Le Commandant Arkk était seul.

Il avait demandé à ce que tous ses conseillers militaires quittent le centre de commandement impérial jusqu’à nouvel ordre. Un épais silence l’entourait maintenant, et pour la première fois depuis fort longtemps, il avait peur.

Tout s’était précipité lorsqu’il avait intimé l’ordre à ses chantiers spatiaux de produire un million de Croiseurs Impériaux. Cette flotte de combat était destinée à la première phase du plan de pacification politique de la galaxie. Un premier levier pour prendre le contrôle du secteur cible, et une redistribution savamment orchestrée pour consolider les alliances nécessaires à la suite… Mais tout cela paraissait bien vain, maintenant.

En initiant son plan, Arkk s’attendait pourtant à ce que les grandes familles archéiennes contestent sa décision. Il aurait presque pu écrire à l’avance les messages navrants de ces vieux ergoteurs alliantistes… « Le peuple archéien ne déclenche pas de guerre », « les Croiseurs Impériaux sont des instruments de mauvaise augure », « Nous ne sommes pas les descendants du tyran Fregger, mais du Répresentissime», « une parole de paix est plus forte qu’une invasion éclair » et caetera, et caetera.

Face aux interventions compassées de ces vieillards à l’élocution tremblante, il se voyait déjà en grande allocution, retransmise sur les 90 mondes de son empire… Le verbe haut, le ton ferme, tout ce qui fonctionnait si bien lorsqu’il s’adressait à la foule… Sans oublier bien sûr les quelques mesures expéditives propres à décourager les opposants politiques les plus farouches. Cela avait déjà marché, cela marcherait encore, pensait-il alors.

Mais la réaction des familles avait été toute autre… et le Commandant Arkk se retrouvait maintenant pris dans un piège mortel.

Cela avait commencé la veille. Alors que le Commandant gagnait ses appartements, un messager lui avait remis le premier message. Le jeune Amjad des Fauvegris le défiait pour la conquête du nom. Un nobliau de 17 ans! Arkk en avait presque ri. Ce freluquet à peine fini, qui n’avait même pas de formation militaire, osait le provoquer ? Qu’à cela ne tienne, cela constituerait la démonstration de force dont il avait besoin. Une fois qu’il aurait ratatiné ce jeune débile sur la place publique, les autres familles se tiendraient tranquilles, assurément.

Mais alors qu’Arkk s’apprêtait à congédier le messager, celui-ci lui remis la deuxième missive. Dans celle-ci, c’était Jalal des Longcrocs qui lui jetait le gant. Un adversaire autrement plus dégourdi que le premier, mais sans guère de difficulté pour un homme de la force du Commandant. Pourtant Arkk ne souriait plus. Si les défis pour la conquête du nom étaient la tradition ancestrale de prise de pouvoir chez les archéiens, il était rarissime que deux demandes soient formulées en même temps. Les Fauvegris et les Longcrocs étant deux familles proches, il n’était pas permis de croire au hasard. Amjad et Jalal s’étaient coordonnés. Mais quel intérêt ? Chaque affrontement pour le trône devait se faire sous la forme d’un duel et Arkk pouvait librement en fixer les modalités. Il aurait donc le loisir d’affronter les deux jeunes impudents successivement, et faire deux exemples au lieu d’un… mais cette pensée ne rassura pas le Commandant.

La nuit lui confirma ses inquiétudes. Arkk reçut vingt-deux autres défis, chacune émanant d’une famille distincte. Aref des Cendrepaons, Bardia des Aiglerouges, Ehsan du Murauloup… Chaque nouvelle lettre portait le sceau d’une famille différente. Ces nobles étaient issus de clans puissants ou mineurs, et pas un d’entre eux ne pouvait nourrir sérieusement l’espoir de triompher du Commandant… C’est comme si la jeunesse archéienne avait décidé de faire la queue pour se faire tuer.

Au petit matin, le commandant n’avait pas fermé l’œil. Il avait parfaitement compris. En lui envoyant ses héritiers à affronter, la noblesse archéienne lui signifiait sa défiance de la plus spectaculaire des façons. Il pouvait aisément disposer de chacun de ses adversaires, et renvoyer leur dépouille à leurs parents, mais après ? Il était stupide de prétendre diriger son peuple après avoir décimé le fleuron de sa jeunesse… La démonstration était implacable. Il n’avait plus une once de soutien de la part de ses vassaux.

Les heures suivantes, Arkk avait reçu d’autres messages au fond invariable. Les demandes de défis s’étaient accumulé sur sa table sans même qu’il se donne la peine de lire les derniers. Il devait y en avoir une cinquantaine maintenant. C’était la fin.

S’il se dérobait aux défis, il serait destitué. S’il y répondait, il finirait seul, Commandant factice d’un peuple qui n’avait nullement l’intention de le suivre dans la guerre.

Arkk se leva et ouvrit la fenêtre. Le froid glacial envahit la pièce et l’enveloppa comme une cape funeste. Il inspira profondément l’air hivernal et se sentit étrangement résolu.

Il répondrait aux défis. Il ferait face à ses adversaires, et comme il en avait le droit, il choisirait les modalités de l’affrontement.

Sur la place des Empereurs d’Elders Tears, à l’arme blanche.

A cinquante contre un.