Quelque part sur la planète-capitale Valinor...

Un petit groupe de commandants invités : un tryas de la Couronne des Nords (l'Abysse, le Voyage et le Retour), le Monarque, Neal, Kensei et Koy.

Un sentier balisé de torches aux flammes dansant paresseusement dans la brise du soir...

Un moineau, juché sur l'un des poteaux, suivant avec attention la courte délégation.

Une forêt qui, jadis, devait avoir été magnifique, touffue, profonde, odorante, mais qui n'était à présent plus que l'ombre d'elle-même.

Ça et là pouvait encore se voir quelques pousses verdâtres qui tentaient vainement de crier à la face du monde que la vie les animait encore, dans la plus grande indifférence de la flore déclinante environnante.

Le sentier s'enfonçait parmi ces arbres décrépis, malades, souffreteux, serpentant sans but apparent au gré des nombreuses lumières placées là, indiquant la route aux commandants priés de se rendre à cette ultime invitation. Chaque pas intensifiait un peu plus le malaise que chacun ressentait à sa manière. Certains le cachait en affichant une assurance de façade, d'autres essayaient tant bien que mal de garder leur bonne humeur et leur jovialité forcée... Mais tous sentaient que tout ne se passait pas normalement en ces lieux. Déjà, l'on regrettait d'être venu. Se demandant s'il ne valait pas mieux rebrousser chemin. Tous firent une légère halte lorsque le sentier les mena à une sorte de tunnel végétal. Des coups d'oeil s'échangèrent, des interrogations muettes, puis le premier pas fut fait et les autres suivirent. Quelques pas sur une sente sinueuse dans une obscurité croissante...

Puis, d'un coup, la lumière. Douce, intense, rassurante. Au cœur d'une végétation luxuriante, seul vestige de la splendeur passée de ce bois, une petite clairière avait été aménagée. De forme circulaire, elle était ceinturée par de hautes torches dont les flammes vives baignaient les lieux d'une lumière dorée. Cachés aux yeux des invités de marque prenant à présent place dans l'espace central, dans les arbres, à leurs pieds et savamment dissimulés, quelques projecteurs assuraient un complément de lumière et rehaussaient l'éclat de ces lieux. Et dans les branches, bravant l'heure tardive, gazouillaient quelques moineaux.

Au centre de ce lieu sylvestre, la silhouette à présent familière d'Olorìn attendait, assise en tailleur, la panthère noire à ses côtés. Elle caressait d'un air distrait le crâne de l'animal, les yeux dans le vague, la mélancolie brillant au fond de ces deux éclats d'émeraude, ne semblant pas remarquer les deux volatiles qui sautillaient à côté d'elle. Lorsque ses invités arrivèrent, elle s'ébroua, déposa un baiser léger sur la tête du félin et se leva pour accueillir les commandants ayant accepté son invitation.

Elle s'approcha d'abord du tryas azulyen. "Tor Yh. Ekla'hok. Yxso." Accompagné d'un petit signe de tête révérencieux adressé à chaque commandant. "Mae Govannen. Vous me voyez enchantée de faire votre connaissance. Je sais Tancred très occupé en ce moment. Je suppose que vous représentez la génération suivante et êtes amenés à remplacer Elea, Tancred et Zhyl... Je regrette sincèrement que nous n'ayons pu discuter plus amplement de votre civilisation. Et notamment de l'azulyth, aux propriétés si particulières. En d'autres lieux, peut-être... Soyez les bienvenus parmi nous."

Puis ce fut le tour de Neal. Elle marqua une légère pause, le jaugeant lentement, puis un mince sourire complice naquit sur ses lèvres. Elle s'approcha de lui et l'embrassa en une brève étreinte. "Nous eûmes quelques différends tous deux. J'espère que ceux-ci n'occulteront pas les éventuels bons souvenirs que tu peux avoir." Son sourire s'accentua. "Je ne vais pas voir si l'herbe est plus verte ailleurs. Je vous avais prévenu à mon arrivée parmi vous que je n'étais qu'un guide. Mais la fonction d'un guide s'arrête lorsque le but est atteint. Et je crois qu'il l'est à présent. J'ai le sentiment que je puis être utile ailleurs. Je me dois donc de partir. Je ne pars cependant pas sans vous laisser quelques souvenirs : tu as tes fougères aigles et Amber détient un parchemin de grande valeur. Peut-être l'a-t-elle oublié... Rappelles-le à sa mémoire. Peut-être pourrons-nous garder ainsi un lien..."

Elle s'adressa ensuite au Monarque. "Mon cher Monarque, j'ai grande confiance en vous. Je suis sûre que vous ferez un travail formidable pour Rédemption. Votre rigueur et votre obstination à œuvrer pour la paix devraient assurer à la galaxie un futur florissant... Prenez soin de vos possessions et gérez-les au mieux... Mais je sais que ces recommandations sont inutiles... Veuillez me pardonner ces quelques conseils futiles pour un homme tel que vous" Elle s'inclina légèrement afin de marquer encore une fois son respect, puis lui adressa un sourire amical.

Ce fut enfin Kensei et Koy qui tombèrent sous le regard émeraude. "Shogun Kensei, commandant Koy. Nous n'avons guère eu le loisir de palabrer ensemble et croyez bien que je le regrette.[...]" Elle leur adressa un clin d'oeil avant de les embrasser tous du regard.

"A présent, si vous voulez bien..." La commandante fit un geste circulaire de la main, invitant tout le monde à prendre place. Des fauteuils de velours rouge, pieds et accoudoirs en fer forgés, se matérialisèrent en demi-cercle, faisant s'envoler toute une famille de passereaux. Olorìn leur fit face. Elle sembla chercher ses mots un instant, puis s'adressa à eux.

"Je vous remercie d'avoir répondu présent à mon appel." Elle s'inclina en une gracieuse révérence. Quelques volatiles se rassemblèrent en groupe.

"Je ne puis emmener Caledfwlch avec moi." En entendant son nom, la panthère releva la tête, faisant fuir quelques moineaux téméraires s'étant un peu trop rapprochés. "Son temps n'est pas venu et peut-être sa mission n'est-elle pas complètement remplie parmi vous. Je vous la confie donc, prenez-en soin et..." Le félin s'était levé et, de la démarche chaloupée propre à ceux de son espèce, elle passa lentement devant chaque commandant. Fit un court arrêt devant Kensei. Frotta sa tête aux jambes de Neal. Arrivée devant le Monarque, elle fit le tour du siège, truffe aux vents. Puis se posta devant le commandant, posa ses imposantes pattes sur ses genoux et plongea son regard au fond des yeux du régent. Une minute pleine passa, dans un silence absolu, personne n'osant bouger ou prononcer une parole. Le seul mouvement était celui des moustaches de l'animal. Puis, nonchalamment, elle se lova à ses pieds et entreprit d'observer l'intérieur de ses paupières. Olorìn sourit, puis s'adressant au Monarque : "Eh bien, je crois qu'elle a fait son choix. C'est à vous qu'il incombe de prendre soin d'elle. Vous n'aurez pas grand chose à faire, elle est totalement autonome. Si elle n'est point à vos côtés, et si vous pensez avoir besoin d'elle, appelez-la. Elle protégea les plus grands en son temps. Elle saura prendre soin de vous le cas échéant. [...]

"Il est vrai que vos alliés se sont fait rare en Rédemption et que beaucoup de commandants ont mystérieusement disparu ces derniers cycles. Que cela ne vous empêche pas de créer de nouvelles alliances. Faites vivre l'espoir d'une Rédemption renouvelée en sagesse... Et en Liberté. [...] Et, qui sait, nous nous retrouverons peut-être un jour prochain..." Un sourire complice étira les lèvres de la jeune femme. Tandis qu'un autre pshycopompe se posait sur son épaule, dans l'indifférence totale. L'eût-elle remarqué, la suite des évènements en fut modifiée. Et Ekla'hok n'eût point succombé.

Sur le sentier qui l'amenait au lieu de l'ultime réunion d'Olorin, Neal avait le coeur lourd et l'environnement lugubre du sentier balisé n'était pas fait pour le lui alléger. Il marchait parmi ses compagnons sans rien dire, mais ses pensées allaient bon train.

Il ne s'aperçut même pas qu'il était arrivé avant d'entendre la voix d'Olorin les accueillant. Quand elle eut terminé son couplet d'adieux, il leva les yeux sur elle.

Puis Neal s'approcha, malgré la panthère noire qu'il craignait un peu, et enlaça la Commandante brièvement, avant de revenir à son fauteuil.

Tout en discourant, la jeune femme observait discrètement les trois azulyens. Bien que la physionomie de Tor Yh lui fut à présent familière, elle s'étonnait encore de l'apparence des deux autres émissaires. Ils lui paraissaient si différents d'Elea et de Tancred... La commandante n'avait, hélas, jamais eu le loisir d'arpenter les terres d'Azulysz, mais elle se demandait à présent quel pouvait en être l'aspect. Tous les habitants avaient-ils donc une apparence si différente ? Ou chaque caste possédait-elle son apparence propre, évoluant de concert avec les spores ?

Ses yeux ne cessaient de revenir sur les plumes d'Eki. Un signal retentissait dans sa tête, sans qu'elle en comprenne pour autant l'origine. La désagréable réminiscence du moment précédent l'attaque de Jade dans la taverne de Neal ne cessait de la hanter, sans raison apparente. Elle mit ceci sur le compte du stress du à son proche voyage et décida de ne point s'en préoccuper. Tout malaise disparut lorsque Neal la serra brièvement dans ses bras.

Olorìn sourit à cette étreinte. Nul doute que cela tint à coeur au Guildéen. Et lui fit plaisir à elle aussi, bien entendu.

Puis s'adressant à tous :

Mais souvenez-vous de ceci : la mort n'est qu'un passage, une étape avant ce qui suit... Vivre, mourir : ce ne sont que des conséquences de ce qu'on a construit. Ce qui compte, c'est de bien construire." Elle leur adressa un sourire radieux avant de les saluer une dernière fois.

Olorìn ferma alors les yeux. Elle resta ainsi quelques secondes, puis les rouvrit. La lueur des torches sembla s'intensifier légèrement. Une aura blanchâtre émana de sa personne. Un sourire bienveillant se dessina sur ses lèvres...

Lorsque ses yeux se posèrent sur le volatile juché sur un des accoudoirs.

Son regard se decilla d'un coup et elle sembla apercevoir pour la première fois les spectateurs à plumes venus assister à son discours. Son sourire se brisa. Un hurlement de dénégation voulut sortir de sa gorge, mais il était trop tard. Le processus avait commencé.

Tout son corps s'arqua d'un coup en arrière, comme écartelé par une quelconque puissance, invisible aux yeux des spectateurs impuissants. La lumière s'intensifiait de secondes en secondes. Le dos cambré à l'extrême, bras et jambes tendus en arrière, la silhouette semblait en suspension dans les airs. Le visage de la jeune femme était figé en un cri muet. Et la lumière croissait encore. Sous les traits désormais familier, une autre physionomie semblait vouloir émerger. Le corps immobile, les traits de la commandante se livraient une lutte sans merci. Tandis que la lumière gagnait encore en intensité.

La scène était baignée dans une clarté crue, d'une blancheur éblouissante. Les commandants venus à ce qui ne devait être qu'un adieu, plissaient les paupières, essayant de suivre la lutte muette qui se déroulait au sein de cette clairière. Nul bruit ne venait troubler l'effrayante lutte de pouvoir que deux âmes se livraient pour un corps.

Puis un moineau prit son envol. Puis un second. Bientôt suivis par tous ses congénères. Formant un cercle autour de la jeune femme.

Puis les flammes des torches vacillèrent avant de s'éteindre brusquement, comme soufflées par une même bourrasque.

Puis un premier projecteur explosa dans une gerbe d'étincelles. Puis un second. Bientôt suivis par d'autres réflecteurs. Une pluie d'étincelles retomba sur un tapis de feuilles mortes. Qui s'embrasèrent aussitôt. La formation et l'instinct prenant le dessus sur la scène se déroulant au centre de la clairière, Kensei fut le premier à réagir. Arrachant son manteau d'un geste tournant, il l'abattit sur le foyer naissant, étouffant instantanément la promesse incendiaire.

Mais il ne put s'occuper de celles qui rongeaient une des cordes retenant les gros projecteurs cachés dans les feuillages. Le lien était tissé dans les lianes les plus solides qu'on eût pu trouver sur la planète. Mais restait végétal. Elles s'embrasèrent d'un coup. Rompant l'attache et rendant à la gravité le luminaire. Qui se rua joyeusement à la rencontre du sol. Et du Monarque se trouvant sur la trajectoire. Il ne fallut qu'une seconde à Ekla' Hok pour jauger la situation. Laissant ses deux compatriotes en compagnie de Neal, il se jeta sur le régent et le plaqua au sol, tandis que le projecteur continuait sa course et s'écrasait dans un bruit assourdissant de métal tordu, à l'endroit exact où se tenait le Monarque une seconde plus tôt. Il se relevèrent tous deux, indemnes. Le Monarque fit un bref signe de remerciement à l'Azulien avant de se tourner vers les autres commandants. Le dernier projecteur explosa dans une nouvelle gerbe d'étincelles. Le Monarque se courba légèrement avant de s'adresser au petit groupe que formait Neal, Tor Yh, Yxso, Kensei et Koy. "Tout le monde va bien ?" Le shogun répondit avec le geste universel signifiant que tout était ok. L'Aurois se retourna alors vers Eki... Et l'aperçut au sol. Gisant dans une mare de sang, un éclat métallique planté en plein coeur. L'ultime projecteur avait éteint sa dernière lueur...

L'Azulyen respirait difficilement. La petite troupe se précipita vers lui, oubliant temporairement la lutte qu'Olorìn menait pour la possession de ses facultés et de son enveloppe. Les quatre amis entourèrent le moribond, recueillant ses dernières paroles. "Azulysz... Retour..." Une dernière inspiration... et ce fut tout. Cette soirée avait été fatale à l'envoyé de la Couronne des Nords. Des regards douloureux s'échangèrent, avant que les survivants ne prennent conscience du combat se déroulant toujours un peu plus loin.

Le silence retomba. Olorìn était encore en suspension, quelques centimètre seulement au-dessus du sol, le bout de ses pieds nus effleurant les brins d'herbes, le corps toujours arqué en arrière. La lueur qui en émanait s'intensifiait et suffisait à éclairer le lieu, à présent privé de tout éclairage. Brusquement, la silhouette se contracta, se repliant brièvement sur elle-même, avant de s'arquer à nouveau d'un seul coup. Un faisceau d'énergie sembla jaillir de la commandante, pulsant vers les étoiles, tandis que sa dépouille retombait au sol. Toute lumière avait disparue. Seule la lueur argentée de la lune offrait un linceul aux deux corps désormais inerte.

Olorìn n'était plus.

Kensei était resté silencieux durant toute la cérémonie. Il comprenant l'enjeu de la réunion et la respectait malgré tout.

Il avait agit quand il avait cru bon qu'il le fallait, mais n'avait pu le faire à temps.

A présent, il ne pouvait que contempler le silence qu'avait suivit la déflagration furieuse, ainsi que les deux corps au sol.

Il baissa légèrement la tête et ferma les yeux, se recueillant en silence.