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Cdte. Téthys
Respect diplomatique : 340 22/10/1013 ETU 23:07 |
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Score : 8
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[RP récit, ne pas répondre donc!] Noir. Chaud. Humide. Maman. Calme. Bonheur. Temps. Bonheur. Maman. Chaud. Noir. Humide. Bonheur Bruit. Froid. Force. Froid. Peur. BLEU. Froid. Peur. BLEU. Bruit. Froid. Peur. BLEU. Bruit. Mouvement. Bruit. BLEU. Mouvement. Peur. Tiède. Froid. Peur. Froid. Chaud. Noir-bleu. Peur. Silence. Chaud. Calme. Noir-bleu. Silence. Calme. Solitude. Bruit. Mots. Eau. Noir-bleu. Maman? Sommeil... Temps. Beaucoup de temps. Beaucoup de sommeil. Voix. Beaucoup de voix. Du sommeil. Une histoire. Une histoire dans les voix et dans l'eau et dans la tête. Une histoire comme ça : La vieille dame lentement, inlassablement, depuis longtemps. Le truc, quand on marche lentement, c'est qu'on se met à regarder partout. Et tout lui rappelait quelque chose, alors qu'elle avait oublié jusqu'à son âge. Le grand ciel gris. Il avait toujours été gris. Parfois blanc quand on avait de la chance. Bien plus noir que la nuit quand on en avait pas. Les nuages toujours en rayures grillagées. Quand elle était petite, elle croyait que c'était parce que les avions bombardiers lacéraient le ciel avec des traces grises. A treize ans, elle avait vu un véritable avion pour la première fois, et elle s'était aperçue que c'était la fumée des immeubles qui brûlaient qui grillageait le ciel. Les maisons du bas quartier, où elle avançait. Innombrables. Minuscules. Collées. Identiques. Elles avaient toutes un grillage, elles aussi. Toutes grises, ou brunes pour celles qui étaient près du canal des égouts. Ça lui rappelait quand l'herbe elle-même était devenue grise, à cause des produits chimiques qui infectaient la terre. Et puis aussi, toutes ces maisons serrées ressemblaient aux foules serrées et compressées contre les murs par les tanks de sécurité, jusqu'à ce que toute la foule passe du gris au rouge. Ce qui était resté après ressemblait exactement au canal des égouts qu'elle dépassait lentement. La route qu'elle longeait. Grise. Infinie. Brûlante, parce qu'il faisait toujours très chaud dans la ville. Les gens ne la regardaient jamais, parce que ça les faisait désespérer de ne pas voir sa fin. Mais pas elle. Elle avançait. Lentement. Ça lui rappelait son mari à la peau noire, si belle à l'époque. Lui aussi, il parcourait un chemin infini de roche grise et brûlante. Sa peau noire était devenue grise, à cause de la poussière de la mine. Et puis ses poumons aussi, à cause des radiations du minerai. Et puis son âme, à cause du désespoir. Et puis il était mort. Le palais vers lequel elle se dirigeait. Tout en piques rouges et or, qui défiaient le grillage du ciel. Là où le Père Royal Patrice V vivait. La seule vraie tâche de couleur. Ça lui rappelait des feux. Beaucoup de feux. Les feux où on avait jeté ses vieux livres. Les feux où ont avait jeté ses robes, avant de l'obliger à marcher nue pour l'inspection de pureté. Les cheveux rouges de sa sœur. Le bûcher où les soldats l'avaient jetée. Ses cheveux, qui lui tombaient toujours sur les yeux. Ils étaient devenus gris. Des barreaux en plus. Ça lui rappela toutes les fois où elle s'était réconfortée en les passant contre elle-même, ou quand elle mordait dedans de toutes ses forces pour s'empêcher de crier. Ça lui avait aussi rappelé quand on avait tondu sa fille pour fabriquer des tapis pour les Pères. Maintenant ils étaient gris. Elle savait qu'elle allait devenir grise aussi, et elle ne le voulait pas. Elle préférait encore brûler. C'est pour ça qu'elle se rendait lentement, si lentement, vers le palais, en ressassant inlassablement ses souvenirs comme une marée lancinante, qui semblait devoir l'éroder complètement... Le simple fait de se déplacer dans la rue alors que les maigres rations étaient données au terme du travail quotidien était suspicieux, puisque ce n'était pas nécessaire, c'est pourquoi la vieille dame était entièrement seule sur son chemin et put consommer une ou deux éternités de souvenirs en toute quiétude. Elle aurait bien aimé atteindre le palais. Ça lui aurait fait plaisir que ce soit par là que son cadavre commence à empester. Mais elle savait qu'une vieille femme était la chose la plus inutile possible à la race Patricienne, et que les premiers soldats qui la croiseraient l'abattraient. Et de toute façon elle n'aurait probablement pas eu la force d'atteindre les piques rouges et or. Les soldats arrivaient enfin, équipés de matraques, d'épées et d'armes à feu de toutes les sortes. Tous les âges. Tous fous. Elle ne voyait que la haine et le mépris chez certains, ou bien la cruauté et le plaisir qu'ils allaient prendre à la tuer. Elle s'en moquait. Elle attendait. Elle n'était pas naïve au point de croire qu'elle aurait la chance de mourir vite bien sûr. La peur était l'arme des Patriciens, bien avant la mort, et ils devaient s'attacher à briser leurs ennemis avant de les tuer. Les premiers coups vinrent à l'estomac et la firent s'écrouler immédiatement le souffle coupé. Ils frappèrent à répétition, visant les yeux, la bouche, tout ce qui pouvait faire mal. Tout ce qui humiliait. Elle vomit une ou deux fois des gerbes de bile et de sang, et se laissa faire, inerte, apathique. Le visage contre le bitume, martelée par les crosses, le visage déformé et les membres cassés, la vieille dame se dit qu'elle était déjà brisée de toute façon. Ils la traînaient. Ils ne la tuaient pas. Savaient-ils donc qu'ils ne pouvaient rien lui faire de plus? Ils l'emmenaient pour mieux la torturer jusqu'à la fin? Bah. Elle n'était déjà plus qu'un pli, un pli de douleur, comme un ongle retourné ou un membre broyé. Même de l'attente elle faisait bien peu de cas. Son visage écorché traîné contre le bitume le colorait en rouge...peu importe ce qu'ils avaient prévu, elle était trop vieille pour en avoir encore pour longtemps. Une inconscience salutaire étouffa le gris, le rouge et tout le reste dans un bon vieux noir...
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Cdte. Téthys
Respect diplomatique : 340 24/10/1013 ETU 16:34 |
Score : 4
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Du sang, de la rouille, de la crasse et de la merde. Il fallut un moment à la vieille dame pour comprendre qu'elle était bien vivante. Ça ressemblait trop à l'enfer. La douleur qui lui agitait la carcasse était lancinante, agaçante, irritante, et lui refusait le répit de l'inconscience...elle fut contrainte de se réveiller. Elle n'était pas morte. Elle était bien vivante. Et ça faisait très mal. Les bons à rien de soldats n'étaient même pas bons pour tuer... La vieille dame tenta de se relever doucement. Douleur extrême. Ses os étaient brisés, sa chair meurtrie, et elle s'effondra immédiatement le bouche contre la poussière. Cette chute l'informa qu'elle était entièrement nue, et l'écorcha encore un peu plus. Elle reprit son souffle, puis fit un effort difficile et douloureux pour tourner la tête et regarder où elle était. Des briques brûlées plus serrées que des cages à lapins. Les mêmes odeurs de vomissures et de déjections partout, jusqu'au plafond. Des barreaux grillagés aussi couverts de crasse rougeâtre que le reste. Un silence de tomber. Une solitude à couper le souffle. Enfoncée dans un coin, la vieille était incapable de voir ce qui se passait hors de sa cellule, derrière le grillage. N'ayant rien d'autre à faire pour détourner son attention de la puanteur dans laquelle elle baignait, elle prit le temps de se déplacer vers les barreaux pour mieux observer l'extérieur. Elle se contenta de laisser basculer la masse de sa carcasse, se disant qu'elle avait une chance de se fracasser le crâne. Douleur terrible à la tête, mais pas moyen de tomber dans l'inconscience... L'autre côté du grillage ne lui exposa qu'un long couloir obscur s'étendant à perte de vue à gauche comme à droite - et puisqu'il était plus noir qu'une grotte, la perte de vue n'arrivait pas bien loin. Les murs étaient régulièrement parsemés de grillages identiques. La plupart ne laissaient rien voir. Pas la moindre trace d'éclairage, mais ses yeux abîmés pouvaient tout de même voir un peu, sans qu'elle se l'explique. Elle pouvait distinguer des doigts accrochés sur certains des plus proches. Des petites formes bougeaient dans la cellule en face de la sienne, rampant au sol comme de gros vers...il fallut un moment à la vieille dame pour réaliser que c'était des enfants, tout aussi brisés qu'elle, entassés. Presque aucun ne bougeait. Seule une petite fille la scrutait depuis le fond de la cellule aux enfants. Ses yeux étaient bleus. Bleus. Tellement bleus. Au milieu de toute cette crasse, le bleu si visible des yeux de cette petite fille stupéfiait la vieille dame, qui ne se rappelait plus de la dernière fois où elle avait vu une telle couleur. Deux petites braises bleues. La petite fille les plongeait sur elle, sans expression, sans ciller. Ces prunelles firent ramper la vieille plus près des barreaux, jusqu'à s'y asseoir en tailleur, pour mieux les observer. Emprisonnée, bloquée, souffrant le martyr et trop ancienne pour l'espoir, la vieille dame resta là pendant ce qui aurait pu être toute la nuit, si le jour passait ici. Le sommeil lui était impossible de toute façon. Alors elle resta là, immobile et muette, à rendre leur regard et leur silence aux yeux bleus de la petite fille. C'était la seule chose qui restait à faire. Ils étaient vraiment étranges à briller à ce point...elles se rappelaient que les Patriciens avaient décrété que les yeux bleus étaient signe d'impureté, et c'était probablement pour ça que cette fille était là - et aussi probablement pour ça qu'elle se rappelait à peine comment étaient les gens aux yeux bleus...elle était cependant à peu près sûre qu'ils n'avaient jamais brillé à ce point. Les choses demeurèrent ainsi pendant longtemps. Un tuyau débouchant du plafond faisait régulièrement tomber une bouillie qui ressemblait plus à du vomi qu'autre chose à intervalles réguliers, permettant à la vieille de compter les jours. Elle n'y touchait pas, consacrée qu'elle était à attendre la mort - qui se faisait décidément bien tardive. Sa faiblesse physique augmentait de jour en jour, et il ne restait plus d'elle qu'un squelette auquel était suspendu une peau et une masse de graisse absurde et inutile à l'estomac. Elle avait tenté de parler à la petite fille aux yeux bleus une ou deux fois, mais sa mâchoire était en morceaux. Impossible. Ses jambes ne répondaient plus depuis son arrivée, à part à la douleur. Ses journées étaient consacrées à l'observation des enfants, et surtout des yeux bleus. Il y avait beaucoup de femmes ici, mais les cris qui résonnaient régulièrement étaient ceux d'hommes, la plupart du temps. Des rires d'ogres. Le garde le plus jeune, le plus maigre et le plus boutonneux de tous en particulier avait un rire horrible...les enfants se contentaient de murmurer entre eux, se battant pour la nourriture avec les dernières forces qui leur restaient, ou jouant à lancer des bouts de crasse à la vieille. La fille aux yeux bleus restait immobile et muette. Comme la vieille, elle ne mangeait pas. Parfois les gardes traînaient des détenus vers et hors des cellules, presque toujours des femmes. Presque toujours des cadavres. Parfois ils venaient juste pour les frapper et s'amuser. Parfois pour les violer. C'était souvent le garde boutonneux qui faisait ça...il traînait souvent dans les couloirs sans raison apparente. Comme s'il aimait l'endroit. Ce n'était jamais arrivé à la vieille, parce qu'elle était apparemment trop répugnante. Les prisonniers qu'on emmenaient ne revenaient jamais, à part les enfants. Quand les gardes les ramenaient, ils avaient l'air malades et horrifiés, peu importe comment ils étaient avant, et restaient renfoncés dans un coin de la cellule sans parler pendant des jours, et sans manger. La vieille finit par comprendre en écoutant attentivement leurs murmures que la petite fille aux yeux bleus était la première à avoir été emmenée pour revenir. La plupart des enfants qui revenaient mourraient rapidement de maladie, et les gardes les emmenaient rapidement. Ceux qu'ils avaient emmenés pour les remettre en cellule n'étaient jamais emmenés à nouveau, à part une fois morts. Bientôt, il ne resta plus que des enfants prostrés dans la cellule aux enfants. Seule la petite fille aux yeux bleus ne semblait pas malade. Bientôt, il ne resta plus qu'elle et ses yeux bleus, et la vieille qui ne parvenait pas à mourir... Et finalement les gardes emmenèrent la vieille. Un dignitaire Patricien les avait suivis dans le couloir des cellules, et l'avait observé longuement, sans que la petite détache ses yeux bleus de la vieille. Le Patricien avait suivi son regard jusqu'à la vieille dame, qui affecta la même indifférence. Il la scruta avant de parler : "-Celle-là. Depuis combien de temps elle est ici? -Depuis deux mois, m'sieur. Elle bouge jamais et elle parle jamais. On se demande souvent si elle est morte, mais elle bouge des fois. Et puis elle touche pas à sa bouffe, m'sieur. - Vous voulez me faire croire que cette loque a survécu deux mois sans bouffer? Bande de cons! Elle est morte et ça se voit!" Le Patricien appuya sa réplique en poussant brutalement la vieille du bout de sa canne, à travers les barreaux. Celle-ci sentit à peine la douleur et se laissa écrouler sur le sol, puis fit de son mieux pour paraître morte. Elle avait déjà essayé des tas de fois d'arrêter de respirer, le faire maintenant n'était pas un problème. Le dignitaire retira sa canne, sans qu'elle puisse voir ce qu'il faisait ensuite. "-Humpf, elle a salie ma...une seconde...ce sang est chaud...ça ne veut pas dire qu'elle est vivante, peut-être juste un effet secondaire...intéressant. Emmenez-la aussi." Alors les gardes ouvrir sa cellule comme celle de la petite, et les emmenèrent toutes les deux. Traînées dans les couloirs, elles continuèrent à se fixer jusqu'au bout, avant d'être séparées. Si elle n'avait pas déjà vécu ça, la vieille aurait été persuadée que c'était la mort qui l'attendait là où on l'emmenait, mais elle avait compris depuis un bon moment que celle-ci était capricieuse...elle ne vit qu'une succession des mêmes couloirs sombres, des mêmes grillages, jusqu'à la fin du voyage. Une lumière brûlante l'aveugla, pire qu'une grenade flash. Elle aurait crié si elle avait pu. Elle se trouvait dans un laboratoire, entièrement blanc, propre et éclairé, lorgnée avec dédain par des hommes à lunettes réfléchissantes étranges. Elle n'eut pas le temps de penser quoique ce soit qu'elle était attachée à une table par des sangles et qu'on lui faisait une injection de quelque chose...elle se mit à dormir, une chose qu'elle n'avait pas faite depuis longtemps... La vieille ouvrit les yeux. Encore. Toujours vivante. Toujours dans sa cellule, par terre. En revanche, elle n'était plus seule cette fois-ci. Un homme bougeait au-dessus d'elle. C'était le boutonneux. Il souriait de son sourire stupide, et riait de son rire d'ogre raté. La douleur était toujours présente, plus diffuse...elle y voyait mal. Une irritation bizarre lui enflammait toute la peau, et une horrible crampe lui déchirait le bas-ventre. Elle regarda, en ignorant les postillons du boutonneux. Il était en train de la violer. Ce n'était qu'une douleur de plus, mais elle voulut tourner la tête pour ne pas voir son visage stupide...il la força à le regarder. Elle se contenta de fermer entièrement son visage, ce qui n'était pas bien dur vu qu'elle arrivait à peine à se crisper. Il n'arrêtait pas de parler...il n'arrêtait pas de répéter qu'à la fin, il lui arracherait ses jolis yeux bleus. Elle se disait qu'elle n'aurait plus à le voir au moins...bleus? Ses yeux étaient bleus?? Ses yeux avaient toujours été verts... Le boutonneux se mit soudain à rire plus que d'habitude. Des gardes passaient dans le couloir. Il prit la tête de la vieille, et la tourna de force vers l'extérieur, lui brisant presque le cou. Les gardes passaient en traînant la petite fille aux yeux bleus...ils la traînaient là où on emmenait les morts. La vieille regarda ses yeux une dernière fois, mortifiée, et sut que la petite était bien vivante, qu'elle avait mieux feint la mort qu'elle...elle vit dans sa surprise d'une seconde que la petite voyait ce qui lui arrivait. "-Tu la vois, hein vieille merde?! Ben après toi, je vais baiser son cadavre exactement pareil! Et je vais lui bouffer ses yeux bleus exactement comme je vais bouffer les tiens! Ce fut la seule fois où la douleur de la vieille fut trop, où elle voulut hurler, se débattre furieusement, mordre, gueuler...rien. Rien d'autre que le rire du boutonneux, et la petite fille qui la regardait jusqu'au bout... Les jours qui suivirent furent les derniers. Il n'y avait plus personne. Le boutonneux avait pris ses yeux au couteau, et elle ne voyait plus rien. Elle ne pouvait pas regarder, mais elle savait que la cellule des enfants était vide. Son corps lui faisait aussi mal que si elle était continuellement dépecé, une croûte étrange lui couvrait la peau, ses doigts s'atrophiaient et il lui avait poussé des kystes un peu partout. Et ses yeux étaient devenus bleus apparemment, avant qu'elle ne les perde. C'est tout ce à quoi elle pensa jusqu'à la fin, aux yeux bleus. Quand ils la traînèrent elle aussi là où on traînait les cadavres, elle y pensait encore, et puis... ...DEHORS. Elle ne voyait rien, mais elle savait qu'on l'avait sortie de la prison. L'air était plus frais, elle sentait le vent. LE VENT! Elle pouvait le goûter, le sentir! Il était iodé...elle était prêt de la mer...c'était la chose la plus délicieuse qu'elle avait jamais sentie, alors qu'on la traînait à sa mort. Bientôt le bruit de la mer emplit également ses oreilles et toute son âme, la douleur était ravivée, mais si vivante, brûlant au lieu de pourrir...! Tout était si bleu dans son esprit! Elle entendait la mer juste en-dessous d'elle...ils jetaient probablement les cadavres ici. Elle ne remarqua même pas à quel point il était étrange de trouver ça merveilleux, après tout ce qu'elle avait vécu. "-Hé...Attendez!!! Elle est encore vivante, la viocque! Regardez, elle respire! On la ramène!" NON. NON! NON!!! La vieille se sentit furieusement jeune, remplie de rage et de vengeance, exaltée. Ils avaient tout pris. Ils ne lui prendraient pas sa mort. Ils ne pourraient jamais lui prendre le bleu. Même dans cet état les gardes auraient aisément pu la retenir, mais ils étaient si surpris de la voir se débattre qu'ils la lâchèrent tout de suite sur le moment. Avant qu'aucun d'entre eux n'ait réussi à la rattraper, elle avait déjà plongé tout son poids vers la mer, en hurlant avec sa mâchoire brisée. Ses tourments prirent fin dans une explosion de bleu.
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Cdte. Téthys
Respect diplomatique : 340 27/10/1013 ETU 20:57 |
Score : 5
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Le silence... Le silence éternel... Le sommeil n'est rien comparé à la mort. Le sommeil c'est toujours très bruyant, très agité. Les rêves ne nous laissent pas le temps de souffler, comparé à la tranquillité de la mort, inappréciable si on la constate et si on se la représente, parce que ça signifie qu'on ne l'est pas, mort, puisqu'on réfléchit qu'on est plus qu'une masse inerte dont la seule vie consiste à être dévorée. Pourtant on peut quand même en profiter. Un peu. Et quand on s'en relève de cette fausse, mort, c'est seulement à point, au moment où il le faut. Rien ne blessa donc la vieille dame quand elle ouvrit les yeux une nouvelle fois, rien de sempiternel, rien de sisyphien. Juste un doux réveil, si précieux, si parfait parce que si rare et si oublié. Cette même sensation que lorsque les oiseaux et l'aube nous réveille, lorsqu'on s'élève de concert avec le monde. Cette fois-ci cependant, nulle aube, nul oiseau pour réveiller la vieille. Juste le bleu. Ce cher bleu toujours présent. Et le bruit de l'eau dans laquelle elle était immergée. Ce son si particulier...Une onde perpétuelle, qui agitait jusqu'à son crâne. Il lui fallut un moment avant de réaliser l'étrangeté de sa situation. Elle était immergée et venait de se réveiller. Ça voulait dire qu'elle avait dormi sous l'eau. L'impossibilité de la chose la frappa assez peu, d'abord parce qu'elle étant encore très peu réveillée, et ensuite parce que les souffrances et les horreurs dont elle sortait lui avait ôté sa capacité d'étonnement. Les miracles semblaient d'une bien douce violence devant ce que les hommes étaient capables de faire. Le bleu qu'elle contemplait était celui de la mer, toujours mouvante et pourtant immuable, et c'était le même qu'elle avait vu dans les yeux de la petite fille. Sa vue lui était enlevée, mais elle pouvait voir le bleu, et ça lui suffisait. Elle se savait en vie, mais ça ne la dérangeait plus. Elle passa une éternité ou deux ainsi, rassasiée de tout, inerte. Puis, comme si elle reproduisait toutes les étapes du réveil au ralenti, elle agita les doigts, les crispa légèrement, chercha activement à percevoir, à savoir où elle était. Elle sentit d'abord le sable sous ses doigts, tout naturellement. C'est ce qu'elle se disait, parce qu'elle était certaine que c'était bien sûr ça qu'elle allait ressentir, et pourtant non ; pourtant ce qu'elle sentait...c'était du sable, mais c'était bien plus que ça ; Ses doigts surtout, n'étaient plus ses doigts. Elle pouvait sentir des protubérances bizarres sous le bout de ses doigts, des petites bosses visqueuses, qui semblaient si étranges et pourtant à leur place...sous elles, le monde était différent, chaque grain de sable était senti et différencié, chacun d'eux avait une couleur et une façon différente de refléter le bleu. Tous étaient semblables mais absolument et indéniablement différents. La vieille avait un univers sous les doigts. Elle s'amusa un moment à parcourir ce nouveau sable ; puis activa un peu les mains. Elle se sentait plus mobile qu'avant, où ça l'aurait fait maugréer de douleur. Rien. Elle se sentait souple, non, pas souple, pire que ça, flasque. Elle avait un mal fou à faire déplacer ses articulations, mais ça ne lui causait aucune douleur, et ses doigts auraient pu se retourner sur eux-mêmes. Elle avait beau avoir des souvenirs immenses et savoir toutes les choses qu'avaient pu faire les Patriciens par le passé, elle était incapable d'expliquer comment son corps se comportait, pourquoi elle pouvait apparemment respirer sous l'eau sans difficulté apparente, ni pourquoi elle avait survécu à l'inanition et à la chute – sans parler de l'âge. De plus en plus curieuse, la vieille entreprit lentement, très lentement, de se tâter elle-même, défiant ses forces éteintes par la patience. Elle se sentait en paix, n'avait rien à perdre et était bien plus vieille qu'on ne devrait pouvoir l'être, alors prendre son temps était plus un plaisir qu'autre chose. Elle parcourut lentement ses bras, son gros ventres, ses seins, et tout ce qu'elle pouvait aisément atteindre...et elle fut autrement plus surprise que par le sable. Son dos et son cou était régulièrement recouverts des mêmes bosses qui finissaient chacun de ses doigts, et de légers mouvements contre le sol l'informèrent qu'ils étaient tout aussi sensible. Ces choses qu'elle avait pris pour des kystes quand elle était en prison...ce n'était pas des maladies. Ou en tout cas ça n'en était plus. Ils étaient adaptés à son corps. Sa peau n'était pas douce, mais elle était lisse. Extrêmement lisse, lisse comme une anguille Il lui était impossible de saisir le moindre pli, et ses ongles ne parvenaient même pas à lui appuyer sur la peau. Elle se rappelait également les croûtes qui lui couvraient la peau auparavant...elle les retrouva elles aussi, sur chaque articulation, solidifiées, agglutinées en des coudières écailleuses. Le mystère de sa respiration lui fut - en quelque sorte - révélé quand elle passa les doigts sur son cou. Branchies. Elle soupçonnait déjà ce qu'il lui était arrivé, mais c'est en les sentant palpiter et lui donner de l'oxygène que la vieille comprit ce que les Patriciens lui avaient fait. La planète Patrizius comptaient seulement des continents très parsemés et fragmentés, il n'existait pas une région qui n'ait un bord de mer, et la guerre séculaire que se menaient les Patriciens entre eux pour déterminer quelle était la race la plus suprême et la plus digne de l'Humanité Parfaite se passait presque toujours dans l'eau. C'était le dernier endroit trop vaste pour être entièrement occupé ou pollué, et le seul où on pouvait manœuvrer sans être contré immédiatement par une batterie de missiles anti-anti-anti-anti missiles. Il y avait depuis longtemps de rumeurs sur des super soldats que l'armée avait transformée pour en faire des combattants marins, ou des monstres génétiques, créés à partir de la recherche Patricienne du génome humain parfait, qu'on laissait à la mer pour les déchaîner sur les ennemis. Qui d'autres que les prisonniers pour réaliser les tests ? Et il fallait bien les rendre utiles. De la pensée Patricienne typique. Ils lui avaient permis sans le faire exprès la vie sous-marine.. Si c'était bien cela – et bien que farfelue, cette explication était la seule qui tenait la route sans impliquer de miracle – alors c'était presque drôle. Et ils n'allaient probablement pas aller la chercher, puisqu'ils se contentaient de jeter les morts là où elle était. Elle s'était évadée. Évadée était un bien grand mot, bien sûr. Ses jambes étaient toujours complètement inamovibles, même si elles étaient toujours sensibles. Le choc de la chute les avait encore plus brisées qu'elles ne l'étaient déjà, et elles étaient coincées sous son poids. La vieille ne pouvait plus du tout bouger. Après ce qu'elle avait vécu de toute façon, ça lui semblait cependant un inconvénient mineur. Même si elle avait pu, elle serait probablement restée là à attendre calmement la mort. Elle n'avait plus envie de vivre et de continuer à se souvenir depuis longtemps, et le calme du fond de la mer était déjà plus que ce qu'elle avait pu espérer. Elle ferma les yeux et profita du son de l'eau... Clop. Clop. Clop. Quelque chose venait. Très près. La vieille ne s'attendait pas vraiment à croiser autre chose de nouveau. Clop. Clop. Clop. La chose tardait. Pouvait-elle donc mettre tellement de temps à l'atteindre ? Clop. Clop. Clop. Les oreilles de la vieille finirent par comprendre. La chose n'était pas si proche que ça. Ses oreilles étaient simplement bien meilleures qu'avant. Elle entendait à travers l'eau... Clop. Clop. Clop. Les pas étaient doux sur le sable. C'était petit, elle pouvait le sentir. Ça parlait, doucement, mais elle n'arrivait pas à comprendre, ses oreilles étaient trop changées. Une petite main passa ses doigts dans la sienne. Une main d'enfant. Elle ne pouvait les voir, mais elle savait...c'était la petite fille aux yeux bleus. Cette enfant qui l'avait fait tenir avait survécu de la même façon. D'autres pas vinrent, la plupart tout aussi doux et petits, d'autres un peu plus imposants. Elle se fit peu à peu à leurs voix. Presque toutes des filles, toutes qui parlaient à travers l'eau. Elles disaient qu'elle était la seule adulte. Qu'elles l'emmèneraient au campement. Un campement. Alors les filles de l'eau soulevèrent son vieux corps, tellement léger dans les océans, et elle retrouva le goût du sel sous ses lèvres, la chaleur, les sons de leurs voix...elle entendait le monde, toute la mer résonnait dans sa tête, elle pouvait les voir ! Elle les reconnaissait, de la cellule aux enfants, et elles étaient guéries, marines, avec toutes ces yeux si beaux...belles comme des Néréides.
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Cdte. Téthys
Respect diplomatique : 340 14/11/1013 ETU 01:22 |
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Je pleure. L'histoire de la vieille dame était très très triste, même si elle finissait plutôt bien. Maman m'a beaucoup consolée après, alors c'était pas grave. et elle a dit que je devais savoir, et que je devais me rappeler, et que c'était important. J'ai souvent mal. Très très très très mal. Maman essaie de me consoler, mais elle n'est jamais avec moi. Je suis toute seule. Toujours toute toute seule. Il fait toujours tout noir. Maman a dit que ce serait comme ça pendant longtemps. Très très longtemps. Je pleure tout le temps, quand elle est pas là. Je veux pas rester toute seule. Maman est souvent là, et elle me raconte des histoires, tout le temps. Même quand elle est pas là, il y a des histoires, plein de choses dans ma tête. Il y en a des biens, avec des tritons et des étoiles de mer, mais elles sont presque toujours ennuyeuses, ou alors elles font peur... Les vents étaient faits de sel. C'est à ça que l'on peut reconnaître un vent marin : il faut le goûter. Il est salé. Divorañ aimait savoir ça parce que ça lui permettait de saler sa nourriture, même si les grandes refusaient de laisser les enfants aller à la mer. Divorañ DETESTAIT ça. Aujourd'hui, elle devait se contenter de regarder la mer de loin depuis le rocher le plus haut de l'île où sa tribu s'était installée. Elle s'agita, endolorie par ses écailles irritées. La maladie du soleil. Il y en avait beaucoup maintenant dont la peau s'écorchait en plein soleil, et les autres passaient la plupart de la journée enfermés dans leurs cases pour ne pas se faire mal. Le seul remède était...l'eau de mer. Oui, ils existaient au milieu d'une mer du remède, mais l'accès en était interdit...c'était complètement STUPIDE ! Divorañ avait voulu à de maintes reprises contourner l'interdit, mais s'était ravisée à chaque fois. Oh ce n'était pas les contes pour gamines des grandes qui la retenaient, sur des monstres de métal qui écumeraient les mers pour les enlever, ni la peur de la punition. Il y en avait même qui racontait que plus les Néréides passaient du temps dans l'eau, plus ils devenaient bêtes et déformés, et se transformaient en poissons ! C'était ridicule ! Ce qui lui faisait peur, c'était de ne plus jamais pouvoir revenir. Celles de la tribu qui avaient perdu les leurs et décidé de partir sous la mer n'étaient jamais revenues, et c'est vrai qu'on avait parfois trouvé des cadavres échoués sur la berge...mais ce n'était pas une raison pour se cacher dans des huttes brûlantes et vivre en faisant pousser des champignons ! Divorañ n'avait pas peur de la mort. Une fois elle avait fait fuir un gorille, un VRAI gorille, toute seule, avec son bâton ! Toutes les filles l'avaient admirée pendant des semaines, et il n'y avait bien que les plus jalouses pour vouloir lui faire croire que la plupart des gorilles s'enfuient en voyant des Néréides. Suçotant ses cheveux tressés, la jeune fille se rappelait surtout qu'à chaque fois qu'elle avait décidé de s'enfuir, elle s'était rappelée que sa petite sœur fondrait probablement en larmes en la sachant disparue. Elles étaient ensemble les seules du village à ne pas croire les bêtises des grandes sur les hommes de métal et les Néréides-poissons, mais la petite Dâg n'avait jamais eu envie de partir. Elle disait souvent qu'il fallait toujours rester ensemble, se serrer les coudes, sinon il n'y aurait que les plus fortes qui survivraient. Ça énervait Divorañ, qui devait à chaque fois admettre qu'elle avait raison...elle se fichait de savoir que le village aurait du mal à survivre sans chasseuses comme elle, mais Dâg aux jambes difformes avait complètement besoin d'elle et elle ne tolérerait jamais de la laisser seule. Et si on racontait surtout des bêtises sur comment les « hommes » d'avant étaient tout noirs et froid, cruels et cornus, Divorañ savait que les îles géantes au large étaient grises et sales, et qu'en venait des oiseaux noirs qui obscurcissaient le ciel... La jeune Néréide s'apprêtait en maugréant à retourner vers le village, quand elle vit une noirceur contre la ligne d'horizon. La mer était noire. Mais vraiment noire, noire ! L'horizon était tracée en noir, et son trait grossissait et s'épaississait, coupant le ciel et la mer...écarquiller les yeux pour voir le mieux possible ne lui servit à rien à part à se faire mal à cause du soleil, mais l'horizon noire grandissait et se précisait à chaque instant. Bientôt, Divorañ put enfin voir de quoi il s'agissait. C'était des barques. Des barques noires absolument gigantesques, hautes comme dix fois le plus grand arbre de l'île, et il y en avait par milliers, tellement serrées que leur formation rendait l'horizon obscure. La gamine fut prise d'une terreur viscérale, désormais beaucoup moins incrédule envers les histoires des aînées, et se carapata dans une fissure du rocher pour se rendre invisible, plus par réflexe que par réelle protection. La noirceur de l'horizon contaminait la mer mais aussi le ciel...des lignes d'oiseaux noirs, bien plus qu'elle n'en avait jamais vu, survolaient les barques noires. Les observant ainsi, elle comprit que ce n'était pas des oiseaux. Ils bougeaient, mais ne battaient pas des ailes, ne s'agitaient pas et dégageaient un bruit tonitruant et une odeur nauséabonde. Une fumée obscure s'échappait de leur derrière et rendait le ciel gris...entièrement gris, pire que pendant un orage. Les mains sur les oreilles, la Néréide pensait que c'était la fin du monde. Elle contempla l'idée d'aller chercher Dâg en quatrième vitesse et de l'emmener sous la mer avec elle, qui semblait désormais complètement sûre comparée à la noirceur qui approchait, mais elle s'aperçut que les barques noircissaient les eaux derrière leur passage....le ciel et la mer tout entiers allaient être dévorés. Et Divorañ ne donnait pas cher de l'île ensoleillée, dont elle préférait largement la prison à l'orage immense et puant qui leur arrivait droit dessus. La petite chasseresse sortit enfin de sa torpeur, et commença à se triturer le crâne comme jamais, galvanisée par la peur. La dernière fois qu'elle avait été autant en danger, c'était quand une énorme de troupe de chevaux ravageurs lui était arrivée droit dessus dans la vallée de beryl. Pour se protéger – le passage des chevaux ravageurs ne laisse jamais que de la boue piétinée et des cadavres malchanceux – elle avait plongé dans la tanière souterraine d'une louve de la jungle, qui trop terrifiée par la horde chevaline n'avait pas sur le moment pensé à lui rappeler à coups de crocs qu'on ne rentrait pas comme ça chez les gens sans la permission. C'est ça ! La tanière avait tenu ! Les barques géantes noircissaient peut-être la surface de la mer, mais rien ne disait qu'elle détruisait aussi les profondeurs, ou les tunnels cachés sous l'île ! Avec cette hypothèse désespérée en tête, Divorañ bougea enfin et se mit à courir vers le village pour aller chercher sa sœur et prévenir les autres. C'était assez loin et même elle mettait un bon moment à faire le chemin du village au cap, mais quand elle arriva la noirceur marine était encore trop éloignée pour être visible depuis les huttes. Toutes les Néréides s'étaient rassemblées et fixaient les oiseaux vrombissants, loin dans le ciel. Elles étaient effrayées, comme Divorañ, mais les plus anciennes en particulier, celle qui avait connu le fameux monde d'avant, étaient prostrées et désespérées. La petite mit un moment à trouver sa sœur, toute chétive dans la foule immobile et fixant également le ciel, un air soucieux dans ses yeux noirs et visqueux. Elle lui prit la main puis hurla : « - Je reviens du haut rocher ! La mer est remplie de bateaux géants qui rendent la mer noire ! Il faut qu'on passe vite sous l'eau avant qu'ils arrivent ! Venez ! » Divorañ s'attendait à ce que la plupart se moquent d'elle et que peut-être une poignée seulement lui emboîte le pas vers le chemin parfait qu'elle connaissait pour aller à la mer en cachette, mais pas à ça. Son cri brisa le silence médusé et fit souffler un vent de panique dans la foule. La moitié commença à courir dans tous les sens, à récupérer des pots et des vases – tellement essentiels – ou à hurler « par ici ! » ou « par là ! » dans tous les sens, alors que les autres restaient prostrées ou fondaient en larmes là où elles étaient, sans réagir. Dâg, qui n'avait que huit ans, n'était pas loin de pleurer elle-même, et sa grande sœur n'en menait pas large malgré son courage. Divorañ voulait courir, s'enfuir et laisser tomber ces Néréides affolées, mais elle s'aperçut brusquement qu'elle ne les détestait pas autant qu'elle aurait voulu, qu'elle était revenue aussi parce que ce n'était pas vrai qu'aucune n'allait lui manquer...et parce qu'elle avait peur de finir toute seule, et qu'après tout elle était encore petite même si elle avait déjà douze ans, et puis elle avait aussi envie de pleurer... Ainsi, quand vint enfin la grande échappée vers la mer qu'elle avait toujours rêvée, ce ne fut pas l'air bravache, armée de son petit sabre en bois, et farouchement seule. Ce fut en courant avec Dâg dans les bras, en se prenant les arbres, parce qu'elle n'y voyait pas bien à cause des larmes. Ce fut avec la nausée à cause du malheur et de la puanteur qui approchait, avec les oreilles bouchées à cause du bruit terrible des oiseaux maléfiques qui obscurcissaient le ciel et celui des pleurs de sa sœur, qui lui demandait pourquoi elles partaient toutes seules sans les autres. Ce fut avec la douleur terrible aux pieds, parce qu'elle n'arrêtait pas de s'écorcher les pieds contre les rochers effilés de l'île. Ce fut avec une vitesse plus démente que ce qu'elle avait jamais atteint, ailée par la peur. Avec tous ses plans d'évasion, elle avait depuis longtemps monté des tas de plans pour s'échapper, et elle avait trouvé le lieu précis de son accès à la mer il y a deux ans, en chassant : une crique intérieure, cachée par la végétation et enfermée dans des falaises, sous laquelle un tunnel immergé menait à la grande mer. Alors qu'elle sautait du haut des falaises vers l'eau paradisiaque, sa petite sœur hurlante dans les bras, elle entendit un terrible sifflement grandissant, comme celui des aigles rouges géants qui fondaient sur leurs proies, comme pour leur vriller les tympans avant de les massacrer. Elle crut que sa tête allait exploser, et puis ce fut l'eau qui explosa sous l'impact de sa plongée, et l'immersion lui fit retrouver un silence parfait, qui apaisa même Dâg...aucune des deux Néréides ne savaient qu'elles avaient entendu le bruit de la bombe qui tombait sur leur village pour en faire des cendres brûlantes habitées par des cadavres. Elles ne savaient pas qu'aujourd'hui, elles seraient les seules à vivre.
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