"Le plus grand massacre de cette époque, vraiment." 

Elle resta pensive. Elle avait écouté le petit discours sans rien dire, fronçant parfois les sourcils ou esquissant un mouvement de recul lorsque l'homme s'était mis, sans raisons apparentes, à HURLER A PLEINS POUMONS. Quelque-chose, clairement, n'allait pas chez lui. Cela-dit c'était à prévoir. L'homme était un ivrogne. Qu'elle était la punition appliquée pour ses hommes, lorsqu'ils buvaient trop ? Elle tenta d'y réfléchir, se dit que son interlocuteur était peut-être un chef plus qu'un soldat, et réalisa que les chefs, contrairement à leurs hommes, avaient le droit d'être cliniquement alcooliques. Un bien triste constat.

Tout de même, il y avait des choses à retenir de ce discours. L'homme venait d'un secteur - lequel ? qui avait subi une guerre contre... Une force alien. Sans doute. Sa civilisation se nommait "Svra", nom d'une simplicité élégante, avait quelques alliées, n'avait finalement pas été exterminé par la force hostile. Malgré toute l'agitation de Jim, et toute l'énergie qu'il dépensait à revivre son histoire, Rhea n'arrivait pas à visualiser quelque-chose correspondant aux proportions épiques du récit. Elle avait été éduquée dans les grands palais du Khan, biberonnée à une vision bien spécifique de l’Histoire, où rien d’autre n’était grand que le Mandat, le Khanat qui le défendait et, évidemment, leur chute. Ce "grand" massacre dont lui parlait l’humain était peut-être grand à ses yeux provinciaux, oui. Une petite bagarre régionale. Quelques planètes mettant leurs faibles moyens au service d’une opération de détermitage, sans doute.

Mais enfin, chacun jugeait avec sa propre expérience. Cette guerre, si secondaire qu’elle fut en comparaisons à celles faisant l’Histoire avec un H majuscule, avait sans doute été vécue comme immense par ses acteurs, faute d’éléments de comparaison viable.

Rhea sourit avec bienveillance au paysan alcoolique, et acquiesça poliment.

"Je crois que vous ne devriez peut-être pas boire, zerleg. Mais je suis contente d'apprendre que ces araatan amitad, ennemies de l'ordre et de ce qui est juste, ont été éliminées." Puis elle croisa les bras. Il lui avait demandé de parler d’elle. Ce qu’elle pouvait faire, certes, mais dans certaines limites. Son histoire ne la concernait qu’elle. Contrairement à lui elle n’avait ni besoin de boire, ni besoin de hurler, et surtout pas besoin de parler pour supporter ses problèmes. "Je suis Rhea, dit-elle enfin. Première lame et éclaireuse, chair des fils et filles du ciel, braise de Shambhala, héritière du Khan, qui est le maître du domaine physique et de la chair. Loués soient ses noms, que l'on chante encore les miracles de sa naissance après la mort du dernier soleil, qu'il éclaire encore l'Histoire de son immense sagesse, sur laquelle seize-cent dragons se penchèrent à sa miraculeuse naissance. Et je suis... En mission."

"Je rentrerai à Shambhala, triomphalement et auréolée de la grandeurs des généraux victorieux et des dieux vivants, lorsque par mes efforts et ma sagesse j'aurai restaurée le mandat céleste, assurée la paix sous les étoiles, imposée l'ordre aux malfaisants, et ramenée les tributaires, clans et brigands dans la paix du Mandat Stellaire, protégé par le Khanat et les étoiles."

C'était, considéra-t-elle, un bon résumé de la situation, si un peu trop sobre à son goût.