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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 05/06/1014 ETU 06:12 ![]() ![]() |
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°Initsializatsi Systemu : Pachantok° (Initialisation du Système : Début) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . °Initsializatsi Systemu : Zawershony° (Initialisation du Système : Terminée) °Dzien dobry, PP-HF01 Alisa, yest 06:00:00° (Bonjour, PP-HF-01 Alisa, il est 06:00:00) °Baza Danychk : Zagrantzknie° (Base de Données : Chargement) . . . . . . . . . . °Baza Danychk : Zagrantzniety° (Base de Données : Chargée) °Sensorwe Retseptory : Aktiwatsiya° (Capteurs Sensoriels : Activation) °Sensorwe Retseptory : Aktiwowanye° (Capteurs Sensoriels : Activés) (Thème musical fortement conseillé : https://www.youtube.com/watch?v=zlIDtVJ6OL4) Après avoir été coupés toute une nuit durant, les sens s’éveillèrent dans le même instant. Les paupières s’ouvrirent dans un petit cliquetis, et les globes oculaires, à l’iris vert comme deux émeraudes, virent. Luminosité à 5%. Aucune menace détectée. Les tympans vibrèrent. Bruit ténu d’électricité dans son câble d’alimentation. Volume à 20 décibels environ. Le nez sentit. Du plastique, divers métaux, du verre, de la peinture, du courant ; et une prépondérance de rose, de lys. L’épiderme toucha. Contact de tissu soyeux sur sa peau. Pression ambiante à 10 hectoPascals environ. Température à 20°C. Humidité moyenne. Bref : tout était en ordre, tout était normal, et le vaisseau n’avait pas explosé pendant sa mise en veille. La robote débrancha le câble de l’arrière de sa nuque, s’étira et se leva d’un bond. Aussitôt la lumière crût jusqu’à ce que la pièce fût entièrement éclairée, lui laissant voir la simplicité de sa cabine individuelle : par rapport au mur du sas, il y avait une couchette dans celui à droite, des casiers, un grand miroir et une armoire encastrés dans celui à gauche, et en face un minuscule bureau où étaient posées ses fleurs. Et le portrait d’un homme au visage fermé et dont le regard, si bleu et si glacé, semblait pénétrer tout ce qui se trouvait à sa portée. Elle retira la nuisette qu’elle portait pour enfiler des vêtements de jour, mit son raz-du-cou, celui qui arborait une étoile rouge en dragunovska. Un cadeau de l’homme du portrait qui lui était cher, si cher… S’arrachant de ses pensées qui commençaient à devenir moroses, elle se posta devant son miroir, prit la pose et se trouva, comme tous les matins, quand même vachement bien faite. « Maaaah… encore une belle journée ! » Et puis elle sortit, guillerette, dans les couloirs du Vaisseau-Monde. ⁂ « Alors, Nadia, Oleya ? Cette planète, a-t-elle répondu ? — Nie, Kamarade Première Confédérée Alis… — “Alisa” suffira, Nadia. » interrompit l’intéressée avec un sourire. En plus de l’équipage et des officiers, ils étaient quatre dans la salle de commandement, à regarder l’image d’une magnifique planète bleue projetée par la table holographique. Elle-même, Alisa Dragunova, Première Confédérée par intérim du Peuple Rouge en exil à travers les étoiles depuis… un bon moment. Puis Dragomir, le Deuxième Confédéré, ce grand blond en uniforme militaire ; toujours souriant, à la fois cynique et bon enfant. Et enfin, les deux nouvelles conseillères politiques d’Alisa, Nadia Kovalchuk et Oleya Zhukovskaya, deux jeunes femmes anciennement responsables de la branche locale du Parti sur des mondes éloignés de leur ex-capitale. La première était blonde aux yeux bleus, toute fine, Slavianke trait pour trait ; et tout en simplicité, en précautions, en déférence. L’autre, plus métissée, brune et plus large, se montrait aussi plus hardie, presque… familière. Les deux se montraient rudement compétentes et rigoureuses dans leur domaine, ce qui leur avait valu cette promotion inouïe. « Je disais, reprit Nadia avec gêne, qu’ils n’avaient pas répondu à notre signal de détresse. Pourtant nos sondes sont formelles : il y a bien de la vie et des habitants, là en bas. — Alorrs l’arrtefact que nous avons trrouvé a bien fonctionné, fit Dragomir en tapant dans ses mains. Aucune de nos cartes stellairres ne rreconnaît ce Secteur. Le Vaisseau-Monde a bel et bien été téléporrté dans une nouvelle Galaxie, daaaaak ! — La nôtre doit être morte à l’heure qu’il est, dit Alisa d’un air sombre. Et il y eut un silence endeuillé à cette évocation. Ils avaient perdu leur foyer, comme leur berceau avant lui. La perte demeurait difficile à digérer, d’autant qu’elle en rappelait d’autres… plus terribles encore. Alisa repensa à son Batko, le Très Glorieux Kamarade, le Héros du Peuple, le Grand Timonier, l’ex-Premier Confédéré ; son Alexei Dragunov qui ne se réveillerait probablement jamais. — On devrait atterrir, Kamarade Lisa, dit Oleya pour briser le silence pesant. — J’aurais quand même aimé avoir l’approbation des autorités de la planète… — On n’a pas le luxe d’attendre. Notre Peuple a pas mal de patience, de discipline et de courage à revendre, mais la production à l’intérieur du vaisseau n’est pas plus illimitée que nos réserves. — Mais s’ils nous font mauvais accueil… — Dans ce cas cela voudrra dirre que ce monde a besoin d’êtrre libérré pacifiquement parr les arrmes et éclairré parr le Plus Parrfait des Communismes, Lisotchka. Ce qui nous rreste de notre Glorrieuse Arrmée Rrouge peut encorre conquérrir une planète en un rrien de temps, daaak ! — Nie, Dragomir. » Le ton était impératif, sec, cassant. Inhabituel. La surprise fut générale et la tension remonta. L’équipage feignit d’ignorer ce qui se passait à la table holographique. « Je veux rompre avec la violence de nos méthodes et l’idéologie du Communisme de guerre, reprit-elle d’une voix calme et douce. La gouvernance du Très Glorieux Kamarade Dragunov était une chose, la mienne en est une autre. Mes nouvelles méthodes, nos nouvelles méthodes seront moins guerrières. La “libération pacifique par les armes” est une absurdité. » Dragomir haussa les épaules et Alisa le considéra. Il était comme tant d’autres de ses Kamarades le pur fruit de cette culture guerrière, militaire, révolutionnaire ; cette culture Rouge qu’elle voulait adoucir pour la rendre plus… humaine. Elle savait que la chose serait longue, pénible, ardue : on ne se défait pas ainsi de mœurs ancrées depuis des lustres — elle trouvait d’ailleurs drôle que l’initiative partît d’un robot. Mais il fallait bien commencer quelque part ! Leur précédent foyer avait été brutalement conquis et ses populations d’origine assimilées de force ; celui-ci serait pacifiquement rallié à la Grande Idée du Communisme, ou, si l’on devait en venir aux armes, ce ne serait qu’en dernière extrémité. Car elle n’oubliait pas que derrière toutes ses grandes idées, la priorité demeurait la survie du Peuple. Mais derrière elle, Nadia s’agitait. Il était temps de décider. Alors Alisa prit une profonde inspiration, et son air devint sérieux et déterminé. C’était celui des moments graves, des moments historiques, des moments décisifs. Et, s’adressant à l’équipage et aux officiers, elle se sentit comme son cher Alexei Dragunov avant elle, devant ce monde plein de possibilités pour son Peuple en exil. « Kamarades… nous descendons ! Que nos Kamarades soldats se tiennent prêts à intervenir au cas où la situation dégénère. » Et d’adresser un sourire radieux à ses comparses autour de la table holographique, pleine d’espoirs. Elle sautilla sur place en battant des mains. « Notre premier contact avec cette Galaxie ! Est-ce pas excitant ? »
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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 08/06/1014 ETU 03:50 ![]() ![]() |
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Le même jour, 14h plus tard. Le Président Öber Mahrek n’en revenait pas. Son Conseil de Sécurité d’État venait de lui annoncer la nouvelle la plus incroyable qu’il eût jamais entendue. Il se pencha en avant dans une posture de réflexion. Les implications de ce que venait de lui annoncer le Directeur des SRR, les Services de Renseignements de la République, étaient profondes et sérieuses. Un immense engin non-identifié avait atterri dans les Plaines du Rus sur le continent Est. L’armée, dépêchée sur place, avait trouvé... des êtres vivants ! Et pas n’importe lesquels ; c’était des êtres humains, comme eux. Ils étaient nombreux, très nombreux ; cent millions selon leurs propres chiffres. Le vaisseau semblait lourdement gardé par des colosses engoncés dans du métal. Un type d’armement qui, à première vue, était bien supérieur au leur… mais qui ne pourrait résister à un tir atomique, si besoin était. L’armée déjà avait encadré la zone. « Intéressant, cette technologie… Et vous dites qu’une délégation veut s’adresser aux autorités planétaires ? demanda-t-il au chef de l’armée. — Oui, Monsieur le Président. Ils nous ont envoyé quatre personne sans garde, dont l’une qui dit qu’elle est la dirigeante de ces… gens. Elle dit aussi qu’elle s’appelle “Alisa Dragunova” et qu’ils venaient en toute bonne foi. — Une femme, hein ? et y avait du dédain dans sa voix. Montrez-moi cette délégation. » Son image fut projetée sur le mur au fond de la pièce, et le Président fut frappé. Ce n’était même pas une femme, c’était une jeune fille ! Tout en elle semblait respirer la fraîcheur, la douceur même, et selon le témoignage de son chef des armées elle se montrait d’une déférence qui virait presque à la docilité. Ça, un chef de peuple ? Apparemment oui. Elle semblait respectée. « Quelle folie de venir sans escorte. Nous pourrions tout aussi bien nous débarrasser d’eux pour prendre leur vaisseau. — Ils disent que c’est un gage de bonne foi. — Peut-être, peut-être… fit Öber Mahker en frottant son menton rasé de frais, l’air grave. Nous pourrions en tirer avantage. Ces technologies… hum. Et que cherchent-ils chez nous ? » (Musique ! Je me suis acharné à la trouver, celle-ci : https://www.youtube.com/watch?v=yJ9CGtnatoQ) ⁂ Avant d’entrer dans la pièce, Alisa lança un dernier regard à ses conseillères, Nadia et Oleya. Lourd de sens. Elle leur disait de se rappeler absolument de ne jamais mentionner exactement d’où ils venaient, de ne jamais révéler qu’elle était une robote. Éviter le sujet de leur système communiste avant qu’ils aient pu se montrer avantageux pour leurs juges. Et l’artefact n’existait pas. On ne savait pas comment ils pourraient réagir à des révélations aussi troublantes. Les deux hochèrent la tête du même mouvement et Dragomir eut un sourire en coin. Une telle planification l’enchantait, ainsi que sa réponse à ses protestations quand elle avait annoncé qu’ils iraient sans Gardes Rouges — « Soit ils nous capturent et nous avons une armée entière à leur offrir en retour, soit nous leur faisons l’effet de la meilleure des bonnes fois. Le pari en vaut la chandelle, non ? » Fine politicienne malgré son cœur en or… le Très Glorieux Kamarade avait-il soupçonné les capacités de sa pupille ? Elle hocha la tête, ouvrit la porte, entra. C’était une petite salle de réunion de la base militaire, aux murs gris, avec une table rectangulaire et des chaises standards. Il y en avait quatre pour eux, et quatre autres de l’autre côté de la table, occupées par autant d’hommes. Elle en connaissait déjà deux ; le chef des armées dans son uniforme vert foncé, le chef des services secret dans son costume entièrement noir. Les deux autres… ses capteurs passèrent en revue celui qui attirait le plus son attention, un cinquantenaire élégant au visage fermé. Costume bleu marine, chemise blanche et cravate rouge de meilleure qualité. Air plus grave : fonction délicate ; plus d’implications ? Un pin’s à l’effigie d’un drapeau bleu frappé d’une sphère à méridiens. Pin’s présidentiel ? Sans aucun doute. Oui, tout son être concordait : il y avait une haute probabilité qu’il fût chef d’État. « Mesdames, Monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Le ton de l’homme était contrôlé, calme sans être chaleureux, sérieux sans être sec ; un ton politique en somme. Je suis le Président de la République planétaire de Franzhie, Öber Mahker. Voici MM. Bron Väker, mon Ministre des Affaires Étrangères (il désigna le quatrième homme qu’Alisa n’avait pas détaillé), le Général Alfrid Henrik, et Teo Albërvil. À qui ai-je l’honneur ? » La Machine en elle sut. Être cordiale. Souple. Déférente. Sourire. Y aller en douceur sans trop tourner autour du pot. Se rendre utile. Probabilités de réussite selon ce plan : élevées. « Monsieur le Président, je me vois ravie et honorée d’être accueillie par vous en personne. Je me nomme Alisa Dragunova et je suis la Première Confédérée de mon peuple. (ses trois acolytes s’inclinèrent à mesure qu’ils étaient désignés) Voici le IIe Confédéré Dragomir, qui me sert de Premier Ministre ; et mes conseillères politiques Nadia Kovalchuk et Oleya Zhukovskaya. Je vous remercie de m’accorder cet entretien… important pour nous tout autant que surprenant pour vous, j’imagine. » Et les choses sérieuses débutèrent. Alisa présenta son peuple en omettant soigneusement les détails dérangeants. Ils venaient d’une planète, Krasnaya Zemlya, loin de la leur. Ils avaient dû fuir une guerre civile qui avait manqué de les exterminer, ils avaient trouvé refuge ailleurs. Et après une ère de prospérité, ils avaient dû fuir encore les germes d’une autre guerre civile afin de sauver ce qui pouvait l’être. Ils avaient dérivé longtemps avant de trouver un monde habitable, et, lorsqu’ils avaient vu que celui-ci était habité, ils avaient essayé de le contacter sans succès. Alors, comprenez-vous, ils avaient été forcés d’atterrir sans savoir l’accueil qu’on allait leur réserver… Le Président hocha la tête à tout sans se départir de son air sérieux. À la fin il commenta. Certes cela peut se comprendre. Elle avait l’air de bonne foi, et il nota intérieurement son absence d’escorte comme un effort qui trahissait leur désespoir. Le désespoir était une corde sensible dont on pouvait jouer… avec précaution. Coup d’œil au Ministre qui saisit et renchérit comme ils en avaient convenu. Comprenez-vous, Madame, malgré l’envie de vous accueillir, la chose serait excessivement chère et compliquée pour cent millions de personnes. La robote ne se laissa pas démonter : le Vaisseau-Monde était suffisamment spacieux pour les abriter le temps de trouver une solution. Il suffisait d’un espace désertique. Mais Madame, les exploitations de la planète occupent ces espaces. Il y a un continent polaire, fit à ce moment Oleya avec une œillade pour Nadia, qui enchaîna le plus naturellement du monde. Le Vaisseau-Monde est assez avancé pour tenir dans ces espaces rigoureux. Vraiment ? Alisa sourit. Ce dernier mot, prononcé par le chef des armées, avait éveillé l’intérêt de tous. Elle les félicita en son for intérieur. Il fallait maintenant les appâter et leur faire miroiter leurs capacités. Au fond d’elle-même, la Machine murmura et elle frémit. La bête désespérée est prête à tout pour survivre. Oui, vraiment. Ils pourraient éventuellement partager, en bons amis… et il était vrai que le lieu où ils avaient atterri était spacieux et spacieux et vide. Mais ses interlocuteurs restaient sur ce mot, partage. Elle savait ce qu’ils entrevoyaient. La possibilité d’exploiter plus vite et mieux. D’aller dans les étoiles. De faire du profit. Le poisson est pris.
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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 10/06/1014 ETU 04:13 ![]() ![]() |
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Cela faisait plusieurs cycles que les négociations entre la Confédération Rouge et la République Franzhienne avaient débouché sur l’allocation de ces derniers d’une terre où bâtir une ville et établir une agriculture. Comme par le passé, toutes les forces de la Nation communiste furent mobilisées, cette fois sans avoir besoin de coups de crosse, pour redresser leur Glorieuse Mère-patrie des cendres où elle se trouvait. les Slaviankes, les Sinéens et les Abraxiens, les Kamarades Ouvriers, Paysans, Intellectuels, Soldats, les femmes, les hommes, tous travaillaient à établir un nouveau foyer selon le plan des architectes et la direction de la Kamarade Alisa Dragunova, et sous la veille du Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov dont on voyait le portrait affiché partout. Le manque de matières premières fut pallié par la République qui leur offrit des mines et des centrales. Mais la dure réalité s’imposa à eux : les technologies n’étaient pas un gage suffisant. Il fallut signer un bail pour un prêt sur les concessions minières et énergétiques, au bout duquel la Confédération devrait dédommager Franzhie à hauteur du chiffre qu’ils auraient dû avoir selon une certaine conjoncture. Et un autre contrat commercial avec un taux d’intérêt « justement négocié ». Bref : l’amitié avait un prix. Mais le Grand Renouveau valait cela, et Alisa estimait qu’elle ne s’en était pas mal sortie dans les discussions entre elle et le Président Mahker : ils avaient un foyer, ils avaient une terre. Bientôt on vit s’élever, sur la région des plaines du Rus de la planète Franzhie, un début de ville à proximité du Vaisseau-Monde. Un spatioport rudimentaire avait été installé et des chantiers fleurissaient : çà le début d’une future « Université d’État Alexei Dragunov », là des magasins, ailleurs une base militaire, et des usines, et des habitations. Et surtout, le nouveau Palais du Peuple qui abriterait l’Assemblée Populaire et le Bureau du Premier Confédéré une fois qu’il serait terminé… et que l’on aurait organisé les premières élections libres de l’Histoire du peuple Rouge — car même si toutes les autres avaient été libres selon les critères du régime, Alisa pensait, peut-être à raison, que mettre des Kommissars armés dans les bureaux de vote, des bulletins sans enveloppes et des candidats choisis par le Parti forçait un tout petit peu le choix des Kamarades. Et l’on avait construit des vaisseaux pour une expédition, et l’on avait commencé à coloniser des mondes que l’on avait une fois encore partagé avec la République de Franzhie — encore une clause très équitable du contrat. Le contact avait été noué avec d’autres civilisations, même si le Président Mahker se montrait extrêmement réticent à maintenir un lien durable ; mais ça… c’était tant pis pour lui. En tout cas, l’avenir des Rouges se bâtissait pour une fois sans encombres et sans effusions de sang. Et puis un jour, alors qu’elle était à son bureau dans le Vaisseau-Monde en train de planifier avec ses conseillères Nadia et Oleya, Dragomir entra. Il ne souriait pas. Il avait une nouvelle terrible. ⁂ « Je n’y crois pas… — Pourrtant c’est vrrai, Lisotchka. Nos Kamarrades expéditionnairres les ont détectés surr leurrs rradarrs. — Non, Dragomir, ce n’est pas ça… je ne veux pas y croire. » Elle tournait en rond comme un chat en cage en se mordant l’ongle du pouce. Elle avait cet air paniqué, comme lorsque des fatalités vous tombaient dessus, comme ça, sans prévenir. Et cette fatalité se nommait Libria. La République Autoritaire Librianne. Leurs ennemis d’hier, ceux à qui, sous la gouvernance du Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov dont elle n’était à l’époque que la porte parole — et la personne la plus proche du dictateur silencieux —, la Confédération Rouge avait déclaré la guerre en réponse à une agression dissimulée. Ceux contre qui ils s’étaient férocement battus, contre qui des millions de Kamarades Soldats « idéologiquement éduqués » étaient tombés au nom de leur Mère-patrie. Emportant, avec eux, peut-être autant de vies libriannes. La haine était féroce entre les deux Nations, et les revoir ici n’augurait rien de bon. En tournant en rond comme un chat en cage elle ne pouvait s’empêcher de laisser s’échapper des « Non, non, non… » réguliers. Un flot de pensées se bousculaient dans son esprit humain. « Ils vont considérer que la guerre n’est pas terminée, je le sais. Ils sont pétris de vieilles rancœurs, et le Peuple aussi. Je veux la paix… Dragomir, je veux la paix… — La paix est peut-êtrre possible, Lisotchka. Ils ont un nouveau Chancelier, Hoepnerr. Ils nous ont envoyé une communcation, daaaak, et Hoepnerr fait un pas verrs la paix. » Le visage d’Alisa s’illumina. On lut le message, et la Première Confédérée reçut l’amère confirmation de ses craintes. L’ennemi d’hier, malgré sa volonté de négocier une paix, se considérait toujours comme en guerre contre la Confédération. On décida, puisque le communiqué venait de la Ministre des Affaires étrangères et non le Chancelier en personne, d’envoyer Nadia pour sa rigueur diplomatique. Et les échanges, au fil des cycles, se succédèrent. Hoepner avait ses conditions, Alisa avait besoin de temps pour y réfléchir. La paix, se disait-elle, ne pouvait se construire que si l’on en comprenait entièrement les implications, qu’on les soupesait, qu’on les étudiait en choisissant les meilleures options. Elle hésitait, demandait de l’aide à ses trois conseillers. Un cycle avait passé ainsi depuis la dernière réponse de la Libria. Mais il était dit que les vieux réflexes devaient être ceux qui perduraient : la République Autoritaire montrait des signes d’impatience. Il fallait faire vite. Faire vite, très vite. Calculer la meilleure option. Calculer. Étudier. Vite. Ne pas hésiter. Tout saisir. Tout analyser. En même temps. Tout s’enchaînait à une vitesse folle dans sa base de données comme dans son esprit ; la pression s’accumulait, la panique avec elle. Et elle entendait une voix qui susurrait, qui murmurait, de plus en plus fort, de plus en plus présente… Puis ce fut le Vide. Le Vide de la pensée. Le Vide de l’émotion. Le Vide de la Vie. De l’Humanité. Il n’y avait plus rien. Rien que l’Analyse. Rien que les Données. Plus d’Alisa. Rien que la Machine. La Machine s’adresserait à Libria.
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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 28/06/1014 ETU 18:45 ![]() ![]() |
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(Thème musical : https://www.youtube.com/watch?v=10R94eo-0L0) « Je suis désolé de ne pas être venue vous voir plus tôt. Je sais que ça fait longtemps mais… enfin vous savez ce que c’est ! La politique, le Secteur Zéro qui s’ouvre, Libria, ne jamais avoir un moment à soi, tout ça… » Alisa laissa échapper un rire. Bref, mais clair. Devant elle, l’homme demeurait figé comme à son habitude. Elle sourit. Il avait toujours été comme ça, de toute manière. Silencieux, impassible. Mais avant, pour elle, ses silences étaient limpides ; elle savait voir, analyser, décrypter et oraliser pour lui la moindre inflexion de son visage, un infime éclat dans ses yeux, une inspiration à peine profonde, un geste imperceptible. Il n’était pas muet mais n’estimait pas la parole nécessaire. Ses mots étaient précieux, affûtés, précis ; ses phrases étaient brèves. Et la parole, prononcée de cette voix grave et lente, implacable et glaciale, de cet ton tranchant mais calme qui vous faisait détourner les yeux et dresser les cheveux sur la tête ; la parole, dis-je, il l’utilisait comme une arme. Alors, lorsqu’il n’avait pas vitalement besoin d’en passer par là, il confiait ses discours à la robote qu’il avait faite fabriquer pour la tâche. Mais à présent, endormi, branché à des machines, intubé, perfusé, le corps l’ex-Premier Confédéré Alexei Dragunov n’exprimait plus que le néant. Dans la pièce située dans un petit quartier médical du Vaisseau-Monde dont l’emplacement était tenu sous le plus grand des secrets — hormis pour les médecins qui ne le quittaient jamais et pour elle-même —, qui sentait les médicaments, et qui avait les allures sinistres d’un bunker gris, elle était assise à côté de son lit. Le « bip » entêtant de l’électrocardiogramme comblait les silences qui, parfois, s’installaient. Quand Alisa devait chercher les mots pour parler à son Batko. « Dodoï a battu son record hier soir en détruisant son huit-centième ordinateur avec sa tasse de café pleine. Et le Kamarade Dragomir est toujours aussi rieur. Si vous le voyiez… un excellent superviseur. Un excellent aide de camp. Loyal. Et clairvoyant… » Elle baissa la tête et se mordit la lèvre, au point de déchirer la chair synthétique. Elle s’en moquait. La douleur n’était pour elle qu’une information… mais la honte et le regret étaient bien là. « Il avait perçu que nos “généreux hôtes” n’étaient pas dignes de confiance. Ils se sont fait monnayer pour assaillir Tempête… sa voix se fit faussement grondeuse, comme si elle réprimandait son maître endormi. Mais si Monsieur Alexei, je vous en avais parlé ! Une branche de la Maison Tempête, dans notre Secteur… je sais que vous n’avez pas oublié. Vous n’oubliez jamais rien. Vous êtes génial. » Avec un petit sourire elle prit la main de l’homme endormi. Elle le regarda un long moment, passant sur les cheveux d’un noir de jais qu’elle s’amusait autrefois à ébouriffer par surprise — au risque de recevoir le poing du Chef Génial en travers du nez —, le nez aquilin barré par une cicatrice sur la bosse, les lèvres fines elles aussi mutilées de la même sorte. S’il y avait bien une chose à laquelle Alisa répugnait malgré son envie de démocratisation, c’était l’idée d’enlever le portrait partout affiché du Très Glorieux Kamarade. Entre la démocratie dont elle rêvait pour le Peuple, et le maintient de « l’icône bienveillante » — doux, doux euphémisme… — de ce rouleau compresseur qui contrôlait absolument tout — qu’elle chérissait et admirait pourtant du plus profond d’elle-même… dur de choisir. Elle remarqua que sa pâleur le rendait aussi livide qu’un mort, se força à continuer pour réprimer un gémissement douloureux. « Bref… pour les assaillir afin de freiner leur départ pour le Secteur Zéro. Au moins Tempête a bien voulu tourner la page, mais son premier regard a été porté sur nous et c’est moi qui dois réparer les pots cassés de Franzhie. Sans compter Libria avec qui la paix à échoué, et qui se sert toujours de cette histoire et qui se montre de plus en plus agressive à notre égard. Et puis de toute façon Tempête a quand même pris la capitale galactique… j’aurais bien voulu voir la tête de ce vieux hibou de Mahker. … Monsieur Alexei… tout était vraiment plus simple quand vous étiez aux commandes. Elle lâcha la main du Petit Père des Peuples pour tordre les siennes dans des positions humainement impossibles. Mahker m’a refusé tout contact depuis l’incident. Il ne s’est pas excusé auprès de Tempête. Dragomir pense que Franzhie peut devenir de plus en plus instable et qu’il faut l’écraser, Nadia encourage le dialogue et Oleya se range du côté de Dragomir. … Que faire… que feriez-vous fait à ma place, Monsieur Alexei… que ferait votre génie au sang-froid légendaire… » Mais Alexei Dragunov n’était plus aux commandes. C’était elle, que l’angoisse de l’avenir gagnait, qui avait désormais ce rôle dans sa continuité directe, dont elle voulait préserver et enrichir l’héritage. Un profond soupir sortit de sa poitrine. Bientôt elle ne fut plus que stress. Que faire, que faire pour résoudre cette crise… Satané Öber Mahker ! Foutu trouillard ! D’abord il cherchait à les exploiter jusqu’à la moelle, à les priver d’un espace — plus de la moitié des colonies gagnées par les Rouges était sous l’autorité de la République de Franzhie en qualité de « don généreux » ! —, puis il leur attirait des ennuis incroyables ⁈ « Notre potentiel est tellement brimé par ces… hôtes. Non, ce ne sont même pas des hôtes ; ce sont des… des… des parasites ! Ils nous prennent tout ce que nous avons et nous font mille difficultés. J’ai dû les reléguer au deuxième plan diplomatique lors de nos interventions ensemble au point qu’ils n’interviennent plus du tout mais ça n’a pas suffi. On dirait qu’ils se vengent… j’ai peur qu’il n’arrive une catastrophe. Oh, Monsieur Alexei… j’ai peur. Vraiment peur. Dites-moi ce que je dois faire. » Elle battait maintenant des pieds, frénétiquement. Bien sûr qu’elle connaissait la réponse, comme si elle était une avec l’esprit de Dragunov. Mais à la différence du Grand Timonier de la Mère-Patrie du Socialisme — et selon l’Artikle Premier de la Konstitution, « Alexei Dragunov a raison. » —, qui l’aurait fait sans lever un sourcil, elle y répugnait. Tout y contredisait, son sens de l’hospitalité et sa sensibilité en premier lieu. Pourtant tout appelait aussi à s’y résoudre : la survie du Peuple Rouge primait par-dessus tout. Écraser sans pitié la République de Franzhie dans le cadre d’une opération de libération pacifique par les armes de son peuple opprimé. Rééduquer celui-ci avec les bases du Plus Parfait des Communismes et des Grandes Idées Socialistes du Parti. Voilà la réponse. Elle couvrit son visage de ses mains. Les sentiments contradictoires affluaient en elle. Non, c’était affreux… mais nécessaire pour la Glorieuse Mère-Patrie. Qui manquerait à sa parole et au respect dû à l’hospitalité ? Mais ce serait pour une cause supérieure. Cause supérieure… une basse Raison d’État. Mais la Raison d’État servait le Très Glorieux Peuple. Et au fond de son esprit les calculs commençaient à défiler, les analyses logiques pointaient le bout de leur nez ; elle sentit l’étreinte vide de la Machine se resserrer doucement sur elle. Lentement. Subrepticement. Comme un étau. Un cercueil pour sa conscience, son humanité. « NON ! » Et la Machine se retira au fond de ses systèmes comme une bête apeurée, l’émotion en moins. Cette chose en était incapable. Elle était cette chose ; elle ne voulait pas l’être. Pas quand il s’agissait de prendre des décisions aussi graves. La Machine pourrait être trop impitoyable ; et si la solution la plus simple et la plus productive dans l’immédiat était effectivement de balayer Franzhie, la Confédération Rouge pourrait passer à côté d’une opportunité bien plus grande dans la diplomatie. Et jamais elle ne changerait. Oui, la résolution était prise. Donner une chance à Franzhie, l’apaiser elle et ses craintes, c’était là le gage d’avenir. Elle pressa la main de Dragunov contre sa joue en fermant les yeux et respira l’odeur d’antiseptique de la pièce. Elle se sentit profondément apaisée. « Merci, Monsieur Alexei. Vous parler m’a fait du bien. »
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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 02/07/1014 ETU 09:55 ![]() ![]() |
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« Ma décision est prise, Nadia. Je ne reviendrai pas dessus. » Le ton avait été incisif, net. Nadia tressaillit. La Première Confédérée n’était plus la même en ce moment ; elle avait changé. Toujours elle était inquiète, toujours elle était occupée. Elle devenait incisive, prenait une poigne de fer. « Kamarade Première Confédérée… » L’intéressée ne l’interrompit pas comme elle en avait l’habitude pour se faire appeler par son prénom plutôt que par son titre. Elle gardait un œil non pas dur, mais plein de fermeté sur sa conseillère. Alors Nadia comprit qu’il ne servirait à rien de tergiverser, de tenter de lui apporter un autre point e vue. Alisa agissait en chef d’État qui prenait des décisions difficiles et qui avait le dernier mot sur celles-ci. Elle ne reviendrait pas sur son choix. Elle ne se questionnerait pas, pas avant le fait accompli. Elle ne pouvait pas se le permettre… et telle qu’elle se connaissait, d’autant moins. Alors la conseillère politique soupira et hocha la tête avec résignation. Il lui faudrait accepter cet échec. Alisa la regarda longuement, nota les reflets magnifiques de la lumière de la lampe jouant avec ses boucles blondes, ne s’en émut pas et s’étonna de ne pas s’en émouvoir. Elle soupira elle-même. « Le danger a été écarté trop de fois. J’ai tout essayé, Nadia, tout. La paix a échoué. La discussion du projet pour un Secteur uni a échoué. Même le satu quo est en train d’échouer. La Mère-Patrie a enchaîné défaite su défaite. J’ai enchaîné défaite sur défaite. Tout a échoué… parce qu’ils ont voulu que tout échoue. » Nadia ne répondit pas. Ses pâles yeux bleus s’attardaient sur ceux verts de la robote. Il y avait tant d’amertume dans ces yeux verts. Ils interrogeaient, demandaient pourquoi, pour quelle raison. Ils ne voulaient pas de tout cela, oh non… mais derrière l’amertume il y avait la détermination. Aux situations d’urgence les mesures d’urgence. C’était sa première mesure d’urgence, d’ailleurs. Elle avait cette sensation bizarre qui mêlait l’impuissance et la sévérité tout à la fois, nappés d’une crème cynique. Alors c’était ça que de diriger… c’était ça que le Très Glorieux Kamarade devait devait ressentir. Non, pas vraiment ; lui n’aurait pas été amer. Il aurait tout fait sans états d’âme en pensant servir l’intérêt suprême des Grandes Masses Laborieuses et de l’État. Oui c’était différent ; et le mélange qu’il y avait en elle, que Dragunov n’aurait pas éprouvé, la perturbait : elle aspirait à des choix moraux, pouvait-elle transiger parfois ? Comment expliquer ce sérieux glacé ? Et voilà, des questions… elle haussa les épaules, enleva ses habits sans aucune considération pour une Nadia qui, morte de gêne, s’empressa de se retourner ; et elle enfila son uniforme kaki de Glorieuse Chef des Armées Rouges. Elle aurait tant voulu ne jamais avoir à passer ce vêtement guerrier. Il symbolisait cette transition qu’elle trouvait affreuse vers le Communisme de Guerre. Mais tant pis. Il en allait de la sauvegarde du Très Glorieux Peuple. « De toute manière, fit-elle en boutonnant sa chemise, la mobilisation est prête et le déploiement de l’Armée Rouge a déjà été engagé. Nous avons atteint un point de non-retour quoi que nous en disions. Et même si j’ai actuellement l’autorité pour le faire je ne rappellerai pas nos forces. Moi aussi j’irai jusque au bout pour la Mère-Patrie. Comme tous ces gens qui se sont inscrits au bureau de recrutement, ou qui ont souscrit à l’effort de guerre… dak, comme une bonne Kamarade. Je ne peux pas couper à mes devoirs quand ils deviennent inévitables, aussi amers soient-ils. Et quoi qu’ils me conduisent à faire. Je crois que c’est ce que j’ai fini par le comprendre. Tu peux te retourner, j’ai fini. » Elles sortirent sans dire un mot de plus. Il y avait un État-Major à diriger. ⁂ « Nos forces sont en position, Kamarade Première Confédérée. L’Armada Rouge s’élève au nombre de vaisseaux que vous voyez à l’écran, l’Armée Roug… — Je sais Amiral Zû, coupa Alisa. J’ai été à toutes les réunions militaires du temps du Très Glorieux Kamarade, l’auriez-vous oublié ? » L’Amiral Sinéen sourit. C’était vrai. Jouer le rôle de la voix du Très Glorieux Kamarade l’avait mise dans sa peau. Elle savait quoi dire, quoi faire, où regarder et qu’entendre. Il laissa la parole au Maréchal Baranowski. « Nos Kamarades Soldats atterriront sur chaque point des planètes des Systèmes ennemis et les assauts ont déjà été lancés selon votre ordre. — Pas de mouvements de troupes incongrus de leur part ? — Malheureusement si, intervint l’Amiral Zû, mais nous avons donné des ordres pour que nos vaisseaux les suivent. Où elles vont, nous serons et nous les écraserons. Il n’y aura pas un seul survivant. — Fajnie. C’est regrettable mais nous ne devons leur laisser aucune chance. Ils doivent être jetés dans l’espace, sans quoi nous auront droit à une sacrée contre-attaque. Pas un seul de ces kamikazes que nous avons repérés ne soit avoir le temps de foncer. Mes ordres ont bien été suivis pour éviter cela ? — Bien entendu, Kamarade Première Confédérée. Et Zû sourit à nouveau, de toutes ses dents, comme un poisson carnassier. Une vraie horreur d’homme, pensa Alisa. Une horreur d’homme qu’elle devait toutefois supporter. Je dois vous dire que j’avais des doutes au sujet de vos… capacités à mener l’Armée Rouge. Le Très Glorieux Kamarade était tellement performant sur ce sujet que je pensais que son successeur n’aurait pas sa trempe. Mais votre ordre a prouvé votre prévoyance. Vous avez mon respect. » Elle hocha brièvement la tête. Pas d’inclinaison devant ces militaires ; ils la jaugeaient encore malgré leur soutien, et elle savait que si elle perdait l’emprise que son pouvoir lui conférait sur eux ils se retourneraient contre elle. L’armée était un pilier de poids dans l’État confédéré. Elle était puissante et habituée à avoir une épée de Damoclès sur la tête lors du mandat d’Alexei Dragunov ; pour assurer son autorité et leur efficacité Alisa Dragunova, si elle ne suivait pas ces méthodes-là, se devait au moins de se montrer plus forte qu’eux. Elle se promit de les limoger un jour — une voix intérieure, froide et mécanique, lui susurra l’idée d’une Rééducation, mais elle l’écarta aussitôt —, histoire de pouvoir nommer des gens avec qui on pourrait travailler sans craindre d’engendrer la chute de l’État au moindre impair. « La cartographie planétaire de leur capitale nous montre des points d’ancrage ici et ici, fit le Maréchal Baranowski en montrant des endroits sur l’hologramme d’une sphère parcourue de reliefs ; un monde virtuel qui flottait sur la table holographique. L’Amiral Angelus qui dirige l’assaut de l’Armada Rouge dans ce Système aura recours à une attaque de vaisseaux kamikazes. Nos soldats et nos blindés seront largués et les vaisseaux s’écraseront sur leurs centres planétaires. Les Molot Angelis serviront en première ligne selon votre ordre… remarquable cadeau qu’on vous a fait là, Kamarade Première Confédérée. Mais donc… » Et il détailla le plan avec une précision de fonctionnaire, point par point, escouade par escouade. Arme par arme. Il en serait venu aux pouces de terrain gagnés si Alisa ne l’avait pas interrompu dans son monologue, provoquant un rire étouffé de Nadia qui était dans un coin de la pièce. Il était rare qu’elle rie. « Je veux qu’il n’y ait pas de pertes qui ne soient pas absolument nécessaires, pas de pillages, pas d’exactions, pas de frappes qui ne soient pas chirurgicales, le moins de dommages collatéraux possibles. Je veux les sanctions les plus lourdes soient appliquées aux contrevenants, et malgré l’attachement que j’ai pour vous deux vous serez en première ligne de celles-ci. Je dirige une armée communiste, pas une razzia d’anarchistes… est-ce clair ? » Ils hochèrent la tête, silencieux. Elle ne parvint pas à savoir ce qu’ils avaient en tête, eux qu’elle parvenait à lire comme des livres ouverts quand Dragunov les terrorisait d’un seul regard. Le changement de style du pouvoir s’était donc bel et bien fait sentir qu’ils se sentaient pousser des ailes à ce point — avant ce regard leur aurait valu de mourir suicidés d’une chute dans les escaliers après avoir glissé sur une balle dans la nuque ! Mais ce n’était pas du tout le moment de penser à cela. Pour l’heure on devait penser à la bataille qui allait se dérouler. « Kamarades, fit-elle, et son ton montait en intensité à mesure qu’elle parlait ; et leur attention était de plus en plus captée, captivée, captive, nous allons faire ce que nous avons échoué à éviter. Nous allons couper court à cette menace pour le Secteur, pour la Grande Mère-Patrie, pour le Très Glorieux Peuple Rouge. Des Kamarades vont diriger, des Kamarades vont se battre, mais tous participeront à la mise à bas de ce gouvernement de malhonnêtes, de criminels bruns ! Finis leurs mensonges, finis leurs complots, finis leurs sapes ; vous… non, nous devons réussir ! RÉUSSIR, DAK ! Plus jamais ces gens ne menaceront le Très Glorieux Peuple, nie, car nous allons à la VICTOIRE ! La victoire… face à Libria ! Pour la Mère-Patrie ! Pour Alexei Dragunov ! » Ils saluèrent et répondirent ces mêmes derniers mots avec enthousiasme. Bien. Elle savait que la suite se jouerait sur le terrain politique, devant la Galaxie. Elle voulait faire l’annonce elle-même. Mais les conséquences… elle avait peur de les affronter. Tout serait-il vraiment pour le mieux ? Elle eut la tentation de la Machine. Elle l’espérait, par Lénine… elle l'espérait. Hrp : La suite est dans le topic dit « Annonce officielle de la Confédération Rouge », ici : http://www.apocalypsis.org/assemblee/viewtopic?c_topic=6090&c_forum_page=1.
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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 09/07/1014 ETU 12:31 ![]() ![]() |
Score : 3
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(La partie deux sous les astérismes se passe il y a deux cycles. J’aurais dû le poster à ce moment, maiiis bon. Bonne lecture !) Quelques six cycles plus tôt, au commencement de l’affaire… La Vice-Amirale Aurelia en charge de la flotte d’invasion du Système 14 reçoit une communication écrite sur son bracelet Com-X. « La planète Nemim doit être laissée. Ordre indiscutable. » L’officière déglutit. La signature numérique du message provient de l’État-Major et la formule « Ordre indiscutable » est on ne peut plus claire : la consigne provient « d’en-haut » et sa mention entraîne la Rééducation à perpétuité. C’est-à-dire le Bonheur, jusqu’à la mort, au fond d’un puits de mine de la colonie pénitentiaire de Zemlya Obettovannaya. Elle fera tout pour empêcher la prise de la planète et se répète dans sa tête que ce Com-X n’a jamais existé. ⁂ (Thème musical : https://www.youtube.com/watch?v=RM9yQ6YNod0) Les événements en Secteur III se poursuivaient. Plusieurs cycles s’étaient écoulés depuis le début des opérations contre la République Autoritaire Librianne. Tout s’était déroulé comme prévu. L’offensive, chirurgicale, avait chassé en un temps record les forces libriannes de leurs mondes, évitant le plus possible les dommages collatéraux et les victimes civiles — les Kommissars s’étaient montrés particulièrement efficaces dans l’exécution de ces ordres, au grand dam des soldats. Tous… excepté un seul. En Système 16, un corps céleste, une sphère habitable et habitée avait été totalement oubliée. Alisa avait cru s’éteindre sous le choc, et ses généraux étaient bouche bée. Comment, comment avait-on pu… oublier un monde ! Ça n’avait aucun sens ! Le K.R., le service impitoyablement efficace de renseignements de la Mère-Patrie, avait été mis sur l’affaire sur son ordre exprès. On trouverait la source de l’erreur. Et maintenant, devant cette réussite lamentable, la Confédération se retrouvait… à la table des négociations. Elle n’en attendait rien et ne fut pas déçue. On ne négociait pas avec le rude Chancelier Hoepner ; une qualité pour sa Nation qui trouvait en lui un chef inflexible, voire infaillible, mais une calamité sans nom pour ses ennemis qui étaient forcés de faire un pas par un pas jusqu’à céder. Mais pouvait-elle faire autrement ? Outre l’interposition des Tempête… elle ne pouvait pas rejeter des négociations. La chose allait à l’encontre de tous ses principes, toute sa morale, toute sa personne. Non. Elle ne pouvait pas. Pourtant tout était embourbé. Elle se trouvait dans sa chambre de fonction, dans le Palais du Peuple encore inachevé à cause des fonds nécessités par la guerre. En nuisette, étendue sur le dos, le visage inexpressif et les yeux pleins d’amertume rivés sur le plafond qu’elle voyait sans regarder, Alisa s’égarait. Dans la peur, le doute, le désespoir de trouver une solution à l’amiable. Elle avait envie de pleurer et maudissait l’incapacité de son corps à produire des larmes. Écrasée d’impuissance. Elle repensait à ses maudits généraux, aux cadres du Parti, et à leur regard désapprobateurs. Ils avaient tous le même. Tant d’attentes. De contraintes. De barrières. Tout l’éloignait, en ce moment, du bon chemin ; et pourtant elle devait tenir. Écrasée de pression. Ses pensées voguèrent vers Arckangel et elle fut encore plus malheureuse, à ce moment précis, de ne pas l’avoir près d’elle. Cette affreuse situation l’empêchait de communiquer régulièrement avec la femme aux cheveux d’argents, au moment où son secours aurait été si bienvenu. Elle ferma les yeux et soupira. Elle voulait être forte, mais là quand même, pour une fois… juste une… est-ce qu’elle ne pouvait pas juste pleurer ? Ou s’échapper juste un tout petit moment ? Oui, s’échapper en elle-même… À suivre.
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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 17/07/1014 ETU 20:05 ![]() ![]() |
Score : 6
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(La suite du post précédent ; elle se passe dans le même cycle, juste après la dernière ligne.) Elle sentit le monde se dérober sous elle, et ce fut comme une chute. (Thème musical : https://www.youtube.com/watch?v=4fph52QaI48) Une chute en elle-même dans ce rêve que la Pythie d’I aš zalag lui avait permis d’ouvrir. Pas un de ces ersatz de rêve où elle construisait elle-même l’intégralité des images, des actions dans lequel elle évoluait ; non, c’était là tout un monde qui s’était bâti de lui-même à partir de ses pensées, de son imagination, de son caractère, de ses émotions, et sur lequel elle n’avait pas d’emprise. Là, c’était comme un tunnel clos plus ouvert que l’espace. Elle chutait tout en semblant flotter, percevait de bien étranges choses qui y étaient un instant, qui celui d’après n’avaient plus d’existence. Elle voyait des meubles, des flux colorés, des jouets et des objets, et des créatures étonnantes, des nuages et des racines, un mur opaque de briques transparentes et un coin de ciel vert ; elle sentait le parfum de fleurs, de nourriture, des gens, de l’air, du thé. Il y avait tout à la fois dans un grand méli-mélo savoureux. Elle le ressentait ; chaque couleur, chaque objet, chaque son, chaque odeur… même le goût ! Ses capteurs détectèrent un paradoxe. Rien de tout ce qu’elle voyait n’existait. Ne pouvait exister. Son système ne le comprenait pas. Elle chut doucement sur un tapis de fleurs, au bord d’une falaise. Derrière elle s’étendait une mer de nuages qui laissait voir, par endroits, une immensité verdoyante. Il y avait des forêts et des plaines qui se côtoyaient, bordant de grandes montagnes si loin — et pourtant si proches… Et des étendues de terres qui flottaient au-dessus des nuages sans projeter d’ombres. Quelques pas vers le précipice lui indiqua qu’elle se trouvait sur l’une d’elle ; peut-être la plus grosse d’entre elles. Un œil vers le ciel lui indiqua qu’il faisait jour, mais que la lune, les étoiles et des planètes colorées étaient de sortie. Elle sourit, porta son regard vers l’endroit où elle se trouvait ; et c’était un grand bois, épais, féérique ; il y coulait un ruisseau, il y poussait des plantes qui faisaient sa taille, il y avait des créatures pleines d’une adorable étrangeté. La contrée était issue des pays les plus merveilleux qu’elle eût pu imaginer. Tout tenait de la conception humaine du beau, du tranquille, de l’heureux. Elle était bien. Bien dans son rêve. Dans son beau rêve. Erreur critique. Impossible de coordonner les pensées et les données. Conflit majeur. Surchauffe système potentielle. Impossible de percevoir les données perçues. Paradoxe. PARADOXE. Curieusement, Alisa, perdue dans son rêve, ne ressentait rien de cela. Dans la réalité, tout son système commençait à s’affoler sans que son esprit s’en trouvât mal. Elle avait dompté son corps de machine au point de s’en sentir absolument déconnectée ; il lui semblait qu’elle en avait un nouveau, qui lui permettait de sentir et d’apprécier ses sensations. Toute guillerette, elle avança dans la forêt, cueillit un citron aux branches d’un fraisier et le pressa dans sa bouche. Plus de données froides et insipides ! dans son rêve, le jus de citron citron n’avait plus un PH de 2,6 ; il avait un bon goût acide qui lui faisait faire « mlâââââ ! » et lui arrachait une grimace. Elle huma une fleur exotique, violette et splendide — et surtout de la taille de sa tête —, et éternua en riant à cause du nuage de pollen qu’elle venait d’inhaler. « Je me sens tellement bien ici… » Elle continua sa promenade dans la forêt aux mille merveilles, l’esprit apaisé. Envolés ses problèmes. Il n’y avait plus de guerre, il n’y avait plus de bras de fer diplomatique, plus de tensions internationales ou d’impératifs nationaux. Juste un rêve, une balade dans un bois féérique — il venait d’en passer une, de fée ! Elle suivit un sentier à travers les bois et s’y enfonça en sautillant. À ce moment, Alisa, ses cheveux roses flottant dans le vent — elle ressentait la douceur du vent ! —, sa mine souriante et son air ravi, était l’image même de l’innocence. Insouciante. Heureuse. Ses capteurs étaient dans le rouge. Autour d’elle la lumière se mit à décroître. Elle ne s’en aperçut pas. Elle était tout au bonheur de sa promenade, et… tiens, qu’est-ce que… une statue de pierre s’élevait en plein milieu du sentier. Un homme. Elle s’approcha, curieuse. L’homme avait un uniforme. Elle blêmit — pour de vrai ; son corps onirique le lui permettait. Ce regard de glace, cette posture d’autorité, ce visage impassible, cette hauteur… il lui semblait que la statue grandissait à mesure qu’elle s’approchait. Pas de doute, c’était… lui. Mais pourquoi ? Pourquoi était-il placé dans son rêve, sur sa délicieuse promenade, comme un rappel de la terrible douleur qu’elle avait de .le savoir dans le coma ? Car c’est ce qu’elle éprouvait tandis que son cœur s’emballait. Elle gémit et une larme, une vraie larme roula sur sa joue. Monsieur Alexei… Elle détourna le regard, passa la statue. Ses pensées étaient devenues sombres et tristes ; le bois s’accorda en conséquences. Le croassement d’un corbeau lui arracha un frémissement. Partout où son regard allait les merveilles se corrompaient ; les arbres étaient griffus et flétris, la brume se levait, l’herbe état grise. Des yeux jaunes brillaient dans les buissons et des toiles d’araignée… curieux. Elles ne semblaient pas être faites de soie… elle alla voir de plus près. C’était brillant, métallique même, et cuivré… et pour cause, c’était du cuivre. Des fils de cuivre. Des toiles d’araignée en fils électriques. L’angoisse la gagna. Un pressentiment… terrible, terrible… et quelque chose dans la brume… des chiffres, des symboles éthérés… son sang se glaça. Des données ! Elle se mit à courir à travers le sentier, prise de panique. Elle le savait maintenant ; quelque chose gangrenait son rêve. Le sentiment sourd du danger cognait dans sa poitrine, tordait ses tripes, brouillait vue tandis qu’elle fuyait quelque chose d’invisible… mais elle savait que c’était là, derrière elle, autour d’elle. Elle savait ce que c’était. Et cela en voulait à sa vie. Brusquement elle fut immobilisée. Elle venait de se prendre dans une épaisse toile de fils électriques. Elle se débattit avec la fureur du désespoir ; mais plus elle gesticulait, plus elle s’empêtrait dans le réseau épais. Elle était une mouche dans la toile d’une araignée. Peur. Angoisse. Elle n’était plus que cela, désormais. « Ta peur est improductive. » La voix lui perça le cœur de mille aiguilles. C’était la voix d’un… robot. Une machine neutre, froide, implacable. C’était sa propre voix. Elle distingua une forme énorme dans la brume, qui avançait vers elle. Lentement. Inexorablement. Alisa recommença à se débattre ; ce fut pire. Elle ne pouvait plus du tout bouger. Pas même l’orteil. Et la forme avançait, avançait… sortit de la brume. Une gigantesque créature. Une araignée de métal de deux fois sa taille, aux longues pattes, au corps fin ; c’était comme ces affreuses bêtes, ces faucheux qui vous terrorisent dans votre salle de bain — qui la terrorisaient elle, en tout cas. Elle grimpa lentement sur la toile tandis qu’elle parlait ; et Alisa, tétanisée, n’émettait plus que des gargouillements terrifiés en guise de cris. « La Mère-Patrie est en crise. La Mère-Patrie doit être protégée à tout prix. Tes états d’âmes sont un obstacle au bon déroulement de cette mission. Je mènerai la Mère-Patrie à la Glorieuse Victoire sur les fascistes librians. Pour cela, tu dois temporairement disparaître. » La Machine. La Machine était l’araignée de métal. Alisa se mit à trembler. Son corps ne lui répondait plus. Elle avait froid, elle voulait crier, se débattre, fuir. Elle ne le pouvait pas. Elle savait ce qui allait lui arriver… la Machine allait prendre les rênes de son corps, jeter sa pensée dans un gouffre de néant. Alisa serait perdue et la Machine règnerait sans entraves ; et puis elle la ramènerait de l’oubli une fois la crise terminée. Et durant ce temps, Alisa cesserait d’exister. Ni âme. Ni conscience. Ni aucune trace d’humanité, de personnalité, d’elle. Rien que la Machine logique, mathématique, impitoyable. Elle eut un dernier regard désespéré vers le ciel, mais elle ne le vit pas ; il n’y avait plus que le brouillard de données qui s’épaississait, s’épaississait jusqu’à remplir sa vision tout entière. Elle se sentait aspirée, dévorée par l’araignée de métal. Partir. Froid… elle avait si froid… ⁂ La robote ouvrit les yeux. Elle se trouvait sur son lit, allongée. Rien n’avait bougé de place. Son uniforme de chef des armées était plié sur sa chaise, bien proprement. Elle s’était échappée d’elle-même, oui. Mais son visage, ses yeux… il manquait quelque chose. Il semblait qu’elle avait laissé la vitalité qui les habitait dans ses pérégrinations intérieures. Elle se leva avec la rigidité d’une automate. Elle était la Machine. Elle se dirigea vers son bureau, passa son uniforme, prit le pad qui traînait sur le meuble et entra en vidéo-conférence avec tous les membres de l’État-Major à la fois. Ceux-ci se mirent au garde-à-vous. « Messieurs, fit la Machine de sa voix monocorde. Nous avons perdu assez de temps. Faites reprendre les opérations et menez l’Armée Rouge à la victoire. » La guerre contre Libria allait reprendre de plus belle.
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Cdte. Alisa Dragunova
Respect diplomatique : 937 ![]() 24/07/1014 ETU 23:59 ![]() ![]() |
Score : 7
Détails
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« HHHEUUURRHHHHHHH… » Elle se réveille comme au sortir d’une noyade. Non, une nanoseconde plus tôt elle n’existait plus depuis dix cycles ; ce n’est pas un réveil mais un retour à l’existence. Elle panique, halète. Réflexe purement mimétique, son corps mécanique n’est pas à bout de souffle. Elle se palpe. Joues. Oreilles. Jambes. Seins. Tout est là, rien ne manque. Elle est dans son bureau provisoire. La lumière est tamisée, le mobilier peu fourni, il y a un portrait du Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov qui balaye la pièce de son regard de glace sur le mur derrière elle. Rien n’a bougé pendant que la Machine a pris les rênes de son corps… mais quelles tragédies ont été commises. Tout a été enregistré dans sa Base de Données. Elle se souvient de tout ce que la Machine a fait, dit, pensé, pendant qu’elle-même n’était rien dans l’Univers. Le Communisme de guerre débridé. Les victimes en simples statistiques, les ordres implacables qu’elle avait tenté d’éviter quand elle était maîtresse d’elle-même se déroulaient sous ses yeux. Seule dans son bureau, elle se mit à pleurer sans larmes. Pleurer sur cette tragique victoire éclatante. Pleurer sur ce monde qui lui souhaitait la bienvenue en lui laissant du sang sur les mains. ★ Novaya Gorod Krasniy, Spatioport Maybutnye, 14h H.U., 18-Ⅶ-1014 E.T.U. Alisa attendait nerveusement au spatioport de la capitale. Leur arrivée était imminente. Elle avait tenu à les accueillir loin du décorum des hauts cadres du Parti et de son État-Major ; les bannières Confédérées, la centaine de Kamarades citoyens triés sur le volet, les Kommissars dispersés parmi eux, l’orchestre civil, le tapis rouge et les banderoles de bienvenue offraient selon elle un bien meilleur apparat. Moins formelle, plus accueillante, la Première Confédérée souhaitait ainsi se démarquer de la froideur de son prédécesseur. Elle n’était entourée que de ses conseillères, la frêle Nadia et l’éclatante Oleya, et de son Deuxième Confédéré Dragomir-le-cynique. Et d’une cinquantaine de ces Gardes Rouges si imposants dans leurs armures rouges et noires. « Haaaawwwn… l’attente est trop longue… » Dragomir posa une main sur son épaule en souriant tandis qu’elle rongeait ses synthétiques ongles. C’était si long, si stressant ! L’événement serait-il à la hauteur ? La capitale leur plairait-elle ? Elle songeait avec effroi aux portraits, statues, noms de places et de rues et de bâtiments et d’instituts… à la foule de chose — jusqu’à la marque de grille-pain — portant le nom du Très Glorieux Kamarade Alexei Dragunov. Elle n’avait pu se résoudre à initier une dédragunovisation de la société Rouge — Monsieur Alexei était si génial ! —, et elle craignait, sans doute à juste titre, que la Confédération leur apparût comme le totalitarisme qu’elle était. Dur dur d’entretenir des rêves démocratiques dans un tel régime… la réalité schizophrène vous faisait toujours honte. « Lisotchka, ils arrrrivent. » Dragomir avait pointé le ciel nuageux du doigt : un porte-navettes de la station orbitale Krasnaya descendait vers eux. Alisa sautilla sur place et battit des mains : fini d’attendre ! Le vaisseau se posa, et ils descendirent. Les Gardes Rouges se mirent au garde-à-vous, l’orchestre se mit à jouer en fanfare et la foule des Kamarades Citoyens les acclamèrent avec un enthousiasme débordant, mi-sincère, mi-parfaitement simulé. Les chefs des Nations amies de la Confédération Rouge étaient là ! D’abord le Premier, avec son élégance de mafieux ; costume noir rayé et lunettes noires, souriant. Il avait l’air d’un mafieux bienveillant, et Alisa, assez impressionnée, alla l’accueillir en souriant jusqu’aux oreilles tandis que Dragomir, Nadia et Oleya restaient derrière. « Dzien dobry Kamarade Premier ! Je suis si honorée de votre visite ! — Et moi donc, Première Confédér… (il fut coupé par une Alisa qui désirait être nommée par son prénom, et lui serra la main) Et mes plus sincères félicitations pour votre victoire. » L’intéressée lui sourit et passa au deuxième convive qui accompagnait le Premier : le représentant du Culte, entièrement blanc. Cheveux d’argent, peau de lait, costume et gants d’albâtre ; si bien qu’il réfléchissait la lumière au point d’être éblouissant… littéralement. « Madame, un plaisir. Je suis Néo Crème, le représentant que le Culte avait annoncé. » Et elle lui rendit son salut et lui serra la main, non sans réprimer un fou rire. Néo Crème… pfrrrr… Mais il était déjà temps de passer au troisième, ou plutôt aux troisièmes. Et pour cause, ils étaient trois ; la triade Kaitan Avery, Jealoo Rupyna et Raffut. Le diplomate charismatique, la femme dangereuse — et peu vêtue —, le fou avide de destruction… tant d’opposées, et pourtant si complémentaires. Elle leur prodigua des saluts et des remerciements, car, entre tous, leur aide financière avait été extrêmement précieuse dans la guerre contre Libria. Puis vinrent Paullus Beneradane et un jeune homme qui l’accompagnait, tous deux vêtus de l’uniforme jaune clair de l’antique Syndicat des Commerçants Indépendants, droits et dignes comme les premières fortunes de la Galaxie qu’ils étaient. « Kamarade Beneradane ! C’est un plaisir que de vous accueillir dans notre Capitale Socialiste ! — Et c’est un plaisir que de répondre à votre invitation. Permettez-moi de vous présenter Léandre, qui non content d’être mon fils est aussi Responsable de la flotte Valpasseane. » Elle rit du trait d’humour et lui serra la main à lui aussi, trop contente de savoir que le Kamarade Beneradane était papa — et surtout de pouvoir montrer un aperçu de ce qu’était un vrai pays communiste à une Nation marchande. Mais pas le temps de s’attarder, voici l’Oracle du Rêve ! Elle était belle… on eût dit une Égyptienne, avec sa peau et ses lèvres dorées et ses parures exotiques. Elle semblait irréelle et pourtant tellement tangible, comme une vague impression dans votre esprit troublante de netteté. « Je suis Melisse. Vous êtes Alisa. Bonjour. » La petite robote accourut et s’inclina profondément, répondant à son salut. Et Melisse sourit en voyant que déjà elle passait à son avant-dernier convive… « Alisa Mon Chou ! Tu es absolument raaaaaaaavissante aujourd’hui ! El n’y a pas plus adorable dans toute la Galaxie ! » Bon Clay, le représentant du Parti-Fère de la Travelo Way. Suivi de ses pupilles Roupille et Maria, dont le sérieux bien rôdé contrastait avec l’exubérance du chef — qui était autant affairé à couvrir Alisa de compliments qu’à tirer sur son costume noir à cravate, gants et chaussures roses. Elle lui donna l’accolade. « Je suis heureuse que vous soyez venu vous aussi ! Votre présence était in-dis-pen-sa… hem… arrêtez de tirer sur ce costume, Kamarade ; vous allez l’agrandir… » Bon Clay eut à peine le temps de dire que c’était l’effet recherché que la dernière convive sortit du vaisseau. Tandis que le travesti rejoignait les autres Commandants, Alisa alla accueillir cette ultime amie. L’émotion se lisait sur son visage ; un sourire empreint d’un ravissement sans limite et un air soudain de timidité. Elle se tint devant elle, mains jointes, sans trop savoir que faire ; et finalement elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Bon, pas aussi violemment ; mais répéter « accolade » eût chargé la chose. « Kamarade Arckangel, vous m’avez manqué… — Vous aussi, Alisa. Arckangel semblait tout aussi heureuse qu’elle, et, pendant qu’elle se détachait de la jeune robote, elle lui tendit le paquet rectangulaire qu’elle tenait sous le bras. Je n’ai pas pu résister ; j’espère… enfin… que ça vous plaira. » Les yeux de la robote s’agrandirent tandis qu’elle bredouillait qu’il ne fallait pas, qu’elle était folle, et toutes ces choses que l’on dit quand on est surpris, heureux et mortellement gêné de recevoir un cadeau en public ; et elle déballa… C’était un portrait. Un portrait qui laissa Alisa sans voix. Elle-même et Arckangel, dos à dos… « Magnifique… il est magnifique… je… merci ! Merci, de tout cœur merci ! Spassiba, Kamarade Arckangel ! » Mais Dragomir se racla la gorge avec son éternel sourire, rappelant la Première Confédérée à ses devoirs. Elle se frappa le front en s’exclamant. « Suis-je bête ! La cérémonie ! Maintenant que vous êtes tous ici, Kamarades, fit-elle à ses douze invités, nous allons pouvoir commencer. N’hésitez pas à poser toutes les questions que vous voudrez (regard désapprobateur de Dragomir, qu’elle ignora) ; je vous ferai la visite guidée sur le trajet ! » Et, sous les acclamations de la foule et la fanfare, suivis par les Gardes Rouges, ils se dirigèrent vers la sortie du spatioport en discutant allègrement. Alisa, son portrait sous le bras, guidait la marche. À suivre…
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