La Nyalnamar Veritas et Première Oratrice des Labyrinthes avait, face aux difficultés du régime à se montrer efficace en temps de guerre comme en temps de paix, décrétée l'échec de sa politique idéologique, le « Justicialisme ». La justice, l'égalité et le traitement honorable de tout peuple, toute personne et toute chose avait été un échec patent dont la marque la plus humiliante demeurait la perte de Sappho aux mains de l'ennemi et l'extrême difficulté avec lesquelles les Forces Libres Labyrinthiques grignotaient le territoire – certes fortifié mais théoriquement isolé – de ses adversaires. Selon les termes même de l'Oratrice : « Il n'est pas possible de se montrer magnanime avec ceux qui ne le sont pas ». Plutôt que de laisser la frustration du peuple et de l'armée monter en pression jusqu'à mettre en danger son rôle même dans la société sapphoïte, elle avait ainsi décidé qu'il était temps de revoir toute sa politique.

Pour ce faire elle jouissait d'une situation assez exceptionnelle, et qu'elle comptait bien instrumentaliser.

Le Grand Conseil, gouvernement d'usage des Labyrinthes, était sur Sappho, qui était occupée par l'ennemi. Pourtant, l'immense majorité du territoire colonial Labyrinthes avait été libéré. Un nouveau Grand Coneil pouvait donc être créé par le gouvernement en Exil. Une occasion de permettre à du sang neuf de pénétrer l'administration et d'y exprimer ses idées. La Nyalnamar Veritas, dans une allocution rituelle, annonça ainsi le début des élections.

Il ne s'agissait pas vraiment d'élections au sens où on l'entend classiquement. C'était une lutte d'influence et de pouvoir se jouant à tous les niveaux de la société. Les labyrinthes suivaient un système politique indescriptible, sinon sous le terme assez obscur d'Oligarchie Philosophique, au sein duquel on faisait combattre les idées dans une multitude épuisante de débats, et où la masse populaire autant que le hasard, la violence et les jugements des conseillers décrétaient pour de bon qui aurait le privilège de diriger l'ensemble.

Ce n'était pas tant un pays qu'une avant-garde holistique, expérimentant les extrêmes occultes, artistiques et philosophiques. On disait de l'ancienne Prusse qu'elle n'était pas un pays avec une armée, mais une armée avec un pays. Les Labyrinthes, eux, sont une avant-garde avec un pays. Même leur façon de choisir leurs dirigeants a quelque-chose de fermement expérimental.

Lorsqu'elle avait ouvert le bal, ordonnant que l'on procède à la création d'un Nouveau Grand Conseil – ce qui risquait de provoquer une petite crise de légitimité à la libération du précédent sur Sappho, la Nyalnamar Veritas savait donc très bien ce qu'elle allait provoquer, et ne s'en faisait pas. Tout était permis. Le sang allait couler, abreuver le terreau de l'idéologie et des débats. De quoi, peut-être, injecter quelques nouveaux principes de gouvernance à son régime.

L'évènement, strictement interne aux Labyrinthes et qui n'était pas particulièrement destiné à être exposé en place publique, l'avait été, malgré tout, par l'action du personnel de l'ambassade labyrinthique à la Capitale Galactique. Plus précisément, les administrateurs, diplomates, fonctionnaires en tout genre traitaient la question comme une espèce de série du moment, particulièrement exaltante, qu'ils suivaient avec un intérêt inversement proportionnel à leur discrétion sur l'une des rares chaînes holonet labyrinthiques diffusant dans toute la galaxie. Fatalement vint un moment où leurs collègues étrangers en entendirent parler et, après eux, leurs supérieurs. Enfin, la galaxie tout entière fut au courant des évènements, et en mesure de les suivre ou les commenter en direct.

Il n'y avait pas vraiment de candidats, mais plutôt des idéologies concurrentes sur lesquelles allaient discuter et se battre des foules, clubs, factions en tout genre, rassemblés au sein des mouvements suivants :

Des démons pour certains, des anges pour d'autres. Pour les primototalistes, l'échec de la Nyalnamar Veritas n'est pas lié à un manque de vision ou d'ambitions, mais à l'éloignement de sa doctrine – le justicialisme – des bases idéologiques du mouvement totalistes et l'ouverture des labyrinthes aux cultures étrangères. Soucieux de protéger le culte du secret et de la mort qui compose le gros de la culture labyrinthique, les primototalistes sont pour un abandon des pensées divergentes et une évolution sans concession de l'idéologie totaliste dans le nouveau cadre galactique. Leurs objectifs sont le secret, leur pensée, mystique, leur façon de voir les choses, fermement conservatrices. Les morts gouvernent les vivants : il est temps que l'adage devienne réalité. Il faut tuer les idées étrangères et préserver les Labyrinthes dans leur splendeur initiale. Continuer l'expérience de pensée. Permettre, une bonne fois pour toutes, à l'extase de la mort de s'épanouir sans se soucier de ce que les autres auraient à dire sur la question. Leur manque de vision ne nous concerne pas. Les primototalistes sont soutenus par l'administration et les psychers.

L’œil fermé d'une éternelle extase. Le Groupement Acéphale est tenant de la philosophie selon laquelle l'acquisition de ressource et d'énergie ne sert, chez l'individu comme au sein de la société, qu'à alimenter des "expériences limites", moment où l'individu ou le groupe s’oublient. Critiquant la notion de consommation et d'enrichissement, ils ne voient de valeur que dans le gaspillage. Comparant cela à l'acte sexuel au cours duquel les individus cessent d'acquérir de l'énergie pour la disperser de façon inconsidérée, sans que des notions comptables ou marchandes n'entrent en jeu. Pour eux la mission des labyrinthes doit être de rendre possible ce dépassement aussi fréquemment que possible : la vie n'est souhaitable que si elle peut être vécue à son plein potentiel. Ils sont partisans de l'accumulation de richesse et de la chute de toutes les notions morales ou éthiques risquant de limiter l'expérience du vivant. Ils considèrent de plus qu'il est nécessaire pour les Labyrinthes de se faire avant-garde de cette idéologie au sein de la galaxie. Tout l'espace peut devenir une expérience limite. Le groupement acéphale est principalement soutenu par les pendants industriels et marchants des Labyrinthes.

La marche forcée du progrès. Les Futuristes ont été traumatisés par la chute des Treize Labyrinthes sous les assauts des kamikazes ennemis. Chez les Labyrinthes, le traumatisme côtoie l'admiration au même titre que la mort côtoie l'amour. Choqués, ils sont tombés amoureux de la puissance meurtrière qui les a vaincu. La relecture de la défaite militaire sous le prisme de l'idéologie du Dominium de Kaiserde – ancienne nation stellaire extra-galactique tenante d'une pensée fasciste – les poussa à développer une philosophie radicale et violente. Le rejet pur et simple de la lenteur, du passé et de l'inaction. Volontaristes, militaristes, fermement nationalistes, les futuristes s'organisent en escadrons, vandales sponsorisés par l’État, répudiant tout conservatisme et n'ayant qu'une phrase à la bouche : Plus vite ! Toujours plus vite ! Plus encore ! Il leur faut plus de recherches, plus de richesses, plus de planètes et de mondes. D'une voracité ambitieuse, il n'existe pour eux pas de plus grand but philosophique ou moral que la défense des Labyrinthes et du progrès sous toutes ses formes. Il faut rejeter les institutions et les convictions antérieures. Briser les statues des perdants de l'Histoire. L'Armée et les scientifiques soutiennent ce mouvement.

[HRP]Et je m'en remets à vos votes pour déterminer quels seront les fou-furieux qui chuchoteront à l'oreille de la Nyalanamr Veritas : Lien pour le vote.