Attention, ami lecteur. Ce qui va suivre va te révéler la nature des choses. Tu as encore l'opportunité de laisser courir le mystère. Car si tu poursuis ta lecture, tout, soudainement, fera sens. Il n'y aura pas de retour en arrière possible. Tu prendras conscience des ineffables rouages, des plus humbles aux plus sublimes, qui actionnent la mécanique du hasard et du destin. Le battement d'aile d'une mite ivre de lumière cognant son corps velu et pesant contre un lampadaire aura alors certainement autant d'influence sur votre existence que l'humeur ombrageuse du plus puissant des ducs. La gravité d'un trou céleste n'y changera rien. Prends garde, la geste galactique de Rédemption s'écrit autant dans le marbre des assemblées que sur les parois des latrines des tavernes galactiques les plus sordides...

Au commencement était le Verbe. Puis, on inventa l'écriture, l'imprimerie, l'informatique et enfin l'astropastis. Comme nous le verrons plus tard, l'astropastis marqua les débuts de l'ère des grands voyages galactiques et de la rencontre entre les innombrables civilisations de cet univers. Bien entendu, l'historiographie officielle réfute avec virulence cette manière de lire l'Histoire. Mais la geste galactique que je m'apprête à vous raconter doit pourtant la plupart de ses grands évènements à l'alcoolisme et à la toxicomanie des grands personnages qui l'ont écrite.

Par grands personnages, nous entendrons parler des commandants. Comme l'indique leur titre, ils commandaient. Ils partageaient la singularité d'avoir pris un jour le pouvoir sur leurs planètes respectives. Il faut se faire à cette échelle des choses : nous ne parlerons dans ce récit que de mondes globalisés, régis par des gouvernements planétaires uniques. La légendaire planète Terre était en cela bien en retard, tant l'humanité primitive des mythes anciens semblait divisée. Mais oublions pour l'heure l'anthropocentrisme rétrograde, de nos jours on lit l'Histoire à l'échelle d'une galaxie. L'Homme dans tout ça n'est qu'un minuscule grain de poussière plutôt insignifiant.

Nous avons donc là un univers, des milliers de galaxies, des milliards de planètes, et quelques centaines de civilisations dirigées par des dingues, suffisamment évoluées pour voyager dans le vaste cosmos et communiquer entre elles. Si vous suivez toujours, accrochez-vous. Le pire reste à venir. Car dans cet univers, Dieu existe. Hé, je vous entends déjà soupirer, mais ce n'est pas vraiment la peine. Dans cet univers, les croyances ont peu d'importance. Dieu n'est pas un être surnaturel. Je vais décevoir les bigots, les agnostiques et les athées, mais c'est la stricte vérité. Dieu existe, et personne ne croit en lui.

Personne ne croit en lui pour la simple et bonne raison qu'il ne s'agit pas d'une entité spirituelle vaguement magique. Pas de Vérité révélée, pas de messies, pas de prophètes, pas de superstitions, pas de porte-à-porte le dimanche matin pour vous vendre une espèce de bottin métaphysique. Certes, dans cet univers, Dieu reste un être supérieur, mais vous devez oublier ce que vous pensez connaître de Lui, ou d'Elle, ou du truc que vous avez l'habitude d'appeler Dieu. Si le terme vous dérange, que vous le trouvez trop connoté, libre à vous de l'appeler Ingénieur, Grand Architecte ou Grand poireau cosmique.

De toute façon, Dieu n'avait pas de forme particulière. Dieu, la science peut l'expliquer. Les quelques savants l'ayant étudié rapprochaient son être d'une onde similaire au son. Dieu se déplaçait donc moins vite que la lumière (pour sa plus grande frustration), il était immatériel, mais il interagissait avec la matière, et pas qu'un peu. Sa spécialité, c'était de jouer avec elle comme un gamin joue avec de la plasticine. Faire, défaire, créer, détruire. Avec l'aide du hasard, il mélangeait temps, espace, énergie et matière avec l'inspiration d'un aquarelliste amateur colérique qui déchire régulièrement ses travaux car il n'en est jamais content.

Bon, c'est pas tout ça, mais on continuera plus tard. Je suis crevée. Hé, j'ai menti, dans le titre, à propos des déviances sexuelles. Je voulais juste attirer votre attention, plutôt réussi, non ?

Un drame, que dis-je, une tragédie se noue dans le secret des salons diplomatiques, dans le remugle des rendez-vous discrets, des rumeurs et des rapports d'espion. Tandis que la guerre menace et que l'orage gronde, de sombres complots agitent les grandes puissances de cette galaxie...

Rien ne va plus entre la famille Von Witelsbach et le commandant Söo. Les nombreuses tensions accumulées depuis de longues semaines ont entraîné un grave incident diplomatique. Une importante flotte civile, comprenant le célèbre vaisseau diplomatique Brunehilde, aéronef personnel de la commandante Ursula Rosenberg, a été annihilée lors d'un violent bombardement perpétré par des croiseurs du conglomérat du grand argentier galactique, le commandant Söo. Fruit d'une rivalité politique et commerciale très agressive, cette attaque bouscule les projections géopolitiques alors qu'un conflit d'envergure galactique semble se profiler dans le secteur I. Au vu de la situation, nos analystes estiment qu'un conflit global risque d'éclater dans le secteur II. Principale puissance susceptible de faire pencher la balance, la réaction du duché d'Ocre est très attendue.

Les services diplomatiques de la vieille dame ont indiqué qu'aucune déclaration ne serait faite à la presse tant que les circonstances du drame ne seraient pas clairement établies. Le représentant de Madame a déclaré que les débats houleux tenus devant l'assemblée sectorielle avaient sans doute contribué à la dégradation de la situation. Des sources discordantes proches des milieux diplomatiques laissent entendre que ces bombardements auraient eu lieu il y a une dizaine de cycles, mais qu'ils auraient été cachés aux médias afin de ne pas envenimer une médiation de la dernière chance entre les belligérants, apparemment toujours en cours.

Ces propos visant la commandante Ursula Rosenberg, attribués au commandant Söo, ont été révélés par nos confrères du Quasar enchaîné. Bien que le journal satirique se refuse à citer sa source, tout indique que le contenu de certains COM-X diplomatiques sensibles aient fuité auprès de la presse à scandale. En voici d'autres extraits :

Pour le moment, ni Madame ni le commandant Söo n'ont accepté de commenter ces révélations. Dieu seul sait ce qui se trame dans les corridors de l'assemblée galactique ! Ambiance électrique à prévoir dans les jours à venir...

∞ Ƹ Ѻ ¿´ ...

Ƹ Oh rien… tu viens de me rappeler pourquoi tu es à la tête des armées et pas du ministère des affaires étrangè *Ding !* Ah… un nouveau message… Quand on parle du loup…

∞ Ƹ Ѻ ¿´ ...

Le poids des ans me pèse davantage alors que de funestes colonnes de fumée s'étirent dans le ciel de Bagatelle. Brigands et croiseurs battant pavillon orné du Quasar étrillent la quiétude stellaire de leurs fulgurances mortelles. Nos batteries de défense participent à ce déluge de feu en projetant d'innombrables traînées incendiaires en direction de nos ennemis.

L'assemblée est bien calme, mais dans le remugle des secteurs et des systèmes, l'acier et le sang se mêlent discrètement, presque en silence. C'est que nul ne souhaite être désigné comme agent du chaos. Dans notre galaxie, les cris et les pleurs ne sont pas tolérés. Tout ce qui vit et exulte est suspect. Nous risquons de réveiller le croque-mitaine galactique. Nous voici englués dans les rêves d'un monstre doux, tant le Quasar étouffe de par son inertie la vie et ses aléas. Qu'il est monstrueux et doux de proférer le néant, de gouverner en se réclamant des étoiles, de pontifier par la pensée magique en tuant toute culture du dialogue, de la rhétorique, de la diplomatie. Nul débat, nulle remise en question du fait religieux.

On remplace les conflits d'intérêts, l'économie et la géopolitique par des bains de lumière, mesure hygiéniste et cathartique, afin de consacrer le règne béat du vide. Engluer dans un tout, c'est gaver les gosiers des pleutres et des ignorants d'une gelée totalitaire.

Mais ne dit-on pas que la nature a horreur du vide ?

Vous voilà à solliciter mon affection, mon regard, mon amour peut-être, mais mon âme vagabonde s'est flétrie depuis bien trop longtemps. Je ne suis qu'une reine sur un échiquier, et ceux qui cherchent mon attachement cherchent en vérité à s'attacher les faveurs de ma famille. Je suis trop vieille pour me laisser séduire, quand bien même je vous porte une sincère amitié, je ne puis décemment vous accorder ma main.

Un mariage, en ce qui me concerne, est un acte éminemment politique. Je ne puis vous ouvrir les portes de ma famille sans les forcer. Soyez patient, à défaut de vous épouser, je puis sans doute vous faire adopter.

Car je ne suis pas seule à décider.

♪ ♫ ♬ http://grooveshark.com/s/Ich+Hatt+Einen+Kameraden/2OjMBt?src=5 ♬ ♫ ♪

Une fanfare militaire, une foule silencieuse, compacte, sombre, les premières mesures d'une chanson funèbre, le silence éloquent des cercueils alignés sur l'esplanade, et la vieille dame, corbeau solitaire voilé de nuit, déposant une gerbe de fleurs grises sur les corps absents.

Silencieuse et austère, digne, alerte et d'une prestance sublime, la vieille dame salue les cadavres emballés dans leurs boîtes étanches d'un regard sévère, aristocratique, implacable. Plus de mille milliards de citoyens la suivent des yeux, en direct, sur tout le réseau Holocom.

Appuyée sur une canne, la vieille dame exécute un long salut militaire sous la pluie battante. La fanfare s'est tue. De longues secondes silencieuses bousculent l'immense foule d'une émotion intense. Les caméras filment un visage d'albâtre voilé de tulle, sur lequel les gouttes d'eau ruissellent et rejoignent les rigoles creusées par l'âge et la décrépitude. Larmes, ou gouttes de pluie, nul ne sait. La mégère légère, la veuve nymphomane, la souillon argentée, aucune caricature ne résiste aujourd'hui à l'image de la vieille dame qui se dresse face aux défunts qui ont donné sa vie pour elle.

Est-ce un sourire ? La vieille dame est énigmatique. Quelques heures avant la cérémonie, un ambassadeur du Duché d'Ocre avait fait une entrée remarquée dans la salle d'audience du palais de Madame. Le diplomate lui avait remis une missive scellée, sans un mot, et s'était retiré après une génuflexion maladroite. La vieille dame baisse lentement le bras, termine son salut par un hochement de tête, se tourne lentement, très lentement, marche, seule sur l'esplanade immense, entourée de millions de citoyens endeuillés, tenus à l'écart par un cordon de gardes casqués bottés, sabre au clair. Plus de cent cinquante mondes, représentés par leurs gouverneurs, assistent à la communion d'un peuple avec sa dirigeante.

La cérémonie est terminée. La vieille dame s'est engouffrée dans une berline noire, à l'ancienne, avec des roues pneumatiques. Une escorte de voltigeurs encadre l'antique véhicule. Le bourdonnement de leurs suspenseurs accompagne le remugle de la foule qui se disperse. Les cercueils glissent lentement, portés par la garde funèbre, vers la corvette ornée de catafalques qui les mènera vers leur dernière demeure : l'infini de l'espace et la sombre lueur du Quasar...