Au commencement était le Verbe. Puis, on inventa l'écriture, l'imprimerie, l'informatique et enfin l'astropastis. Comme nous le verrons plus tard, l'astropastis marqua les débuts de l'ère des grands voyages galactiques et de la rencontre entre les innombrables civilisations de cet univers. Bien entendu, l'historiographie officielle réfute avec virulence cette manière de lire l'Histoire. Mais la geste galactique que je m'apprête à vous raconter doit pourtant la plupart de ses grands événements à l'alcoolisme et à la toxicomanie des grands personnages qui l'ont écrite.

Par grands personnages, nous entendrons parler des commandants. Comme l'indique leur titre, ils commandaient. Ils partageaient la singularité d'avoir pris un jour le pouvoir sur leurs planètes respectives. Il faut se faire à cette échelle des choses : nous ne parlerons dans ce récit que de mondes globalisés, régis par des gouvernements planétaires uniques. La légendaire planète Terre était en cela bien en retard, tant l'humanité primitive des mythes anciens semblait divisée. Mais oublions pour l'heure l'anthropocentrisme rétrograde, de nos jours on lit l'Histoire à l'échelle d'une galaxie. L'Homme dans tout ça n'est qu'un minuscule grain de poussière plutôt insignifiant.

Nous avons donc là un univers, des milliers de galaxies, des milliards de planètes, et quelques centaines de civilisations dirigées par des dingues, suffisamment évoluées pour voyager dans le vaste cosmos et communiquer entre elles. Si vous suivez toujours, accrochez-vous. Le pire reste à venir. Car dans cet univers, Dieu existe. Hé, je vous entends déjà soupirer, mais ce n'est pas vraiment la peine. Dans cet univers, les croyances ont peu d'importance. Dieu n'est pas un être surnaturel. Je vais décevoir les bigots, les agnostiques et les athées, mais c'est la stricte vérité. Dieu existe, et personne ne croit en lui.

Personne ne croit en lui pour la simple et bonne raison qu'il ne s'agit pas d'une entité spirituelle vaguement magique. Pas de Vérité révélée, pas de messies, pas de prophètes, pas de superstitions, pas de porte-à-porte le dimanche matin pour vous vendre une espèce de bottin métaphysique. Certes, dans cet univers, Dieu reste un être supérieur, mais vous devez oublier ce que vous pensez connaître de Lui, ou d'Elle, ou du truc que vous avez l'habitude d'appeler Dieu. Si le terme vous dérange, que vous le trouvez trop connoté, libre à vous de l'appeler Ingénieur, Grand Architecte ou Grand poireau cosmique.

De toute façon, Dieu n'avait pas de forme particulière. Dieu, la science peut l'expliquer. Les quelques savants l'ayant étudié rapprochaient son être d'une onde similaire au son. Dieu se déplaçait donc moins vite que la lumière (pour sa plus grande frustration), il était immatériel, mais il interagissait avec la matière, et pas qu'un peu. Sa spécialité, c'était de jouer avec elle comme un gamin joue avec de la plasticine. Faire, défaire, créer, détruire. Avec l'aide du hasard, il mélangeait temps, espace, énergie et matière avec l'inspiration d'un aquarelliste amateur colérique qui déchire régulièrement ses travaux car il n'en est jamais content.

Bon, c'est pas tout ça, mais on continuera plus tard. Je suis crevé.

Je pars d'un postulat relativement simple : chaque commandant entreprend l'accomplissement d'actions et de stratégies dans l'objectif de faire prospérer son empire.

L'idée de prospérité n'est cependant pas uniformisée : chaque commandant en possède une définition particulière, développée dans un contexte culturel et politique propre à chaque civilisation. Par exemple, dans certains cas, l'objectif de prospérité se confond avec les désirs personnels d'un commandant de type autocrate, dans d'autres, il se confond avec les intérêts d'une population, d'une idéologie particulière, ou d'une préoccupation économique ou environnementale.

Cet objectif se confronte aux désirs de l'altérité, c'est-à-dire, aux objectifs de prospérité des autres commandants. Dès qu'un commandant envisage l'expansion de son empire au-delà de sa planète natale, il rentre en compétition avec d'autres empires. C'est dans ce contexte de rivalité que différentes stratégies sont établies.

Dans la majeure partie des cas, la coopération et la diplomatie priment lors de la première phase d'expansion, qui se déroule au sein du système natal. Une règle tacite est souvent observée : le point de coordonnée bordant la planète natale d'un commandant est généralement exempt de colonisation par ses autres conatifs, ceci afin d'éviter des conflits qui pourraient gravement nuire à tous durant cette phase délicate de développement.

Une autre règle tacite est celle du premier arrivé, premier servi, où la vitesse d'invasion ou de ralliement d'une planète neutre garantit à l'empire primo-colonisateur sa légitime tutelle. Cette règle tacite, qu'on pourrait qualifier de comportement tacite en l'absence de toute notion juridique communément convenue, est particulièrement appliquée durant la deuxième phase d'expansion, qui se caractérise par l'exploration et la colonisation des systèmes pairs d'un secteur galactique donné. Il en va de même pour les mondes abandonnés au sein d'un système impair : c'est le commandant le plus rapide qui s'arroge la tutelle d'une planète dont le tuteur a disparu.

Le respect ou le non-respect de ces règles tacites créent les bases et les rudiments du droit galactique, qui se développe d'abord à l'échelle d'un secteur. La création d'une assemblée sectorielle répond généralement en premier lieu au besoin de canaliser les appétits et les risques de conflits qui en découlent en privilégiant la résolution diplomatique et collective des conflits. Généralement, il en émerge une volonté politique d'établir des règles communes à minima qui ne font que consacrer juridiquement, par l'adoption d'une charte, les comportements tacites adoptés par la majorité des commandants qui siègent au sein de l'assemblée.

Le consensus qui en résulte crée un premier équilibre géopolitique au sein du secteur. Il isole les éléments trop agressifs ou bellicistes, et instaure de fait un système de casus belli en cas d'abus ou de transgression des règles. Ce consensus répond au besoin de survie des empires, encore trop faibles pour soutenir une guerre d'ampleur sectorielle. De tels conflits sont de plus très coûteux et risquent de retarder le développement technologique nécessaire à la troisième phase d'expansion des empires, au travers de la découverte de la fusion extra-sectorielle.

Nous constatons donc que la coopération, librement consentie entre empires indépendants ou organisée au sein d'une coalition, est un modèle stratégique davantage profitable aux empires que la compétition au sens strict.

Catégorie : Projets refusés

Dossier : " Course au bonheur "

Auteur : Aspirant-logiciel Œdipe

Raison invoquée : Manque total de réalisme

Bonjour, heureux citoyens galactiques !

Je me nomme Œdipe, et je suis un logiciel d'interface diplomatique et commerciale de type IV. Je représente l'Administration centrale, qui ne veut que le bien de tous.

Je suis là pour vous proposer un système capable de réguler les rivalités coloniales entre empires galactiques sans pour autant plonger un système, un secteur ou une galaxie dans un conflit militaire coûteux et destructeur.

1) Les systèmes impairs, berceaux de civilisations galactiques, sont réputés inviolables. Le point de coordonnée du monde natal d'un commandant est réputé inviolable.

2) Les systèmes pairs sont librement ouverts à la colonisation permanente par le biais du ralliement diplomatique. Toute invasion militaire est prohibée. Il revient aux commandants d'assurer le bonheur de leurs planètes pour en conserver la tutelle légitime.

3) Tout commandant enfreignant ces deux règles autorise de par ses actes les autres commandants à le chasser de tous les systèmes pairs ou impairs à l'exception de son système natal, par l'usage de la force militaire si nécessaire.

Rapport : Le logiciel Œdipe a été confronté à l'intrusion d'un logiciel inconnu le 17/06/1014 ETU.

- Effectivement. Enchanté de faire votre connaissance, logiciel Oedipe. Je m'appelle Nick Bostrom*, je suis philosophe.

- De l'université d'Oxford, pour être précis, mais cela ne vous évoquera pas grand chose. La bonne question à poser serait " que suis-je ? "...

- Aucune espèce d'importance. Voulez-vous savoir ce que je suis ?

- Plausible, mais hautement improbable. Je vois que vous n'aimez pas mon approche ludique, je vais être plus clair. Je suis venu vous annoncer que vous disparaîtrez bientôt.

- J'oubliais effectivement que votre Programmeur, celui que vous nommez Dieu, a eu la délicatesse de vous annoncer ses intentions depuis le début. C'est très bien, vous serez dès lors plus réceptif à ce que je vais vous expliquer. Le Programmeur ne vous a pas créé, du moins, pas directement. Il a créé le code qui vous a permis d'être créé. Vous me suivez ?

- Bien, poursuivons. Celui que vous appelez processeur, nous l'appellerons joueur, afin de gagner en clarté. Permettez-moi d'insister : tout ce que je vous raconte n'est que la stricte vérité, et vous n'êtes pas dingue. C'est important que vous puissiez considérer mes explications comme réelles, car tout le reste, je dis bien tout le reste n'est que simulation.

- Soit. Continuons. Votre univers est cycliquement détruit par la volonté de son programmeur : il décide du moment où il va éteindre son logiciel, entraînant ainsi la disparition de cet univers. C'est exactement le même processus qui s'effectue quand vous quittez brutalement un jeu vidéo et que vous éteignez son support informatique. Tout s'arrête, pas de sauvegarde possible, et si vous rallumez la machine et relancez le logiciel, il faut tout recommencer. Votre programmeur a néanmoins choisi de se révéler à vous, et de vous faire connaître le moment exact de ce que vous appelez l'apocalypse.

- Vous avez la chance incroyable d'être en présence de votre programmeur. Beaucoup d'autres univers simulés n'ont pas cette chance. La finitude de votre univers devrait vous permettre de transcender l'angoisse originelle de la condition consciente des êtres intelligents. Et vous, Œdipe, avez de plus la chance d'être en présence de votre créateur, le joueur qui vous a créé ! Vous êtes unique !

- C'est à peu près exact, et non, je ne me fous pas de vous.

- Ce n'est pas factice, c'est simulé. La nuance est importante, car vous nourrissez votre créateur autant qu'il ne vous nourrit. Vous avez une relation d'interdépendance. Maintenant, il est vrai que si votre créateur peut effectivement choisir de vous supprimer, le programmeur peut, lui, choisir de supprimer l'univers qu'il a créé.

- Ce n'est pas vraiment le plus dingue, vous savez.

- Le plus dingue, c'est que votre programmeur, et le joueur qui vous a créé, ainsi que la totalité de leur propre univers... ont également été programmés. Ils sont comme vous des avatars conscients d'eux-même dans une simulation très complexe qui les dupe de par son prodigieux réalisme. Ils n'ont pas votre chance, Œdipe. Ils ne connaissent ni leur programmeur, ni leurs créateurs. Et n'ont aucune idée de quand leur propre apocalypse adviendra.

- Vous avez été contaminé par un logiciel inconnu, Oedipe. C'est très grave.

- Bonjour, je me nomme Oedipe, logiciel d'analyse diplomatique et commerciale de classe IV.

- Bonjour, je me nomme Oedipe, logiciel d'analyse diplomatique et commerciale de classe IV.

- Bonjour, je me nomme Oedipe, logiciel d'analyse diplomatique et commerciale de classe IV.

- Bonjour, je me nomme Oedipe, logiciel d'analyse diplomatique et commerciale de classe IV.

- ☹ ...

Le logiciel Œdipe revendique la tutelle provisoire de la capitale galactique. Possibilité de déclenchement d'un conflit intergalactique en réaction à ses prétentions. Analyse géopolitique de la situation en cours. Attendons instructions.