Les marches militaires seelies jouaient encore à l’extérieur de l’assemblée, où les vaisseaux de transport menaient un balai qu’on aurait pu croire sans fin. La vérité c’est que le temps était compté, et que les nouveaux maîtres des lieux ne l’ignoraient pas. Combien de gouvernement s’étaient-ils suivis à la tête de cette planète ? Combien de massacres, d’invasions, de crises politiques ? Tout était à refaire, et il ne serait pas dit qu’on aurait seulement le temps de commencer.

La vérité c’est qu’une bataille d’un genre terrible venait d’avoir lieu en orbite de la planète. L’invasion s’était faite dans des proportions immenses et la violence de la bataille pouvait rappeler les anciennes grandes guerres qui avaient secoué la galaxie entière. Seulement cette fois, on parlait d’empire à leur apogée technologique, mais en déclin économique, diplomatique et politique. Et si la victoire du Khanat était évidente, la question restait de savoir si elle durerait d’une part, et si non, à quel point la protection de la capitale gréverait le budget impérial. Selon les derniers rapports fournis par l’intelligence de la flotte, on avait éliminé le gros de la force opérationnelle ennemie. Il ne serait pas en mesure de mener un assaut concluant avant un moment, et ne pourrait pas tenir ses mondes en cas de guerre totale. Guerre totale qu’on préférait évidemment éviter. Du temps perdu. Des ressources gaspillées. Il y avait mieux à faire.

Dehors, en tout cas, c'était jour de fête. La population civile ne savait pas exactement à quoi s'attendre de la part du Khanat, mais celui-là semblait promettre un changement, que l'on voulait croire positif. La planète serait administrée, sa population protégée. Il s'agissait, en fait, du retour de la loi et de l'ordre. Quelque-chose qu'aucun des derniers propriétaires de la capitale n'avait été en mesure (ou en volonté) d'assurer, du moins pas dans un registre humain.

Pendant que les soldats paradaient sous les hourras, d'autres se battaient à plusieurs continents de là, écrasant les restes de la garnison précédente, ou éliminant quelques seigneurs de guerre ayant émergés durant la période de laisser-faire.

Dans l'assemblée galactique, enfin, l'agitation était à son comble. Si personne ne semblait croire à la victoire des seelies, ni à leur capacité à s'éterniser au sommet de la galaxie, ceux-là ne semblaient pas non-plus au courant des plans de ceux qui les avaient précipités dans la bataille. Si on redécorait l'assemblée, que des ouvriers se déployaient par dizaines de milliers pour réparer ce qui pouvait l'être et préparer la construction de nouvelles administrations, les discours prononcés par les officiers et capitaines restaient vagues et consensuels : on ne souhaitait pas gouverner la galaxie, mais lui offrir une possibilité de se stabiliser. Toute l'opération semblait menée avec efficacité mais sans but précis. Prendre la capitale, semblait-il, allait simplement de soi pour ce peuple de conquérants.

Vers 16 heures, heures locales, une navette se posa dans l’astroport de l’Assemblée, occasionnant une petite escarmouche entre les restes d’un contingent de sécurité locale, jusque-là maintenus en embuscade, et des membres de la garde d’élite du Brasier du Khanat. Ce fut bien cette dernière qui se rendit immédiatement après au cœur de l’Assemblée, encore couverte du sang de sa dernière victime, se tamponnant la bouche avec un mouchoir blanc tandis qu’un de ses acolytes nettoyait son sabre. Elle portait une tenue de combat radieuse et un grand manteau de plume et de tissus doré qui semblait voler derrière elle.

Une fois montée sur l’estrade centrale, elle se racla la gorge, lança un regard panoramique à l’intention de ces tribunes qu’elle avait tant de fois observées à travers une caméra, et acquiesça silencieusement. Définitivement, ce n’était pas comme ça qu’elle imaginait le jour de son arrivée à la tête de cette planète. Elle rengaina le sabre, désormais propre, qu'on lui tendait, puis sourit.

"Que mille dragons bénissent cette honorable assemblée, qui pourra sans doute constater que je n'ai, hélas, pas été décapitée." Elle cligna des yeux puis repris, d'un ton égal. "Que ce qu'il reste de la galaxie daigne nous écouter, puissions ensemble mobiliser ce qu'il nous reste de force pour, enfin, changer ce déclin en autre-chose."

Elle hésita, puis souleva le menton.

"La question de savoir si ce monde restera ou non aux mains du grand Khanat seelie mérite évidemment d'être posée, et je suppose qu'il nous faut être réalistes : si nous pouvons probablement vaincre militairement ceux qui tiennent ce monde depuis tant de cycles, nous ne pouvons pas imposer à la galaxie une position nous étant favorables, et cela bien que nous espérons de fait représenter une alternative crédible aux quelques autres peuples s'étant dressés pour la capture de ce monde ou son anéantissement.

Je vous propose ainsi de partir du principe que nous resterons bel et bien au contrôle de ce monde, la suite nous donnera raison ou non. Cette opportunité pour nous de garder ce monde contre les forces réfractaires et immorales du chaos et du désordre ne doit cependant pas être comprise comme une volonté impérialiste. La vérité est que le déclin absolu de la galaxie a aussi touché le Khanat, et que les cicatrices infligées à nos mondes par des cycles de guerres et d'occupation aux mains d'ennemis tous plus vils les uns que les autres nous a laissé dans une position inconfortable : ce qui doit se faire ici ne saurait se faire sans le soutien et l'approbation d'une force conséquente acceptant de travailler selon un processus d'union au profit d'une certaine majorité."

Elle fit claquer ses talons et haussa doucement un sourcil lorsqu'une détonation retenti dans le ciel. L’une des épaves de la bataille venait d’entrer dans l’atmosphère à une vitesse qui avait provoqué un bang supersonique. Malgré les meilleurs efforts des ferrailleurs seelies, il faudrait compter sur une pluie de débris pendant au moins une semaine.

"Je propose aux civilisations souhaitant prendre part à ce changement, ainsi qu'aux coalitions encore actives, de s'exprimer ici. Si notre mainmise sur ce monde tient, nous ouvrirons bien vite une salle de doléance où chacun pourra faire part de ses problèmes et chacun s'en saisir.

Elle marqua un temps, puis s'inclina doucement. Lorsqu'elle se redressa, ce fut en affichant un sourire humble.

"Je suis peut-être la Khatan immortelle du peuple seelie, mais en ce qui concerne Vindicte, puisse-t-elle me considérer comme son humble outil. Que des sources d'eau claire vous abreuvent."