaines d’années, tout espoir était permis. Peut-être n’était-ce rien, finalement, mais chacun s’accrochait à une petite lueur, celle de la liberté : alors tous se redressèrent sur leur lit, prêtant une oreille attentive. Lorsque le sol trembla à nouveau, la machine se réveilla pour de bon. Un râle s’éleva, issu des entrailles même de la prison, il s’agissait du chant rauque et guttural de centaines de prisonniers qui parlaient à l’unison. Au dehors, des chasseurs d’élite prenaient d’assaut Relient K, siège de la capitale de la République de Percétoile. Hahaha ! La bande de ploucs ! Du fond de sa cellule, elle n’avait pas fini de s’esclaffer. Elle était quasiment certaine que après l’avoir enfermé, les vautours s’étaient jetés tellement allégrement sur le gâteau qu’elle leur avait laissé que ceux-ci n’avaient pas prêté attention aux prédateurs qui rodaient. Un dernier tir de canon eut raison de la prison. Lorsqu’elle quitterait sa cellule, elle avait intérêt à être méconnaissable car la prison avait servi à enfermer les prisonniers politiques du régime Percétoile. Elle ne se ferait aucun ami en sortant à visage découvert. Elle s’agenouilla au pied d’une colonne effondrée et repeint son visage à la poussière de ciment. Maxeen était morte, vive Maxeen. Elle bondit dans le couloir et se fondit dans la masse. Comme (presque) tous les autres prisonniers, elle finit par retrouver le chemin de la liberté - et ce grâce à des companions de fortune choisis sur le moment. Le leader du groupe, c’était Donots, un petit blondinet pas plus grand qu’une prune. On était bien loin du cliché de la grosse brute tatouée à l’encre de chrome. Il était celui qui avait les meilleures idées, mais surtout le charisme qui donnait envie de le suivre. Maxeen n’était pas bien haut placée sur l’échelle des influences, à vrai dire elle ne savait pas trop ce qu’elle faisait là. Mais ce groupe, c’était sa meilleure chance de s’évader de Relient K. Donots avait émis l’idée que le groupe prenne les voiles et rejoigne dans un premier temps sa planète natale : Goldfinger. Bien que la planète soit sous le protectorat de la République de Percétoile, tout du moins ce qu’il en restait, il disait connaître toutes les routes dérobées pour y pénétrer en toute discrétion. Une fois là bas, ils disposeraient de nombreux abris qui avaient servi de nombreuses années au commerce de contrebande, ceux-ci étaient ex officio à l’abri du regard des autorités. Le groupe aurait ensuite le loisir de débattre de la suite une fois à l’abri. Personne ne rechigna, tous savaient que l’impératif était de quitter la planète. Ils savaient qu’une fois la commotion retombée, on se dépêcherait de les incarcérer une fois de plus. Dans une démonstration de parfaite synergie, le groupe déroba un vaisseau corsaire aux hangars républicains et prit le large. Ils ne se doutaient pas qu’au même moment tombait Mesquine, la capitale de la République de Percétoile, sous le feu des chasseurs d’élite de la Nyalnamar Veritas. Sans le moindre regard en arrière, le groupe décolla en direction de Goldfinger. Le trajet ressemblait à s’y méprendre à une colonie de vacances : tous apprenaient à se découvrir et le pont transpirait de vie et de joie. Mais surtout : adieu les barreaux et bonjour le large. Rien ne donnait autant matière à sourire que le sentiment de se retrouver à nouveau maître de son destin. Le lendemain, un problème qu’ils n’avaient pas anticipé se présenta. Lorsque Mesquine changea de propriétaire, ses trois dépendances suivirent. Par conséquent, toutes étaient présentement sous la direction du Labyrinthe et toute entrée sur le territoire était proscrite. Pas moyen non plus d’utiliser les portes dérobées car elles étaient désormais patrouillées. L’état de guerre prolongée avait eu un lourd tribut sur les agents du front, qui ne désiraient plus voir se perpétuer toute forme de conflit. Ils avaient trouvé préférable de bloquer toute entrée plutôt que de procéder à un filtrage. Maxeen tourna instinctivement son retard en direction de Donots. Son visage était serré et laissait transparaître une angoisse. Malgré ses airs nubiles, le blondinet semblait avoir déjà vécu mille vies auparavant. Il prit le temps de mûrir une idée avant de l’exposer au groupe. Deux solutions s’offraient à eux : ils pouvaient choisir de se déplacer vers un autre endroit du secteur, sans être certains de pouvoir survivre aux nombreuses escarmouches qui s’y dérouleraient. Même s’ils réussissaient à éviter les escarmouches, qu’y feraient-ils une fois arrivé. Rien ne leur assurait de trouver une planète vierge ou ouverte au tourisme extérieur. Peu de gouvernements toléraient de surcroît la présence de pavillons corsaires sur leurs terres. L’autre solution était de monter une flottille de fortune, en mobilisant l’aide des nombreux brigands qui orbitaient Goldfinger et de percer le barrage. Cette solution semblait la plus opportune. Les brigands devaient Maxeen savait mieux que quiconque à quel point ses sujets étaient attachés à leurs maisons. Enfin… Ils n’étaient plus ses sujets. Elle n’était plus une riche héritière. Elle n’était ici qu’une inconnue parmi d’autres, un individu lambda moins efficace que la moyenne du navire. Finalement, l’idée était mauvaise, elle renonça à la suggérer. Il y a encore quelques temps, cette idée l’aurait répugnée, mais se retrouver au coeur de l’action avait quelque chose de grisant. Elle qui avait été choyée toute son existence et qui n’avait vécu que derrière une barrière protocolaire, se retrouver parmi les rats et les mange-pain lui insufflait un vent de renouveau : elle se sentait enfin vivre. Ce n’était finalement pas le pouvoir qu’elle aimait, mais l’aventure. Ça se trouve, elle finirait morte demain. Mais bien étrangement, cette idée ne semblait pas la chagriner. Tandis que Donots élaborait diverses tactiques et cultivait malgré tout l’espoir de pouvoir retrouver un chemin dérobé, Maxeen s’excusa pour se rendre à ses quartiers. La journée avait été chargée et la jeune femme se sentait soudainement lasse. Cela faisait un mois qu’elle avait été coupée du reste du monde, scellée dans une cave exiguë qui se était constamment sous surveillance.. À cette heure, elle n’aspirait qu’à une douche brûlante et le confort d’un tendre matelas surmonté d’une couette douillette et chaude. À peine se glissa-t-elle sous ses draps qu’elle s’endormit. Le répit fut de courte durée. Quelques heures plus tard, une alarme retentit à bord et appela chaque membre de l’équipage à rejoindre le centre de pilotage. Lola Ray, qui avait partagé plusieurs années la cellule adjacente à celle de Donots avait une annonce à faire. Pendant que la majorité de l’équipage s’était retiré dans ses quartiers, les deux camarades avaient analysé chaque donnée du radar corsaire et avaient réussi à anticiper les prémices d’une invasion éclair. Donots s’avança pour s’adresser au groupe. « Bon, les gars, il va falloir se décider maintenant de la marche à suivre. Une importante escadre kamikaze devrait s’écraser prochainement sur Goldfinger. On peut soit se tirer immédiatement et espérer qu’on ne se fasse pas alpaguer par une balliste ioniques, soit on peut essayer de se faufiler avec eux pour rejoindre une des planques. Mais nous courons le risque de nous faire prendre dans un feu croisé. Quelle idée vous semble la plus opportune ? » Aucune, en ce qui concernait Maxeen. Après une demi-nuit de repos, l’idée de terminer sa vie en morceau de charbon ne lui plaisait guère. Elle se sentait de vivre encore un peu. Elle avait rêvé cette nuit, pour la première fois depuis plus de deux semaines. Entre les miasmes de souvenirs dépareillés, elle revoyait l’image de Pvèle et d’Astery. Lorsqu’elle serait tirée d’affaire, la première chose qu’elle ferait serait de retrouver son amie la Pwète et enfin se faire cette raclette promise il y a de cela une éternité. Elle espérait aussi revoir Astery, mais peut-être celle-ci l’avait déjà oubliée..? Après tout, elle n’avait été qu’une ombre dans l’existence de la journaliste d’Alpha Bay. Tant pis, Maxeen tenterait quand même son coup - mais pour ça il fallait qu’elle vive. « Nous devons reprendre Goldfinger, » Tous les regards se tournèrent vers elle et, à leurs yeux éberlués, elle comprit qu’on venait de la caser dans la catégorie des folles à lier. Reprendre Goldfinger, à qui ? La Grande Oratrice ? Alan Lurthamburg, dont les vaisseaux n’avaient pas encore pénétré l’atmosphère ? Lola Ray ne put s’empêcher de ricaner, ce qui eut le don d’agacer Maxeen. Elle avait l’impression d’être cette enfant impertinente, aux idées ubuesques qu’aucun adulte ne prenait au sérieux. Très rapidement, la moquerie fut reprise par les autres. Elle aurait voulu les blâmer, mais si elle avait été à leur place sa réaction aurait été analogue. En même temps, comment prendre au sérieux quelqu’un qui suggérait de reprendre une planète, sise en plein conflit, armé d’une seule frégate corsaire ? Personne. « Et tu veux faire ça comment, au fait ? » La question émanait de Lola Ray. Elle avait pour but de la piquer dans son égo et lui faire réaliser l’absurdité de sa suggestion, mais elle eut l’effet inverse. La rouquine pointa du doigt la carte du système 13. On pouvait y voir défiler une multitude d’informations, parmi lesquelles les nombreuses flottes en orbite. L’une d’elle intriguait Maxeen, il s’agissait d’un détachement de corsaires, navigant de manière anonyme sous l’étendard brigand, anonyme pour quiconque n’avait pas l’oeil. Maxeen y voyait cependant une certaine singularité, leur formation de vol trahissait leur origine : ils avaient jadis appartenu à la République de Percétoile. « En restant parfaitement immobiles, évidemment. Nous pouvons mobiliser la flottille brigande située ici ; il s’agit de la division du Ginguet, une faction farouchement dévouée à la Dynastie des Percétoile, qu’ils suivraient jusqu’aux enfers. Ils doivent encore avoir un goût amer en bouche d’avoir vu leur patrie tomber si aisément. Ils sauteront sur l’occasion de reprendre Goldfinger. Il demeure néanmoins le problème de la guerre. Si Mesquine est tombée, et avec elle la République de Percétoile, c’est que cette dernière n’avait plus aucune influence politique ou militaire. Nous ne pouvons donc compter sur une politique de dissuasion, Goldfinger sera le siège de nombreuses batailles. Il est possible qu’une fois assolis, nous ne puissions plus décoller avant un certain temps, c’est une éventualité à laquelle nous devons nous préparer, malheureusement. » Donots lui coupa la parole sèchement. S’il s’était retenu jusque là de donner son avis, il lui semblait que Maxeen délirait. « Bon.. Maxeen, tu as de bien belles idées et je ne sais par où tu es passée avant de finir dans la prison de l’Entraille, mais qu’est-ce qui te fait penser que la division du Ginguet nous viendrait en aide ? S’ils souhaitaient réellement reprendre Goldfinger, je ne vois pas vraiment ce qui leur en empêchait jusqu’à présent… Et quand bien même seraient-ils en capacité de le faire, pourquoi nous écouteraient-ils ? » « Ce sont des militaires, Donots, et en bons militaires ils n’exhibent aucun sens critique et se contentent d’obéir aux ordres... Je rigole ! En réalité, la division du Ginguet est menée par le capitaine Flokurt, un type musclé mais bien réfléchi. Il sait que reprendre Goldfinger serait futile s’il ne pouvait y mettre à sa direction une personne de confiance capable de distiller les tensions et de garantir une certaine mesure de sérénité à son peuple, qu’il affectionne. Sachez en tout cas qu’il obéira à mes ordres. » « Et pourquoi donc t’obéirait-il ? », interjecta Lola Ray. « Vous ne prêtez vraiment pas attention à ce que je dis… Il nous écoutera parce qu’il est fidèle à la Dynastie des Percétoile et que je suis Maxeen de Percétoile. Tout simplement. » Le capitaine Flokurt devait être ce qui approchait le plus d’une armoire ambulante. Il n’était pas spécifiquement grand, mais il était massif. En dépit de son physique intimidant, l’homme était jovial et tranchait avec l’image du militaire : celui-ci se tenait souvent cambré au dessus de sa tasse de maté. Après la révélation de Maxeen, l’équipage s’était longuement effiloché et avait convenu de garder Donots aux commandes, ce qui convenait parfaitement à Maxeen. Elle ne se sentait pas de diriger qui que ce soit à l’heure actuelle, à l’exception de l’épave émotionnelle qu’elle était. La contre-offensive avait été organisée, les corsaires déployés en formation globe autour de la stratosphère de Goldfinger. Ils n’attendaient qu’un ordre pour débuter l’invasion. Les ballistes ioniques avaient été rechargées, les artimuses avaient été souquées : la tension était palpable. Il flottait dans l’air un épais parfum d’angoisse et d’anticipation, on sentait presque l’électricité statique courir le long de son dos. Si cette invasion échouait, c’en était fini de la division du Ginguet et Maxeen pourrait s’asseoir sur toute ambition d’un jour récupérer Mesquine. Il avait été convenu de patienter jusqu’à 00h30 avant de lancer l’assaut, horaire à laquelle Jérémiade, le chef-lieu de la planète Goldfinger serait prise d’assauts par les vents solaires. Ce phénomène quotidien avait rythmé la vie sur Goldfinger depuis la nuit des temps : il imposait aux habitants de déployer un habitacle anti-nucléaire sur leur demeure afin de ne pas mourir d’exposition aux radiations. Ces habitacles avaient permis au Royaume de Golfinger se résister aux assauts répétés de la République de Relient K pendant près d’un siècle, avant que les deux nations ne trouvent un compromis et que le Royaume soit assimilé à la République. C’est d’ailleurs suite à cette guerre que la famille de Percétoile avait été nommée aux commandes de la République, qui n’en était plus une. Une fois les abris déployés, les habitants seraient protégés des salves de canons. « Il est minuit trente. Amirale Zingara, veuillez communiquer à toutes les unités notre intention d’engager les hostilités. Les escadres kamikazes d’Alan Lurthamburg ont débuté leurs attaques, nous pouvons d’ores et déjà profiter de la panique induite par ces invasions pour nous emparer plus aisément des centres névralgiques de la planète. Nous devons visiter en priorité les colonnades de Jérémiade, l’arquebuse de Genest ainsi que prendre absolument la forteresse de Sainte-Hilaire. » La voix du capitaine Flokurt portait et faisait écho au travers des couloirs exigus de la frégate corsaire. Pourtant, l’éloquence du capitaine était sereine et chaque mot était clairement détaché du précédent. C’était donc ça que d’être un véritable leader : le capitaine ne misait sur aucun ascendant psychologique ou sociétal, il se contentait de mener ses hommes en leur faisant confiance - et cette confiance, ils la lui rendaient. L’équipage du Cormoran-X01, le nom vaisseau sur lequel naviguait Maxeen, participait lui aussi aux escarmouches. La division du Ginguet avait accepté de réclamer la planète à l’unique condition que l’équipage participe lui aussi aux festivités. Il n’était pas question qu’une division entière regroupant 2470 corsaires et comptant un tout petit peu plus de 37 000 âmes, se sacrifie au nom d’un dirigeant déchu. L’équipage s’était joint à la division à reculons : bien que tous ses membres souhaitaient se rendre sur Goldfinger, aucun d’eux ne souhaitait réellement se retrouver au beau milieu des batailles. D’ailleurs, aucun d’eux n’avait vu de près ne serait-ce qu’une escarmouche, à l’exception des deux cousins Crash et Romeo, anciens militaires - mais à leurs têtes déconfites, il ne faisait aucun doute qu’aucun d’eux ne souhaitait réitérer cette expérience. La guerre marquait les individus à bien des égards et la terreur se terrait dans l’ombre de leurs iris. Vingt-quatre heures plus tard, Jérémiade était reprise et, par conséquent, Golfinger libérée. Maxeen avait les yeux injectés de sang et le souffle court. Le reste de l’équipage du Cormoran-X01 ne tirait guère une meilleure mine. La nuit avait été interminable : Maxeen revoyait encore les corps désarticulés dériver dans le vide intersidéral, comme de médiocres pantins. Dans son repos funèbre, un cadavre n’avait plus aucune faction : aucun d’eux n’était plus du Ginguet, du Labyrinthe ou des Cavaliers, ils n’étaient que morts. Mais le pire spectacle n’était pas celui des corps qui flottaient, mais de ceux qui étaient à même le sol. Jérémiade, la capitale de Goldfinger, était recouverte d’une épaisse couche de sang séchée. Les corps s’amoncelaient les uns sur les autres, les traits tirés et les yeux exorbités - pour ceux qui avaient encore la tête accrochée à leur cou, tout du moins. Des membres arrachés jonchaient les avenues et les allées centrales. Il n’y avait rien de beau à la guerre et l’on pouvait honnir tous ceux qui disaient que celles-ci forgeaient les hommes. Pourtant, dehors, les corsaires célébraient leur victoire. Les combattants débouchaient une multitude de bouteilles d’alcools liquoreux, de tonneaux de bière, armaient leurs pipes à tabac. Ni les morceaux de crâne, ni l’odeur âpre et acide du sang qui flottait dans un miasme ferreux ne semblait les déranger. Ils avaient survécu une nuit de plus, et c’est bien tout ce qui comptait pour eux. Demain, l’euphorie aurait eu le temps de retomber et peut-être se rendraient-ils compte de l’absurdité de leur geste, mais aujourd’hui, tout ce qui importait était de célébrer. Si Maxeen avait eu un peu plus de bouchon, peut-être aurait-elle compris que les corsaires ne buvaient pas pour célébrer, mais pour oublier et que leur humeur joviale n’était qu’une façade. Tous avaient perdu des amis lors de l’invasion, aucun d’eux n’aurait trouvé le sommeil sans s’être martelé le crâne à grands coups de drogues. « Madame de Percétoile, je venais vous informer que... » « Laissez moi. » Sans revêtir la moindre once de méchanceté, son interjection était incisive et définitive. À cette heure-ci, Maxeen n’aspirait qu’au repos et surtout, à l’oubli. Elle n’était plus Madame de Percétoile, elle n’était plus Maxeen, elle n’était plus femme : elle n’était plus que fatigue. Fatiguée de la guerre, fatiguée des batailles, du sang, des hurlements, des vociférations de métal froissé et de canons enclenchés. Ces cris, finiraient-ils un jour seulement pas la quitter ? Elle n’en était pas sûre. Combien n’étaient pas morts à l’impact et avaient hurlé de douleur des heures durant, jusqu’à ce que la lassitude et la souffrance ne les emporte dans l’au-delà ? La guerre n’était pas belle, ce n’était qu’un ramassis de conneries. Nique ceux qui la pratiquaient. Suite à la reconquête de Goldfinger, l’équipage du Cormoran-X01 s’était larvé dans une vieille rabouillère contrebandière. Les minces galleries, creusées à même la roche, abritaient de nombreux alcôves où jadis étaient entreposés diverses marchandises interdites à la consommation : feuilles de laurier noir, distillat de lampraie ainsi que de nombreuses autres substances aussi variées que dangereuses. Maxeen s’était encoffrée dans une chambre et n’était revenue à ses sens qu’une poignée de jours plus tard. Durant son hermitage, elle s’était résignée à s’adresser à l’Assemblée Galactique. Elle ne l’avait que rarement fait par le passé, avant son petit séjour en zonzon, mais elle estimait qu’il était nécessaire pour elle de s’exprimer sur la guerre. Donots, le chef de l’équipage du Cormoran, s’était tenu au courant des échanges tenus en Assemblée Galactique. À ses dires, un dénommé Denior, prêtre de l’Église, avait annoncé la capitulation des Cavaliers. Cette nouvelle ne sembla pas effleurer Maxeen. La jeune femme était torpide, lasse et blasée. Elle ne souhaitait rien de plus que faire son discours, avant de retourner se coucher. Jadis, l’idée de s’adresser à l’ensemble des civilisations la grisait car ce simple acte lui donnait une impression d’importance, mais aujourd’hui, seul le devoir la poussait à accomplir ce geste, elle n’en tirait aucune gloire. Son hologramme apparut dans l’hémicycle, Maxeen avait l’air hagarde et son discours était aussi décousu que son chemisier. « Peuples de l’Assemblée, C’est le coeur lourd que je viens m’adresser en ce lieu. La République de Percétoile n’est plus, ce qui n’est pas une si mauvaise chose, en rétrospective. Elle a chu, suite aux invasions ordonnées par le Labyrinthe et grâce à l’hystérie provoquée par les bombardements, j’ai réussi à m’échapper. J’ai vu de nombreuses choses, des gens qui mouraient, qui hurlaient, un doigt à la dérive. J’ai entendu aussi pas mal de mensonges. Tristan Trevil’s, merci de m’avoir rendu mes planètes. Ce que vous avez oublié de préciser, néanmoins, c’est que vous avez gardé le plus gros butin pour votre coalition. Relient K, ma planète mère, où se trouve Mesquine, vous me l’avez pas rendu. Évidemment, léguer quelques petits cailloux qui ne vous servaient pas trop, c’était une bonne stratégie, ça permet de montrer sa mansuétude tout en permettant de diffamer son opposant en Assemblée. Gagnant-gagnant, comme on dit, n’est-ce pas ? Enfin, je ne cherche pas à provoquer par ire, simplement à effectuer un constat. Pour autant, il y a eu plus de générosité de votre part que de celle de Dot Makh Tak. Après avoir rallié deux de mes quatre pauvres planètes, celui-ci ne s’est jamais donné la peine de me les rendre. D’ailleurs, Sahara Hotnights est tombé à nouveau sous le contrôle de Alan Lurthamburg. Mais ce n’est pas grave, n’est-ce pas, peut-être que Denior récupérera ce qui appartenait naguère à la République de Percétoile. Peut-être nous rendra-t-il ce qui nous appartient, peut-être va-t-il utiliser le prétexte de Halikarnassos pour la conserver… Si ça se trouve, peut-être sera-t-il à l’origine d’une nouvelle guerre et que un nouveau belligérant viendra à nouveau poser pied chez nous. » Maxeen prit une longue inspiration. Elle savait que son discours ne faisait de sens, mais les mots ne lui venaient pas dans le bon ordre. Il lui était tellement difficile d’organiser ce dont elle souhaitait parler, elle avait la désagréable impression qu’un épais brouillard confondait ses pensées et obstruait sa capacité d’oratrice. Elle songea un instant à mettre un terme à la communication, mais se ressaisit au dernier instant. La fugitive savait qu’en cédant à cette pulsion, elle n’oserait plus jamais revenir en ce lieu par la suite, il lui était donc impératif de se reprendre et de s’exprimer clairement, ce qu’elle fit - dans une certaine mesure. « Ce que je souhaitais réellement vous dire, c’est que cette guerre n’a aucun sens. Quand a-t-elle commencé, et pour quelles raisons, au juste ? Sous quel prétexte les cavaliers ont-ils décidé de mener la guerre aux Labyrinthe et à ses consorts ? Peut-être même bien était-ce dans l’autre sens, je dois vous avouer ne pas savoir. La seule chose dont je suis certaine, c’est que tous mes repères ont basculé. Les images montrent Mesquine et ses alentours ravagées, le Palais de la République n’est plus que cendres, la sororité de la Plume Noire réduite à néant. Il ne demeure plus rien de la République de Percétoile, de ma demeure, de mes amis, de ma famille, de tous ceux que j’ai pu connaître. Et au nom de quoi ? De l’égo surdimensionné de certains ? Il est peut-être important de rappeler que dans cette guerre, nous n’avons rien demandé, nous n’étions rien de plus que de vulgaires spectateurs. Lorsque celle-ci a commencé, nous ne possédions guère plus de 500 corsaires stationnés en coordonnée 1 de notre système natal. Nous n’avons rien demandé à personne, et pourtant nous avons été ciblés, pillés, détruits. Peut-être aurait-il été bon de réaliser, il y a plusieurs cycles de cela déjà, que je n’ai participé à aucune bataille, aucune escarmouche, rien, nada ! Et pourtant, les planètes qui me revenaient de droit ont changé de mains plus de fois en sept cycles que dans l’intégralité de son Histoire. Qu’avons-nous fait pour mériter vos bombes, les canons ioniques montés à flanc de chasseur, le fracas assourdissant de vos escadres kamikazes, les paroles perfides de vos diplomates ? Sommes-nous seulement venus une seule fois chez vous ? Non, je ne crois pas ! Avons-nous seulement une seule fois pénétré vos frontières ? À nouveau non, je ne crois pas ! Alors, je souhaiterais que vous m’expliquiez votre folie meurtrière. Pourquoi vous être invité chez nous, sans notre autorisation, en faisant fi de toute bienséance ? Je souhaiterais que vous m’expliquiez aussi pourquoi, après avoir réalisé que je vivais toujours, vous ne m’avez pas simplement rendu ce qui m’appartenait et continué vos futiles guerrillas loin de ma demeure. Au lieu de cela, vous continuez à l'heure actuelle d’occuper mon espace natal. Vous vous livrez encore, à ce jour, à des matchs de ping-pongs à coup de kamikazes, de ralliements, d’invasions, et tout ça, chez moi. Je crois qu’il y a bien quelque chose que je voudrais vous demander aujourd’hui, c’est que vous preniez vos clic et vos clacs et que vous foutiez le camp de ma demeure. Je ne veux pas de protection, je ne veux pas tolérer de base militaire, de protectorat, ni de « je conserve cette planète jusqu’à la fin du conflit, par besoin stratégique, elle vous sera rendue à l’issue des hostilités ». En somme, s’il y a bien une chose que je voudrais vous faire comprendre, c’est que vous n’êtes pas les bienvenus chez nous. Vous avez causé suffisamment de tort à la population et il est temps que nous cicatrisions de nos blessures. Alors vos hostilités, vous pouvez bien vous les carrer où vous pensez, parce que nous on veut juste la paix. Donc merci de nous rendre Relient K, Sahara Hotnights et Amber Pacific, immédiatement, sans conditions ni autre sommation. Merci. » Sans autre forme de politesse, Maxeen mit un terme à la communication. Les prunelles fixes, elle pivota sa tête en direction de Donots et lui fit un hochement de la tête avant de se retirer dans ses quartiers. Pour la première fois en plus de trente jours, elle se connecta à son holocom. Plusieurs messages l’attendaient, aucun d’eux intéressants, sauf un. Elle ne l’avait pas oublié. Un petit sourire aux commissures des lèvres, Maxeen s’endormit enfin paisiblement. Demain, elle lui répondrait, à son seul rayon de soleil.
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