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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 17/09/1013 ETU 21:18 |
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Score : 9
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(Note : pour une compréhension plus claire d'une de mes habitudes d'écriture compliquées, dont je n'arrive pas à sortir pas plus que je n'en ai l'envie, voici un petit précis : &c., c'est etc. – et cetera. Voici en supplément un thème musical proposé : http://www.youtube.com/watch?v=YEt41bYQBgE ; bonne lecture !) L'aube se levait sur la grande tache grise. La planète girait ; évidemment trop lentement pour que l'œil pût observer son mouvement, mais assez vite pour que les vastes plaines bleues qui séparaient ses continents s'éclairassent – ou s'obscurcissent, selon la partie que les rayons du soleil caressaient ou abandonnaient. Le jour allait bon train ; d'heure en heure il gagnait cette fameuse grande tache grise qui prenait une bonne partie, le dixième sans doute, du continent où elle était nichée. Elle était lourdement défendue, cette grande tache grise ; mais au fond on savait bien que ce n'était plus qu'une question d'heures... Car cette planète était presque entièrement tombée aux mains des restes de la Confédération Rouge. Son Très Glorieux Kamarade, son Chef Génial, le Premier Confédéré Alexei Dragunov, menait l'expédition de sa main d'acier et de son silence pesant – car le dirigeant refusait obstinément de prononcer la moindre parole, laissant la tâche d'interpréter ses non-dits à un robot créé spécialement pour l'occasion. C'était une flotte brisée, mais fière, les restes de la Glorieuse Nation du Socialisme Dragunoviste forte de plus de cent cinquante mondes-forteresses, disciplinés à coups d'idéologie et d'endoctrinement des masses ; mais hélas, les saboteurs contre-révolutionnaires n'étaient pour autant pas éradiqués. L'État était trop jeune, l'éducation aussi ; les agitateurs firent s'écrouler l'édifice d'acier du totalitarisme en moins de temps qu'il n'avait fallu pour le construire. Des mois entiers de charnier, frères contre frères, des jours et des jours d'éradication systématique de part et d'autre, si bien qu'aucun camp ne pût être déclaré vainqueur, quand bien même les Rouges perdirent la capitale. Ils s'étaient retrouvés dans l'espace, à la recherche d'un nouveau foyer... avec une population essentiellement militaire. Le quart de l'Armada Rouge, la moitié de l'Armée Rouge – qui, supplantant largement en nombre la place disponible dans les vaisseaux, s'entassaient comme ils le pouvaient –, c'était tout ce qui restait. Mais cela fut suffisant ; malgré la ruine des vaisseaux, malgré la pénurie de denrées, malgré le manque d'artillerie, l'espoir était tel dans le cœur des soldats, ingénieurs, officiers, &c., qu'il s'était changé en fureur. En frénésie fanatique qui ne tenait qu'en cri, scandé en chœur par la horde des survivants : « Pour la Mère Patrie, pour Alexei Dragunov ! ». À présent la capitale, cette grande tache grise qui prenait un dixième sans doute du continent où elle était nichée, était prise. « La planète est libérée ! », venait-on de dire. Les Kamarades ne laissèrent pas d'exploser de joie. Enfin un foyer. Un nouvel avenir. Ce peuple en-dessous, dont on venait de prendre les terres par la force la plus brutale et la violence la plus aveugle, devait certainement être opprimé. On allait l'élever de la fange dans laquelle il se roulait assurément. On allait lui faire connaître la Glorieuse Idée du Socialisme, la Fraternité, le Bonheur, les camps de Rééducation par le Travail, et toutes ces merveilleux concepts qu'ils ignoraient. Pauvres brebis perdues. On en prendrait bien soin. Alexei regarda par le vaste hublot tandis que le gigantesque Vaisseau Amiral de l'Armada Rouge entamait sa descente. Là-dessous, un peuple qui allait l'accueillir en libérateur, en Héros de la Révolution, en Façonneur de l'Avenir Radieux. Là-dessous, son destin.
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 20/09/1013 ETU 00:10 |
Score : 10
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(Thème musical proposé : http://www.youtube.com/watch?v=rIY36UbDbQQ ; je conseille vivement de l'écouter à la lecture pour ceux qui ne sont pas gênés par la musique en lisant, parce que celle-ci participe vraiment à l'ambiance x) bonne lecture !) Cela ne faisait que quelques jours que les Rouges avaient « libéré » leur nouveau foyer de la contre-productivité des saboteurs petits-bourgeois. C'est-à-dire du règne des natifs. Les choses allaient bon train : on installait la plus parfaite des démocraties à coups de discours exaltants, de coups de crosse et de balles dans la nuque. Curieusement, la population, bien qu'en nombre largement supérieur au petit milliard de Rouges exilés, se montrait très docile, très réceptive, très exaltée même par les discours ; si bien qu'on finissait parfois par se demander si la violence n'était pas superflue. « Mort à ceux qui entravent la Glorieuse Marche du Progrès ! Le Chef Génial Alexei Dragunov est infaillible ! Voyez comme Il vous a libéré du joug de vos maîtres, voyez comme il a retiré le carcan de vos cous ! Relevez la tête, Kamarades ! Vous êtes maintenant des Confédérés, vous êtes fiers, vous êtes nobles, et nous sommes unis ! Pour la Mère Patrie ! » Les choses allaient bon train selon une mécanique bien huilée, qui avait fait ses preuves lors de « l'éclairement sur la Voie du Socialisme Véritable » des anciennes colonies Confédérées : on laissait aux premiers propriétaires le soin de recevoir les discours et les grandes idées révolutionnaires de la part de la charmante Porte-Parole du Chef Génial ; et pendant ce temps-là les Rouges faisaient table rase du passé. On dynamitait chaque panneau référençant l'ancien nom de la ville – qu'on trouvait fort laid : Abraxa ! le nom d'une ville de fous ! On la renomma du nom de l'ancienne capitale Confédérée, Gorod Krasnyi, ce qui voulait dire « Cité Rouge ». Par la même occasion on renomma la planète, qui portait le même nom hideux et fol que la capitale, Novaya Krasnaya Zemlya, « Nouvelle Terre Rouge ». C'était le nom du monde natal de la Confédération. Très évidemment, les exilés avaient apporté avec eux non seulement leurs armes, mais aussi leur culture. Et comme elle était sans conteste la meilleure, on se dit qu'on devait, légitimement, l'imposer aux « libérés ». Le remplacement de l'alphabet par le leur, aussi soudain qu'inopportun – les natifs ne comprenant pas le Slavianka –, posa quelques problèmes ; l'implantation de la Wodka en posa beaucoup moins – et en adoucit bien d'autres. Mais le souci majeur venait d'une différence énorme, pis encore que la barrière de la langue ou l'accueil obligé : ce peuple ne travaillait plus depuis... un temps qu'on ne saurait dire. Leurs ressources étaient complètement vierges : ils n'avaient pas installé une mine, au plus quelques centrales. Pas une seule ville, pas un seul village en-dehors de la capitale – on avait au départ cru, avant l'invasion, au moment de sonder, à un défaut des radars ; mais à leur grand effarement c'était la vérité – : ainsi quiconque la prenait était le maître absolu. Mais comment pouvaient-ils vivre ? Et bien, ils embauchaient. Leur armée, si opiniâtre sur le champ de bataille, n'était en réalité composée que de mercenaires. Chaque travailleur était employé ailleurs ; on embauchait des agences nomades, qui ne restaient qu'un temps donné, pour s'occuper de tout : tenir les magasins, balayer les rues, bâtir, gérer les centrales électriques ; les ressources, les matières premières, étaient achetées de la même manière... et pendant ce temps-là, les habitants vivaient de rentes procurées par des placements dans les industries planétaires. Huit milliards de gens qui vivaient de leurs rentes, on n'eût pas cru cela possible. Les seuls qui « travaillaient » étaient les politiciens. Ainsi, les Rouges trouvèrent en les Abraxiens un bétail fertile, rompu au menage à la baguette et au suivisme aveugle, à la pensée mutilée, au sens critique embryonnaire. Mais ils y trouvèrent aussi les pires fainéants de tout l'Univers. Pour un peuple qui vouait un culte au labeur, à l'effort, à la cohésion sociale et à la Grande Commune, trouver foyer sur un monde capitaliste, individualiste et fainéant était la pire chose qui pouvait advenir. Mais aux grands maux les grands remèdes : on bloqua toute entrée et sortie de la planète, afin de garder la main d'œuvre piégée à disposition ; on enverrait chaque Abraxien valide au travail une fois le Discours Révolutionnaire bien implanté dans leurs têtes molles, on anéantirait le Grand Capital. Finies les rentes, le pain aux méritants ! Et puis il y avait un travail de titan. Les bombardements, les massacres, avaient causé des destructions affreuses. Il n'y avait plus qu'une aile du gigantesque spatioport qui se voulait relativement opérationnelle, plus d'écoles, aucune infrastructure d'exploitation... cela mettrait déjà un temps énorme ; il fallait mobiliser des ressources sans précédents. Mais les Rouges avaient foi dans le futur. Ils avaient relevé leur planète natale, réduite en cendre après la Révolution, en un temps record. Et puis, la main d'œuvre était, pour ainsi dire, illimitée. Tous les miracles étaient donc permis, et il n'était pas question de traîner la patte ! On avait un Avenir Radieux à construire. Quiconque s'opposerait au bon fonctionnement de la machine Communiste serait broyé sous elle.
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 30/09/1013 ETU 14:49 |
Score : 3
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(HRP : La musique suggérée pour aller avec la lecture de ce pavé, teinté d'accents de grandeur et d'optimisme : http://www.youtube.com/watch?v=3M9wrLN_dV0) Plusieurs cycles s'étaient écoulés. Sur la grande capitale planétaire – comme on sait, Gorod Krasnyi – le Soleil avait passé le zénith. Il irradiait de sa grande clarté une mégalopole qui recommençait finalement à ressembler à quelque chose. Çà et là on voyait bien quelques tours d'immeubles ruinées, des décharges de verre et d'acier rouillé, des cratères béants, si profonds que certains des plus pauvres natifs jetés à la rue par la guerre s'en servaient de piscine municipale dans la plus parfaite innocence. Mais on trouvait aussi des merveilles d'architecture communiste, réalisées dans le plus parfait style architectural Dragunovien, qui remplaçaient les bêtes tours droites et rectangulaires. Des immeubles d'habitation qui donnaient l'impression de vivre dans un petit palais au Kamarade Prolétaire, des bâtiments officiels respirant la gloire et la somptuosité, non plus un comme auparavant, mais DEUX grands spatioports – dont le nouveau, le Dragunovsky, passait pour une merveille d'architecture et de technologie combinées – ; bref, de quoi subjuguer un peu plus d'émerveillement les « libérés » et faire la gloire des « Libérateurs ». La plus belle d'entre toutes ces réalisations respirant le rayonnement du « plus Parfait des Socialismes » était le Palais du Peuple. C'était une tour gigantesque, qui s'élevait en plusieurs niveaux comme une ziggourath, et dont la base était un grand bâtiment en U qui donnait sur la Place Rouge ; et au centre de cette place, une grande fontaine représentant le Peuple hissant un drapeau sur un monticule de gravats. Tout regorgeait de colonnes, bannières à l'eiffigie de la Confédération – drapeau rouge, orné d'un bras contracté surmonté d'une étoile, noirs tous deux –, frontispices aux symboles communistes, statues, etc. ; mais l'élément le plus impressionnant était sans doute était l'immense statue surmontant le dernier niveau de la tour : un gigantesque Dragunov de bronze qui, dans son uniforme impeccable et son allure fière, désignait l'horizon d'une main ouverte. Le tout abritait en son sein l'Assemblée Confédérée et l'Organe Central, les Comités Exécutifs, une myriade de bureaux et de terminaux de communications, de salles d'audience et de réunion, et surtout, jouxtant ses appartements personnels, le Bureau du Premier Confédéré, tout en haut. Bref : c'était le chef-d'œuvre architectural de la Révolution, symbole de la puissance Confédérée et de la Vraie Voie du Socialisme, et autant dire qu'à sa vue les cœurs se remplissaient d'exaltation. Ou d'effroi, selon. Pourquoi décrire autant ce lieu précis ? D'abord pour donner une idée de ce qu'on pouvait éprouver devant cette structure écrasante, colossale et glorieuse. Mais surtout car ce jour-là, une foule incroyable se tenait sur l'immense Place Rouge, devant l'édifice. On allait déclamer le premier discours véritablement officiel, après plusieurs cycles de reconstruction. La masse grouillante du peuple subjugué attendait en bas ; Rouges, natifs, tous se mélangeaient pour ne former qu'un seul grand corps : le Peuple. Et de ça Dragunov n'en était pas peu fier. Derrière la porte vitrée qui conduisait au balcon des discours, il regardait ce qu'il voyait comme son Grand Œuvre avec une fierté démesurée. Son air froid balayait la foule – tant d'exaltation, tant d'émulation pour sa personne ! Lui, le Héros de la... non, DES Révolutions, avait encore une fois accompli une chose extraordinaire. Il regarda sa petite porte-parole, Alisa Dragunova ; fraîche, jolie, si humaine en apparence – et, ce que l'on n'avait pas compté au départ et qui était un bug qui venait d'on ne savait où, en sentiments – qu'il oubliait parfois sa nature mécanique. Elle lui rendit son regard, et dans ces yeux verts tellement vivants on pouvait voir briller l'éclat de l'admiration. Elle adorait tellement son maître que, elle le sentait, cela dépassait son programme qui l'assujettissait absolument à lui. Sa gentillesse, ses sentiments humains avaient beau être continuellement heurtés par la violence du régime qu'il avait bâti autrefois et rebâtissait ici, il n'y avait rien à faire ; elle pouvait lui trouver tous les défauts du monde, elle n'en était pas moins sa plus fervente adoratrice, et si elle avait à choisir entre se sacrifier pour sa pérennité et le trahir pour le bien de son peuple, elle l'aurait choisi lui malgré toute sa douleur. Et puis elle avait le plus grand des honneurs, qui était de parler pour lui – là aussi une prouesse de technologie, car reconnaître les paroles muettes d'un visage totalement fermé était un exploit dont seul elle pouvait se targuer. Il lui fit signe, et elle sut qu'elle devrait encore une fois exécuter sa mission. Ils s'avancèrent sur le balcon et la foule bruissante explosa tout d'un coup. Ce fut un cri immense, une ovation proche de l'orgasme collectif. On voyait le Sauveur, le Héros, le Chef Suprême, le Guide, et tous les titres farfelus qu'on pouvait donner à cet homme froid et implacable. Il restait imperturbable, comme s'il était au-dessus de ces louanges ; son regard glacé fixait ce Peuple pour qui il consacrait ses journées et ses nuit. Il laissa l'essaim de fidèles s'égosiller à hurler des louanges pendant une bonne minute, puis leva la main ; le silence tomba d'un seul coup. Alisa s'avança, chargea son discours dans sa base de donnée ; et puis finalement annula la commande et regarda son maître Dragunov. Et elle sut ce qu'elle... non, ce qu'IL avait à dire. « Kamarades Confédérés ! Peuples Frères ! Très Glorieux Ouvriers, Paysans, Soldats, Intellectuels ; fiers pilliers de notre Très Glorieuse Mère-Patrie ! » Nouvelle explosion d'ovations. « C'est avec une fierté immense que le Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov se tient devant vous ! Devant ce que vous avez accompli, devant cet immense pas fait vers l'Avenir Radieux qui nous attend sur la Vraie Voie du Socialisme ! Depuis la mise à bas de l'odieuse tyrannie oisive qui avilissait cette planète, que de progrès nous avons faits ! Regardez autour de vous... bien des choses ont été faites. Notre capitale a été en partie reconstruite. Les ressources ont été mobilisées pour servir les Grands Desseins du Peuple : pour chaque filon que la fainéantise se refusait à toucher, vous avez implanté une mine. Dragunovgrad, Slava Narudovi, Slava Proletarsky, autant de villes érigées en si peu de temps sur cette planète qui, par orgueil et par paresse, n'en avait érigée qu'une. Mes très chers Kamarades, VOUS avez réalisé une œuvre en quelque cycles qu'aucun autre peuple hors de la Confédération Rouge ne pourra jamais égaler ! Et tout ça par la force de votre volonté ! » La horde fanatique exultait ainsi glorifiée, valorisée. Cette foule de gens, dont la plupart était torturée sous des heures de travail quasi-esclavagistes, avait le sentiment jubilatoire de participer à une grande œuvre sociale, chacun avec leurs petits gestes. On agitait des drapeaux rouges, on scandait des hymnes, bref : on était fier de soi et de la société. Enfin, Alisa reprit, portée par ces ovations faites à la personne de son bien-aimé Alexei. « On pourrait dire que la Grande Reconstruction est achevée et que l'on n'a plus besoin de mobiliser les forces individuelles au service de la Société. C'est un discours de naïfs. On pourrait dire aussi que l'ampleur des travaux est trop importante, qu'il reste encore beaucoup trop de ruines à relever pour y parvenir. C'est un discours de défaitistes. Non, Kamarades ; la Grande Reconstruction continue en ce moment même. Au moment où Monsieur Alexei s'adresse à vous, des centaines d'ouvriers continuent de bâtir, de consolider l'Avenir, exaltés par ce même discours. On leur diffuse par hauts-parleurs en ce moment même, comme ça ils profitent ! Hem... oui, je disais que l'Avenir était en construction... ah oui ! et même une fois les ruines rebâties, nous continuerons, Kamarades, Frères ; nous marcheront toujours plus avant vers la Gloire et le Bonheur, sur la Vraie Voie du Socialisme ! » La foule se retint. On voyait qu'Alisa n'avait pas fini ; aussi vibrait-elle dans l'attente du dénouement grandiose du discours. La petite robote regarda un moment en contrebas ces visages en larmes... de joie, pensait-elle, voulait-elle penser, se forçait-elle à penser. Enfin elle explosa, et, brandissant le poing, avec derrière elle un Dragunov toujours imperturbable, gorgé de puissance tandis que sa voix exaltait les foules, lâcha avec une dans une explosion d'énergie optimiste : « POUR LA MÈRE PATRIE ! POUR ALEXEI DRAGUNOV ! »
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 06/10/1013 ETU 02:20 |
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Score : 3
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Monsieur Alexei, êtes-vous certain que c'est ce que vous voulez ? L'intéressé acquiesça. Perché dans ses bureaux tout en haut du Palais du Peuple, il regardais les trois lunes dans le ciel de Noyvaya Krasnaya Zemlya. L'électricité était encore rationnée, de sorte qu'on n'éclairait que peu la nuit. Aussi, loin de souffrir de la pollution visuelle des grandes mégalopoles, elle était tellement noire avec ses étoiles qui brillaient de mille feux qu'elle faisait une grande carte stellaire. Et ce qu'il voyait était magnifique... une conquête, celle d'un espace vital qui recréerait sa bien-aimée Mère-Patrie, pour le bien des autochtones qui ne savaient pas encore où leurs intérêts réels résidaient. Un rayonnement, le sien, celui de sa Patrie et de son Glorieux Peuple. Enfin ça, c'était ce qu'Alisa pouvait déduire de son regard froid, fixe et perçant. Ce visage impassible avait l'air si méprisant et désintéressé ! mais elle savait qu'il songeait continuellement à rendre leur Très Glorieuse Nation puissante. Les Confédérés avaient à peine reconstruit un fragile équilibre intérieur que Dragunov se tournait déjà vers l'extérieur : pacifier leur Système-Mère des menaces brigandes et des Commandants hostiles, nouer des relations avec leur Secteur, et, enfin, avec la Galaxie. Mais Monsieur Alexei, nous ne pouvons même pas communiquer avec les Commandants extérieurs au Sect... Le regard du Chef Génial glissa vers sa pupille. Alors elle sut tout simplement qu'elle devait se taire et faire ce qu'il lui disait. Elle s'en voulut profondément de l'avoir contredit. N'était-il pas un génie ? Si, mais ce génie-là lui laissait quelquefois un goût amer par son impitoyabilité. Il s'arracha à sa contemplation pour se placer dans le réflecteur holographique de la pièce, imité sa porte-parole. Elle enclencha le réflecteur holographique et dirigea le signal vers l'Assemblée Galactique : la Confédération allait enfin se dévoiler au grand jour. (SUITE : http://www.apocalypsis.org/assemblee/viewtopic?c_topic=3134&c_page=6, 10è post)
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 14/10/1013 ETU 04:45 |
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Score : 7
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(Thème musical conseillé : http://www.youtube.com/watch?v=TP36VNWcpyU . Et une note concernant la fin pour ceux que ça intéresse : c'est un mix de russe et d'ukrainien avec une larme de polonais) Gorod Krasnyi, treize heures vingt-huit, Palais du Peuple, Bureau du Premier Confédéré de la Confédération Rouge. Un dernier rapport venait de tomber. Comme un éclair sur un arbre. Dragunov serra le poing et sa protégée recula. Il n'avait pas changé de visage. Aucun éclair n'était passé dans ses yeux. Juste replié les doigts. Mais elle savait qu'il ne valait mieux pas se trouver à côté de lui à ce moment. Encore un pillage. Ses projets d'expansion se portaient pourtant, au départ, relativement bien. Il avait eu le prétexte rêvé pour bouter un Commandant hors de SON Système : un bête croisement d'ordres, qui avait mené à une prise des planètes ralliées par la Confédération par l'adversaire qui refusa de les considérer comme légitimement communistes. Bien mal lui en prit. Puis on avait écrasé les brigands afin de prévenir les pillages planétaires. Il ne restait plus qu'un obstacle à une hégémonie systémique sous l'aile bienveillante de la Mère-Patrie du Socialisme : le Commandant Valdefrik. Cela devait en théorie être chose aisée ; sa nation, si tant était qu'on pût appeler son petit empire ainsi, se composait de deux planètes. Il ne manquait qu'une excuse pour lancer l'assaut, et celle-ci vint d'elle-même. La Confédération fut victime de pillages malgré la destruction des flottes brigandes. Valdefrik était seul. Ça ne pouvait être que l'œuvre de ce scélérat contre-révolutionnaire, cet ennemi du Très Glorieux Peuple. Qui de surcroît arborait un patronyme germanique. Et qui, en plus du reste, restait muet face aux tentatives de contact. Il était donc l'ennemi tout désigné que la machine Communiste devait broyer sous ses chenilles ! Pour couronner le tout, Dragunov était fort de nouveaux alliés dans son propre Système, arrivés là plus ou moins par hasard, et qu'il semblerait pouvoir utiliser comme protection supplémentaire au cas où un scélérat pénètrerait dans SON Système. Bref : tout était sur la bonne voie. C'était là que les choses avaient commencé à se gâter. Les escadres de l'Armada Rouge échouèrent à envahir la planète-mère adverse, et les rares divisions de l'Armée Rouge qui purent toucher le sol furent trop peu nombreuses pour être un tant soit peu efficaces. Au total, ce ne fut pas moins de trois fois que la flotte Confédérée se cassa les dents sur les défenses de cette maudite planète. Alexei se leva, marcha à travers la vaste pièce. Ses bottes militaires marquaient une cadence lente et mesurée, marquant chaque pas un peu plus lourdement à chaque fois. Son regard était perdu dans l'expression de la plus vive colère ; mais c'était une colère froide, le genre de celles qui fermentent, attendent leur heure et se délectent de leur assouvissement. Maudits pillards. S'il les tenait, il les mettrait en place publique, et laisserait le Très Glorieux Peuple lui-même les dévorer. Il promulguerait un décret spécial qui rendrait le cannibalisme temporairement autorisé, à l'exemple de ce qu'il avait pu le faire par le passé en rendant la vente d'enfants obligatoire pour lutter contre la surpopulation. Il y avait pis encore que ces échecs répétés et humiliants. Une RIPOSTE. Un bombardement sur les flottes Rouges stationnées dans le point de coordonnées de l'ennemi. Ce cafard avait osé persister dans son erreur. Il allait s'en mordre les doigts. Oui, s'en mordre les doigts. Jusqu'au sang, jusqu'aux tendons, jusqu'aux os, jusqu'à les dévorer comme le faisaient certains de ces vampires du folklore Slavianke. Il se retourna d'un coup et donna un grand coup dans la baie vitrée qui donnait sur la ville. Alisa poussa un grand cri de frayeur, choquée par ce soudain accès de rage. Un grand morceau de verre avait traversé le gant de cuir et s'était fiché dans la main de son maître. Elle commença à s'approcher doucement de lui, morte d'inquiétude ; un coup terrible, qui lui aurait cassé le nez en mille morceaux si elle n'avait été faite de métal, fut tout ce qu'elle reçut pour ses attentions. Il regarda couler les gouttes de sang sur le tapis de son bureau en reprenant contenance. La douleur le calmait, lui rendait la tête claire. Il vit maintenant ce qu'il devait faire pour résoudre cette crise. Il avait péché d'orgueil en voulant à tout prix prendre la planète mère de son adversaire. Tant pis pour sa victoire rapide : le Peuple attendait des résultats, et le Parti, malgré la toute-puissance du Chef Génial, commençait à se montrer surpris de ne recevoir aucune nouvelle sur l'avancée du front – car chaque victoire était usuellement portée en triomphe dans une hystérie médiatique parfaitement orchestrée. Ce n'était plus un grand coup qu'il fallait viser, c'était une réussite. Et pour ce qui était des pillages... il transformerait la Mère-Patrie en forteresse de laquelle personne ne pourrait plus ni rentrer ni sortir, une fois qu'il en aurait fini avec Valdefrik, si tant était qu'il fût bel et bien à leur origine – ce que la propagande avait ordre de relayer à chaque assaut brigandier, mais dont lui n'était pas certain. Il inspira, tapota la tête d'une Alisa en pleurs – qui en fut presque à s'arrêter instantanément pour ronronner –, reprit son éternel visage de marbre et alla à l'interphone. Sa voix tranchante et glacée fit tressaillir la secrétaire dans l'antichambre ; elle avait l'habitude de celle, douce et mélodieuse, de sa porte-parole. « Peremistyti Generala Zhokov v moiym ofisy*. » Dernier regard à sa main. L'effet calmant passé, le poignard de verre fiché dans celle-ci commençait à lui être douloureux. « I likvrach**. » *« Amenez le Général Jukov dans mon bureau. » ** « Et un médecin. »
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 21/10/1013 ETU 22:05 |
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Score : 6
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(HRP : Thème musical fort conseillé pour ce petit intermède civilisationnel : http://www.youtube.com/watch?v=u1l2zGbRHeQ. Bonne lecture !) L'histoire de Cléarque l'Abraxien. Cléarque était un bonhomme sans histoire et un peu bête. Quand la planète et la ville s'appelaient encore Abraxia il vivait mollement sur ses rentes et pesait cent-cinquante kilos. Il ne sortait jamais de chez lui parce qu'il était trop lourd pour ses guiboles. Il était content de vivre comme ça parce qu'il ne savait pas comment on pouvait vivre autrement. Il avait une femme qui avait cinq bourrelets sur le ventre et deux enfants ronds comme des baudruches. Ils étaient contents de vivre comme ça parce qu'ils ne savaient pas comment on pouvait vivre autrement. Leur appartement était douillet et personne ne travaillait. Le clodo du carton d'en bas de l'immeuble vivait aussi d'un petit placement. Pas assez pour une maison, assez pour avoir à peu près de quoi manger tous les jours. Ça faisait qu'on n'avait pas besoin de lui donner de l'argent pour un sandwich. Un jour des soldats dans des armures de rouge et d'acier vinrent de l'espace et massacrèrent tout le monde. Un tank détruisit son immeuble pendant qu'un véhicule hurlait de se rendre à leurs libérateurs. Mais c'était idiot parce qu'ils s'étaient déjà rendus. Apparemment peu importait parce que les envahisseurs rasèrent la ville. Ils dirent alors qu'ils les avaient libérés et qu'ils allaient reconstruire une société meilleure avec des tas de promesses et plein d'énergie. On n'était pas habitué à voir une énergie pareille. Les Abraxiens étaient fascinés par ces Rouges comme ils s'appelaient. Il y en avait une poignée qui avait contesté mais on ne les avait jamais revus. Et puis on avait fini par les faire tous travailler. Ils se montraient heureux de travailler pour construire ce fameux futur meilleur. Cléarque était de ceux qui étaient le plus contents parce que pour une fois il y avait quelque chose de dynamique dans sa vie. Et que le Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov avait toujours raison. On ne les faisait pas assez manger alors il perdit quatre-vingt kilos. Ils ne dormaient pas assez alors ses yeux avaient deux énormes cernes qu'on aurait dit des cocards. Il perdait ses cheveux. Il perdait ses dents. Il puait parce qu'il ne se lavait pas. Il était épuisé. Pourtant il était content même s'il ne comprenait pas pourquoi leurs libérateurs avaient l'air de les torturer ni pourquoi certains avaient l'air malheureux. C'était peut-être parce que les corps qu'ils empilaient à longueur de journée les premiers cycles empestaient. Ils faisaient de grandes tours un peu comme des mikados et puis les Rouges y mettaient le feu. Alors ça puait encore plus et ils les forçaient à regarder. Des fois on entendait un cri qui sortait du brasier alors ça faisait rire un soldat. Mais on leur avait dit qu'il fallait déblayer les corps avant de reconstruire et qu'on n'avait pas la place pour les enterrer. Alors Cléarque était content parce que même si c'était un boulot horrible il servait à quelque chose. Le temps passant les immeubles étaient reconstruits et son appartement était encore plus beau que l'ancien. Sa femme et ses enfants avaient un peu travaillé le temps de la Glorieuse Reconstruction et maintenant ils allaient tous les trois à l'école pour apprendre un métier. Cléarque était brisé mais il continuait de travailler dans une mine de métal dix heures par jour. Les Rouges avaient tenu leur promesse d'avenir meilleur. On ne s'ennuyait plus. On découvrait l'existence de plein de gens grâce à leurs nouvelles valeurs de solidarité et de camaraderie. On s'appelait Kamarade ceci Kamarade cela. On avait du temps libre en fin de semaine pour faire plein d'activités culturelles. Les soins étaient gratis et l'école aussi. Et puis on découvrait que de bouger ses fesses soi-même ce n'était pas si mal. Bref Cléarque l'Abraxien était un bon camarade Confédéré avec le sourire et sa carte du Parti. Un jour de fin de semaine, tandis que sa petite famille était sortie, une escouade de Miliciens du Peuple vint le chercher. Ils défoncèrent sa porte, l'envoyèrent à terre d'un coup de matraque qui lui brisa la mâchoire, le menottèrent et mirent un sac sur sa tête. Il fut traîné au sol hors de son appartement. Des cris, des mots confus, des ordres fusaient : « Ennemi du Peuple ! », « Bourgeois ! », « Avance, chien de capitaliste ! » ; et on le rouait de coups. Il semblait même reconnaître la voix de ses voisins l'injurier. Il fut traîné pendant une heure jusqu'au poste de police, les vêtements déchirés, les mains enflées et violacées qui lui faisaient abominablement mal, des ecchymoses partout qui le faisaient devenir une boule de douleur à vif. Il n'entendit pas les questions que le Kamarade Commissaire lui posa ; l'interrogatoire dura quatre heure, durant lesquelles il ne put dire que les seuls mots de Slavianka dont il se souvenait : « Dak » et « Nie » ; l'un quand il sentait qu'on lui demandait s'il aimait la Mère-Patrie et le Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov, « Nie » pour tout le reste. Il dut dire cent-quatre fois « Da ». À la fin, on lui dit : « Nam soobshchyly po vashuy deyatelnost sabotazha. »* Cléarque ne ressortit jamais du poste. Sa femme pleura beaucoup, mais tout le monde l'oublia. Aujourd'hui, on ne retrouve même plus son nom dans les registres des décès, pas plus que dans le registre des naissances. *« On nous a informés de vos activités de sabotage. »
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 29/10/1013 ETU 18:29 |
Score : 3
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« Irina ! Les infos ! Viens voir vite ! » L'appelée passa la tête par l'embrasure de la porte du salon. C'était une jeune Slavianke, pâle, très blonde et aux yeux en amande d'un bleu limpide, au visage rond doté d'un nez court et rond sur le bout, et d'une bouche charnue qui lui donnait un air boudeur. Et une large cicatrice brune qui partait de son arcade, prenait toute la joue gauche en largeur, et finissait sur la mâchoire ; léchée une fraction de seconde par la flamme d'un Carboniseur. Et le front grêlé à cause des éclats de grenades. Et les lèvres encore gercées du froid de la vie en souterrains. Bref, une belle jeune femme d'à peine vingt-cinq ans, que la guerre civile si loin et pourtant si proche avait marquée... et pas que physiquement. Elle était autrefois une patriote invétérée, une communiste presque fanatique, idéaliste et admiratrice du Très Glorieux Kamarade Dragunov, prompte à la verve et à user de ses poings, voire de son fusil en temps de guerre ; mais le conflit avait éteint son sang chaud de Slavianke et l'avait laissée prompte aux soupirs, aux « Tu fais chier... » désabusés. Dans la petite pièce de l'appartement, il n'y avait pas moins de trente Kamarades, hommes et femmes. On se demandait comment ils faisaient pour faire rentrer et tenir tous ces corps dans un espace aussi réduit – Irina pensa avec amusement à un jeu de Tétris. L'air en était moite et gris de l'atmosphère que répandaient les nombreux fumeurs présents dans la salle. La table basse devant le divan, seul lieu non occupé par une quelconque parcelle de chair, était un endroit sacré : c'était là qu'on avait posé les dix bouteilles de cinq litres de Wodka. Du coup personne ne prenait le risque de s'en approcher, outre pour se servir un verre. On préférait s'entasser par terre, sur la table des repas, sur les genoux du voisin, bref partout ailleurs qu'autour de la sacro-sainte liqueur. « Ira ! Proklyatye, vas-tu venir ! ça commence ! » Son mari, Kim, Sinéen de souche qui tâchait de se donner des airs de Slavianke pour faire bien en société – ce qui lui donnait un air ridicule quand il lançait des jurons avec un fort accent dans une langue qui n'était pas la sienne –, n'avait pas vu qu'elle regardait par l'encadrement de la porte car il avait les yeux rivés sur l'écran. Il était assis au centre du divan, en face du poste de télé ; c'était la place privilégiée, celle du maître de maison, que PERSONNE ne pouvait lui prendre. Déjà qu'il avait la bonté de se montrer bon Kamarade en accueillant trente personnes dans son minuscule appartement ! Mais c'était ça ou les laisser aller chez ce connard de Sergius, le seul autre Kamarade à avoir une télé dans tout l'immeuble... il avait souvent voulu le dénoncer aux autorités, ce salaud, mais Irina avait toujours refusé sous prétexte que les Abraxiens étaient nos frères, et d'autres inepties du genre. Elle alla s'asseoir sur ses genoux osseux en enjambant les Kamarades, soupirant de voir autant de monde pourrir son sol. On avait beau être tous égaux et partager les frais et ne toujours pas pouvoir se payer une télé malgré la qualité de vie que l'État leur assurait, c'était quand même chiant d'accueillir tout l'immeuble à chaque flash spécial annoncé. Elle n'aimait pas ces grandes réunions et elle en culpabilisait un peu ; mais c'était surtout à cause du capharnaüm que les Kamarades causaient chez elle. C'était pénible à ranger, et puis elle préférait les soirées tranquilles à lire les Grands Faits et Actions Éclatantes du Très Glorieux Kamarade Dragunov. Son mari passa une main affectueuse autour de sa taille ; et elle, en réponse, se cala contre lui de manière à ce qu'il dût se tordre le cou pour y voir quelque chose. C'était SON idée, alors elle allait le faire chier au maximum ! Elle désigna la table basse. « Passe-moi la Wodk... » Elle s'interrompit net. Le journal débutait enfin, personne ne devait parler quand le journal commençait – des fois qu'un Kamarade du Parti parlât. Même à travers la télé on ne devait pas couper un Kamarade du Parti. Ce n'était pas une loi, mais c'était la règle. Le générique était assez spectaculaire ; c'était d'abord la planète-capitale Confédérée qui surgissait de l'espace, puis un zoom à toute vitesse vers la grande tache grise que formait Gorod Krasnyi. On serpentait les rues, on longeait les immenses édifices ornés des bannières de la Glorieuse Mère-Patrie, on arrivait sur la place devant le gigantesque Palais du Peuple et son immense tour ornée de la statue du Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov, leur Grand Timonier, leur Chef Génial. Enfin le titre apparaissait en caractères écarlates, surmonté du drapeau national qui claquait au vent : Новони Дня – Novosty Dnia, « Nouvelles du Jour ». Quand le présentateur se mit à parler de sa voix solennelle, tout un chacun retint son souffle. Même de tirer sur sa cigarette ou de boire le verre qu'on avait rempli. « C'est une victoire totale sur l'ennemi sans foi ni loi qui parasitait jusqu'à il y a quelques heures notre Système-Mère en menaçant directement notre Très Glorieuse Mère-Patrie et nos Kamarades. Le tyran Valdefrik n'est plus. Notre Très Glorieuse Armée Rouge a balayé toutes les résistances acharnées que l'ennemi contre-révolutionnaire menait depuis plusieurs cycles ! Aldebarande a été prise et les infâmes dirigeants de la caste politique traîtresse de leur nation dégénérée ont été jugés par un tribunal populaire libre et indépendant, et exécutés. Nous vengeons par cela les exactions commises à l'encontre de notre Très Glorieuse Mètre-Patrie et nos soldats tombés au combat ! » Explosion de cris de victoire dans le salon. Les voisins du dessus, qui écoutaient la radio – c'était moins cher que la télé –, tambourinèrent sur le plafond en gueulant. On se tut bien vite, l'image ayant changé pour laisser place à l'hémicycle de l'Assemblée Confédérée, à l'intérieur du Palais du Peuple ; hémicycle dont les dorures, les sculptures et gravures, le velours écarlate des fauteuils, les plaques de bronzes, les armoiries communistes, l'étoile rouge au plafond qui servait de luminaire, &c., provoquaient l'admiration des Kamarades chaque fois qu'ils pouvaient le voir. Le Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov était monté à l'estrade face aux sièges des Délégués, Lisa – le diminutif affectueux d'Alisa Dragunova – s'étant mise à la barre en-dessous de lui pour communiquer son discours. « Kamarades Délégués de l'Assemblée Confédérée, notre victoire est totale ! » Pluie d'ovation, derrière et dedans l'écran. Kim s'étira le visage vers le bas, exultant comme un supporter. « En ce jour nous fêtons notre victoire et nos Glorieux Kamarades Soldats pacifient les dernières soubresauts de l'ennemi. Que cela soit un avertissement à ceux qui voudraient menacer notre Très Glorieuse Nation ! Bientôt le Très Glorieux Kamarade se rendra sur Aldebarande conquise afin de rencontrer pour la première fois nos Kamarades Néréides, qui comme vous le savez ont tété promptes à nous aider contre les belliqueuses armées de Valdefrik. Puisque vous avez décidé par un vote unanime, juste avant que je ne monte à cette barre, de réitérer la confiance de la Nation en notre Chef Génial en acceptant sa proposition d'entamer des discussions avec nos nouveaux adjuvants, ce afin de bâtir une alliance solide et durable ; Kamarades, j'ai l'honneur de vous annoncer que notre Cher Dirigeant ne vous décevra pas ! Hourra pour le Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov ! » Le petit salon explosa de joie et la Wodka se mit à couler à flots. On se mit à chanter, à faire la fête : on avait enfin gagné ! Boris et Klearchos, le couple homosexuel Slavianko-Abraxien de l'immeuble, symbolisaient la Fraternité du Peuple dans la Fête en se galochant sous les rires gras des joyeux lurons. Deux femmes Slaviankes qu'on ne connaissait pas dansaient une mazurka en bousculant allègrement tout le monde. Les chaises finirent toutes par terre, arrosées par une vague d'alcool accidentellement tombée d'un verre tenu d'une poigne déjà grisée d'ivresse. Trois Kamarades étaient penchés à la fenêtre et lançaient des acclamations vers un groupe de passants qui, saouls comme des cochons, se roulaient sur l'asphalte en riant et en se donnant des gnons. Bref : la victoire faisait des citoyens Confédérés des hooligans patriotes. Elle libérait les cœurs habituellement contenus, l'espace d'une soirée. Un quart d'heure plus tard, on savait que si la rixe n'avait pas cessé la milice les embarquerait tous, et qu'on ne les verrait plus avant un bon moment. Irina quant à elle essayait de se dégager en pestant et riant des bras de son mari qui se faisaient grivois, mi-colère mi-amusée. Dans la cohue des festivités elle avisa le portrait du Très Glorieux Kamarade, au-dessus du poste de télé. Il les regardait de son air déterminé et volontaire. Quel homme, vraiment ! Elle se sentait fière d'être Confédérée, d'être Rouge, de suivre le Héros de la Révolution. Il allait bâtir un futur meilleur avec ces Néréides dont elle n'avait jamais douté malgré les propos assassins que les officiels tenaient souvent sur eux. Il allait ramener une paix stable et durable ; c'était la seule chose à laquelle elle aspirait. Toutes ces perspectives lui insufflèrent une note d'optimisme, et, tout en chassant les mains désobligeante de Kim, elle prit une bouteille et but à grandes gorgées en levant le bras en signe de triomphe. Heureuse et fière de son pays. Et pendant qu'on faisait la fête, un commando de la Milice du Peuple pénétra avec fracas dans la maison de ce connard de Sergius. (HRP : La rencontre annoncée aura lieu ici : http://www.apocalypsis.org/assemblee/viewtopic?c_topic=4355&c_forum_page=1, septième post)
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 26/12/1013 ETU 23:15 |
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Score : 3
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(Thème musical proposé : http://www.youtube.com/watch?v=HK2lNuiD7gM) « La Mère-Patrie a besoin de toi. Sauve le sang des Kamarades, porte-toi volontaire ! » Le message était placardé sur tous les murs, sur tous les panneaux. Il avait même été envoyé sur les boîtes mail de chaque citoyen Confédéré disposant du Réseau Internet National. Un Kamarade Soldat dans son énorme armure de combat, armé de son AK-Kal.5, fixant l'horizon ; et en arrière-plan, le ciel avec de grands rayons écarlate. Et bien entendu, le message en lui-même. Les affiches allaient par trois : l’une écrite en Slavianke, l’autre en Sinéen, la dernière en Abraxien ; bref, tout était fait de sorte que tout citoyen Confédéré pût aisément comprendre le message. Parfois il passait à la télévision sur un spot d'une minute ; on y voyait la Très Glorieuse Armée Rouge se déployer sur des terrains aux horizons exotiques, établir une base, planifier quelque chose. Pas un seul tir, mais une mécanique militaire bien huilée et apparemment infatigable. À la fin, un des soldats se retournait vers la caméra, relevait la visière teintée de son scaphandre et disait fièrement : « La Mère-Patrie a besoin de toi. Sauve le sang des Kamarades, porte-toi volontaire ! » Il y avait des bureaux de recrutement absolument partout. La Mère-Patrie avait un besoin vorace de soldats potentiels. Elle avait engagé des milliers de soldats de métier pour servir dans les Corps Expéditionnaires de l'Armée Rouge, là-bas, loin dans le vide de la nuit sidérale. Les chantiers spatiaux tournaient à plein régime. Les ouvriers, motivés comme jamais par les chants patriotiques déversés à longueur de journée par des hauts-parleurs, manœuvraient d’immenses machines qui façonnaient les croiseurs gargantuesques de l'Armada Rouge. Poussés à l'extrême par la ferveur et les « Toka’ » des contremaîtres, ils abattaient des journées entières de labeur, rentraient chez eux cassés mais contents. À l’école, les professeurs enseignaient la triste nécessité du « Communisme de guerre » et apprenaient aux enfants les méfaits de l’Empire, de l’Épée et de Popo. Que ce ramassis de déviants impérialistes ne méritait que d’être renversé et ses hommes exécutés. De grandes manifestations de soutien au Très Glorieux Kamarade Alexei avaient lieu dans chaque République Confédérée, sur chaque colonie, dans chaque ville, à un moment ou à un autre. Car au Palais du Peuple, l’Assemblée Populaire Confédérée avait voté la guerre. L’Empire veut la mort de la Galaxie, des Kamarades et de la Mère-Patrie ; il veut asservir et anéantir la Glorieuse Idéologie du Communisme ! Plusieurs expéditions avaient été envoyées et la lutte était âpre. Des milliers de vaisseaux avaient été envoyés à la poussière ; des centaines de milliers. L’Armée Rouge, l’Armada Rouge, déversant par fournées leurs forces pour un pouce de terrain, pour une parcelle d'un point de coordonnées. Des centaines de millions de braves Kamarades pouvaient mourir en quelques heures, broyés, brûlés vifs par les bombardements hyperatomiques ; et instantanément ils étaient remplacés par d'autres centaines de millions. Toujours plus hargneux. Toujours plus avides d'en découvre, de venger leurs frères tombés pour la défense de la Mère-Patrie. Les slogans haineux. La propagande omniprésente. Les restrictions et le couvre-feu. Les journées de labeur harassant. Les pleurs endeuillés de milliers de familles. La vengeance et la haine. La sacrifice terrible et Glorieux de la jeunesse Confédérée – hommes et femmes. En un mot, le « Communisme de guerre », poussé à son paroxysme. Accepté, de gré ou de force, par sept cents quatre-vingt-quinze milliards soixante-trois millions soixante-dix-sept mille cinq cents trois Kamarades. À suivre...
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Cdt. Dragunov
Respect diplomatique : 349 09/03/1014 ETU 04:40 |
Score : 3
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Vide. Tristesse. Vide. Chagrin. Vide. Malheur. Vide. Désespoir. Vide. *** Nova Krasnaya Zemlya, Gorod Krasniy, Palais du Peuple. Le IIe Confédéré de la Confédération Rouge, Dragomir, Numéro Deux du gouvernement — et depuis peu de facto co-Numéro Un de l'État Confédéré — prenait l'ascenseur qui le mènerait au Bureau du Premier Confédéré. Les étages se succédaient un à un, pas lentement, mais pas vite non plus : Dragunov, lorsqu'il était encore au pouvoir, avait fait ainsi en sorte que chaque personne qui le rencontrerait pût tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de s'adresser à lui. Propice à la méditation donc, et c'était ce que faisait Dragomir. Il méditait sur les événements. Il y avait eu cet... événement. Le coma du Très Glorieux Kamarade. Comment, pourquoi, de quelle façon, tout avait été expliqué au Peuple... mais c'était la version officielle. Personne ne devait savoir ce qui s'était réellement passé ; lui et Alisa veillaient personnellement à cela. Tout avait même été effacé des archives et réécrit par les soins de la robote, qui avait pu pénétrer les précieuses données. La sécurité du Très Glorieux Kamarad en dépendait... et lui et elle feraient tout pour cet homme. Tout. En l'absence du Chef Génial, les opportunistes n'avaient pas manqué de se réveiller au sein du Parti. Les purges, les procès politiques, les mystérieuses disparitions de ceux qui murmuraient n'y changeaient rien, et c'était calamiteux. En désespoir de cause, il avait dû jouer de son influence considérable et évincer par un moyen ou un autre un nombre incalculable de personnes pour pouvoir combler le manque. Alisa était toute désignée. C'était elle qui connaissait le mieux Dragunov, elle qui intégrait le mieux ses volontés, sa psyché, sa personne ; il lui serait infailliblement dévoué. Dans son esprit, Alisa Dragunova et Alexei Dragunov n'étaient que deux faces de la même pièce. L'État avait besoin d'Alexei Dragunov pour avancer dans la Vraie Voie du Socialisme. Alisa Dragunova était Alexei Dragunov. *** Vide. Vide de la pensée. Seulement les calculs, rationnels et mathématiques, de la meilleure chose productive pour l'État et le Peuple. Les choses prises une à une, analysées, assemblées selon un ordre logique et objectif, tendu vers l'objectif final : le Bonheur du Peuple, la sauvegarde de l'État. Désespoir. La pensée que les opportunistes du Parti pussent à ce point continuer à grignoter la stabilité de la Naton lui aurait donné la nausée si elle avait pu la ressentir. Alisa se leva et se dirigea vers la baie vitrée qui donnait sur la Place Rouge, sur la ville en deuil. Dragunov n'était pas mort, mais c'était tout comme. Des lustres que les gens ne portaient plus que le noir, continuaient de pleurer en silence, dans la dignité que la force — et l'éducation — des Kamarades insufflait aux âmes des Rouges. Des lustres qu'elle nageait dans un océan de malheur, qu'elle portait à bout de bras un État dévoré petit à petit par les complots qui refusaient de s'étouffer depuis que le Chef Génial n'était plus là. Elle n'en pouvait plus et elle voyait une nouvelle guerre civile approcher. Elle avait pris toutes les dispositions nécessaires pour l'éviter... ce serait une question de temps. Cette idée l'apaisa quelque peu ; mais bien vite, la noirceur de son chagrin reprit le dessus et elle se mit à sangloter, front appuyé contre la vitré. Vide. Vide de la Machine. Les choses prises une à une : *si guerre civile inévitable, *donc seule issue = fuite OU combat *combat = fratricide = improductif *fuite = probabilité de {survie ; nouveau foyer ; pas de combat fratricide} = productif *éléments sûrs rassemblés = OK *éléments néfastes laissés derrière = OK *Vaisseau-Monde = EN ATTENTE (terminé ? → confirmation de Dragomir attendue) => Exode : EN ATTENTE. Nostalgie. Alisa revint à elle. Elle haïssait et aimait tout à la fois ces moments soulageants où sa conscience sombrait dans l'horrible néant de la Machine. Le noir état dans laquelle elle se trouvait depuis ces quelques semaines la forçait à abandonner, quand tout lui était trop insupportable, son humanité ; alors elle pouvait, à la différence d'un humain — voire d'un être organique — arrêter de penser. Il lui semblait que sa conscience disparaissait, mais qu'en même temps elle accédait à un degré supérieur de lucidité, de conscience, qui l'aidait dans les situations les plus difficiles. Rien à voir avec avant, lorsqu'elle utilisait ses programmes pour empêcher ses émotions de se voir dans sa voix, son ton, sa posture, son être, ou bien pour montrer celles que les circonstances obligeaient ; elles ne disparaissaient pas, sa pensée restait intacte, ses sentiments de même : elle restait humaine. Là... elle n'était plus qu'une machine qui calculait selon des règles précises, qui n'obéissait qu'à un seul programme : la perpétuation de l'État Communiste Dragunoviste de Confédération Rouge. « L'état de Machine », comme elle l'appelait, ne durait que pour un temps selon sa propre volonté — là était tout le paradoxe : où était la volonté dans la machine ? restait-il un relent qui la forçait à revenir à Alisa ? la Machine seule la ramenait-elle à elle-même ? —... mais elle y avait de plus en plus recours. Et quelquefois ça arrivait sans qu'elle, Alisa, l'eût voulu. Alisa... avait peur. Elle avait peur de ce qu'elle allait devenir. *** Dragomir était arrivé. Il traversa le long couloir qui menait à la grande porte du Bureau du Premier Confédéré. Il salua les dix Gardes Rouges disposés dans le vestibule qui protégeaient la précieuse porte. Il admira, comme à son habitude, l'œuvre magistrale du sculpteur sur bois qui avait représenté sur les deux battants une scène de bataille : des Kamarades Soldats et des Kamarades Partisans, tenant armes et drapeaux, fondaient comme une mer impitoyable dessus une troupe ennemie, non moins courageuse mais vouée à la destruction par la poigne d'acier des Kamarades. Et les Rouges étaient guidés, devant, par le Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov ; il avait la machette et le pistolet au poing, il brûlait la cervelle d'un ennemi qui le chargeait. Triste sort que lui avait réservé le destin... La réflexion fit soupirer Dragomir ; il entra.
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