Sur Twinkle World, dans la salle de réception des données Boko était perplexe. Lui qui avait l'habitude d'une existence de 'subalterne' s'était retrouvé propulsé au rôle de commandant. De receveur d'ordres, el devait maintenant les donner. Cette nouvelle position l'emplissait d'anxiété. C'est donc avec curiosité et une certaine appréhension qu'el avait vu son rythme de vie changer. Ses journées étaient dédiées à l'apprentissage de la politique, la diplomatie et autres connaissances indispensables à un commandant, et ses soirées étaient réservées aux Sœurs à qui el contait milles et une histoires. C'était le moment de la journée qu'el préférait. Les Sœurs étaient des êtres de glace, mais aussi les êtres les plus magnifiques qu'el ait jamais vu. Le jeune commandant ne pouvait plus imaginer une vie sans els.

C'est donc après avoir parcouru les différents rapports de l'Assemblée qu'une question lui vint. Utopie était-el toujours la même Galaxie qu'au-moment de la mise en place du Trésor Galactique? A la lecture des derniers messages, el doutait. Après moult tergiversions, el décida de se renseigner auprès de ses pairs en commençant pas la Kamarade Rouge, la commandante Alisa Dragunova. La femme qu'el avait appris a admiré et a aimé, malgré des débuts assez... difficiles. El tourna et retourna machinalement la petite boîte qu'el avait toujours avec lui, avant de la poser sur son bureau.

El se leva et alla dans la salle des retransmissions. El lança la caméra et s'assit. Allez, c'est parti.

Bonjour à vous Kamarade Alisa Dragunova. Je suppose que vous devez vous souvenir de moi. Boko Aurélius, ancien choisi du peuple disparu d'Origine, et aujourd'hui fils du Komissar Leonardus Aurelius.

El garda un petit silence. El était devant l'idole de sa patrie adoptive. Non. de son ancienne patrie adoptive. El en avait deux nouvelles à présent.

Le regard argenté du garçon semblait regarder derrière la caméra, pour se poser directement dans celui de son interlocuteur. Sans qu'el ne le remarqua, la température de la salle perdit quelques degrés, embuant l'objectif de la caméra, et par là l'image.

Boko inclina légèrement la tête en marque de respect avant de couper l'enregistrement. El souffla un coup, et regarda l'heure. Son visage s'illumina lorsqu'el remarqua qu'el était temps pour lui de retourner auprès des soeurs. El partit donc les rejoindre, délaissant pour l'instant ses craintes et doutes.

Planète Nowe Krasnaya Zemlya, Gorod Krasnyi, Palais du Peuple, avant-dernier étage, Bureau du Premier Confédéré.

Ses bras sont croisés sur son bureau. Le visage, enfoui dedans.

On pourrait la croire victime d'un bug fatal, morte là, effondrée, achevée sur le meuble. Elle pousse un profond soupir. Qu'est-ce qu'elle attendait, de toute manière ? C'est le même rituel à chaque fois. D'abord elle descend dans ce complexe sinistre sous la ville, ce bunker-hôpital dont seuls le personnel médical et les Gardes Rouges, qui n'en sortent jamais, connaissent l'existence. Elle se rend à la chambre, le cœur gonflé de l'espoir de pouvoir lui sauter au cou... Mais Alexei Dragunov est toujours immobile, endormi, les machines infatigables marquant chaque battement de son cœur.

Elle pousse un profond soupir et enfouit un peu plus le visage dans ses bras. Comme d'habitude lle est repartie le cœur lourd de pleurs, après être restée une heure ou deux, silencieuse et bavarde. Ça et Utopie, le guêpier galactique, les discours creux et les paroles vaines, les tractations du ballet des vautours dans lequel se prostituent toutes les valeurs les plus belles...

Alisa grogne : « Laisse-moi, je déprime... » Mais l'appareil de communication dans son bureau s'entête, jouer son rôle d'ancre dans la réalité, la ramener au labeur qu'elle a choisi d'assumer à la place du Chef Génial. Elle soupire encore, lâche d'une voix traînante : « Mot de passe : Lisotchka. »

Boko ? Elle redresse la tête brusquement. C'est un message vidéo. Çà par exemple, le petit Boko, le fils adoptif du Kamarade Kommissar Leonardus Aurelius ! Tout étonnée, elle regarde son message, un moment distraite de ses nuages intérieurs. Mais passé la surprise de le revoir, passé l'effarement de savoir cette petite branche de chêne promue à la tête du Parti de la Travelo Way, l'objet la replonge dans des humeurs acides. Par Lénine, quelle horreur ; un cours de géopolitique actuelle...

Le troisième soupir vient. Elle ne va quand même pas le laisser comme ça, le pauvre... Mais déballer toutes les affaires de la Galaxie, c'est la chose qui la répugne le plus en ce moment. C'est comme remuer une marmite de boue. Elle songe à cela alors qu'elle se recoiffe, rajuste ses vêtements, son pin's du Parti, et voici qu'elle allume le réflecteur holographique.

Elle a un temps de réflexion. Est-ce qu'elle a quelque chose à ajouter ? Bof, non. Il faut lui laisser poser ses questions ; un Commandant qui attend les réponses sans les chercher est un mauvais Commandant. Et les mauvais Commandants semblent être une mode en ce moment, pense-t-elle avec amertume. Mais lui, ce jeune Commandant est plein de curiosité, qui est le premier signe d'intelligence ; d'une bonne et saine intelligence. Peut-être que pour lui il n'est pas trop tard... et peut-être qu'il va falloir le déniaiser. Sa gentillesse le tuera, oui.

Elle tend la main pour éteindre le réflecteur holographique, et la transmission s'interrompt.

Boko suivait les évènements de l’assemblée galactique lorsqu’une musique retentit.

A l’introduction, el tira une certaine fierté de se voir promouvoir de Petit Boko à son égal. El eut envie de rentrer chez lui et de montrer le message à son père. Vraiment envie. La magie des Sœurs lui permettrait facilement de le faire. Zou. L’affaire de cinq minutes. … Mais el avait promis. El ne devait pas se servir de cette magie à des fins personnelles. C’est donc avec un soupir qu’el continua sa lecture. Et el le relu une fois. Deux fois. Trois fois.

El le reposa.

Un test. Ses yeux s’illuminèrent. El aimait les challenges. Très bien, si c’est comme ça. Décortiquons Utopie !

Après quelques heures de travail et un passage chez les Sœurs, Boko se rendit à la salle de communication. El alluma l’habituelle caméra et lança l’enregistrement. Une boule au ventre et un sourire aux lèvres, el répondit à la commandante Dragunova.

Un écran s’alluma derrière Boko. El reprenait grossièrement les évènements marquants d’Utopie.

Boko observa une petite pause. El éteignit l’écran et après une hésitation – el était devant la Dragunova - se rassit sur la table. El pouvait tout de même s’assoir devant el, non ?

Boko souffla.

 

Boko fit la moue.

Boko rentra ensuite dans le détail d'une de ses dernières visites officielles. De la nourriture, des décors et des danses. Enfin, el se rendit compte qu'el était devant Alisa Dragunova. Et el se tut. La remercia une fois de plus avant de couper l'enregistrement.