Imaginez la perfection. L'équilibre parfait entre tout, figé parce qu'il n'a plus besoin d'aucun mouvement, ou plutôt, parce que son mouvement a atteint une vitesse infinie, et n'existe plus. Faites-en un monde.

Ce que vous verrez, c'est ce que voit la Pythie. Le plus ancien des mondes. Une perle absconse dans le vaste chaos des étoiles. Quelque de chose de simplement équilibré, et donc de si extrême... c'était LE monde.

Le monde d'où venait la Pythie, et où elle retournait à présent, après des éons sans nombre, des corps sans nombre, des vies sans nombre, et assez d'émotions pour y noyer l'univers.

Elle vint du ciel comme une étoile filante, portée par la puissance du vide et de la matière, les yeux pleins de la course de l'espace... le soleil qui réchauffait le monde parfait pointait juste derrière celui-ci. A la sortie du néant, la Pythie fut accueillie par l'aube...

Les atterrissages étaient toujours chaotiques. Elle jaillissait à la surface, propulsée par la courbure du temps, et la nature même des mondes avait un mouvement de recul surpris. Ce fut différent cette fois... le pied irisé se posa délicatement sur une vaste étendue de mer solide, une eau où il était naturel de marcher... une seule onde qui se propage, claire et parfaite. Cette planète n'était pas surprise de sa venue, bien au contraire. Elle l'attendait. Ce pied posé était parfaitement orchestré depuis le big bang.

Elle prit un temps d'immobilité pour se rappeler, se rappeler de tout une bonne fois. Comment elle avait tout appris la première fois. Comment elle avait donné naissance la première fois. Les premières douleurs infernales. Les premières joies universelles. La première fois qu'elle était morte. La première fois qu'elle était devenue autre.

Puis toutes les suivantes.

Elle fut en paix, les pieds lavés. Ce fut le moment pour se laisser tomber, face contre mer, les yeux perdus dans le reflet. Splash! Aucune douleur, pas ici. La Pythie se baigna en elle-même et s'observa.

La peau bleue et irisée... écailleuse, si l'on prêtait un œil assez attentif. Elle n'avait pas tant changé que cela... ses yeux étaient toujours humains, bleus, les pupilles cerclées d'orange. Une longue membrane jaillissait des côtés de sa nuque, le long de son dos, comme une cape translucide... veinée, brillante, toujours mouvante... c'était là l'organe unique et sans nom qui lui permettait de VOIR aussi loin. Ses cheveux avaient disparu, sans qu'elle les regrette trop... de beaux tentacules bleus les avaient progressivement fait tomber et remplacés, longs et lisses, sans aspérité, et un grain étrangement humain... elle savait que ce n'était que le résultat de sa croissance cérébrale, mais trouvait un plaisir animal à s'en trouver belle. Un plaisir à la fois humain et alien.

Elle aimait être nouvelle, et pourtant être bien vivante. C'était sa nature. Celle qui avait permis à la Lignée de continuer en-dehors d'elle-même.

Il lui fallait maintenant être plus ouverte, plus consciente que jamais... les tentacules ornant le crâne de la Pythie vinrent se redresser, s'allonger et se raidir contre le sol humide. Adrastee aimait dire que c'était sa couronne... la Pythie n'aimait pas l'idée d'une couronne, mais se laissait affaiblir à chaque fois par le compliment. Elle se releva, mouillée, ses tentacules redressés laissant à l'air libre l'arrière de son crâne. Doucement, avec un soupçon fantomatique de tremblement, elle passa la main sur sa nuque, et la remonta lentement...

Le vide infini et matériel, le centre d'un trou noir. Vous qui lisez ceci, votre point de vue vous permet d'observer l'arrière de la tête de la Pythie, dans lequel elle passe les doigts. Il n'y a rien. Pas de crâne. Un creux semble avoir remplacé ce qui devrait être son cerveau, habituellement dissimulé. Vous n'y voyez pas qu'une simple absence... vous y voyez le noir le plus profond, le plus dense de ce qui est. Sans qu'il vous soit possible de comprendre pourquoi, il brille rayonne à partir d'un point infiniment petit, caché dans le tréfonds du crâne de la Pythie... les doigts qui traversent vous donne le sentiment que c'est à vous qu'on passe un doigt dans le crâne. Un doigt dans l'âme.

C'est là qu'elle commence à bouger, à glisser le long de la surface, dans un mouvement impossible. C'est là que tout recommence... elle parcourt la planète parfaite par la pensée, les yeux absents. Elle cherche quelque chose, plus dans ses souvenirs que dans le monde qu'elle observe. Les pas vers le sanctuaire sont pris naturellement. Les siècles et les vies qui séparent la Pythie de la dernière fois qu'elle est venue ne sont pas plus longs que si c'était hier... et dans le même temps, chaque seconde qui passe semble durer un âge.

Cependant, une seconde, un jour et des millénaires font une différence.

Ce qu'elle cherche n'est pas là. Le sanctuaire est vide. Aucune surprise, ça semble aussi... simple et parfait que le reste. Il lui fallait simplement venir. Revenir à un endroit semblable à lui-même, maintenant qu'elle a entièrement et intégralement changé.

"Adrastee... nous reprenons contact avec elle."

- Justement. C'est elle qui l'a."