Toujours recluse dans son lointain secteur fermé, Marie-Chantal observe sur ses moniteurs les derniers clichés transmis par l'architecte impérial. Le chantier avance formidablement vite. Il est vrai que les bâtiments gigantesques et mégalomaniaques typiques du régime en place ne s'encombrent pas de fioritures. Des cubes immenses, des arêtes et des formes épurées à l'extrême, peu de fenêtres, sans oublier la folklorique et colossale statue du Grand Bleu qui surplombe de son ombre menaçante l'esplanade désertique menant au portique d'entrée. Le nouveau ministère du Bonheur Obligatoire est presque achevé.

♚ Une communication du Ministère de la Culture, de la Communication et du Divertissement ♚

Commandants,

Je vous annonce, en accord avec le ministre Process 1917, la fusion immédiate de nos ministères respectifs. Nous dédions cette surprise à nos tyrans détestés, leur triade de majestés.

Cette nouvelle institution centralisée formera dès à présent le Ministère du Bonheur Obligatoire, dont j'assumerai la cogestion avec mon estimé collègue.

Ce grand ministère regroupe donc les domaines de compétence suivant :

Nous souhaiterions entendre vos avis quant aux compétences et aux missions que notre ministère doit/devra/devrait mener tambour battant.

Nous recherchons également différents secrétaires d'état susceptibles de collaborer avec nous.

Pour la plus grande gloire du Conseil Monarchique,

Merci pour votre attention.

Faute de secteur ouvert lui permettant d'accéder à l'horrible cube de béton gigantesque récemment bâti en face de l'assemblée monarchique sur la capitale, Marie-Chantal a aménagé un ministère provisoire dans le local de badminton de la cité sociale du Secours Galactique. Une table, trois chaises, dont une vide, quelques moniteurs branchés sur le réseau du gouvernement, et une réunion en cours.

René-Marie, le chef de cabinet, fait le topo de la semaine écoulée.

- Donc, vous avez proposé un jeu stupide et sanguinaire, fusionné votre ministère avec celui de Process 1917, et vous venez de lancer cette histoire de réforme sociétale conservatrice, réactionnaire et méritocratique.

- Tu oublies la cérémonie d'ouverture et les acrobaties de nains.

- Mille excuses, c'est vrai que ça redore votre bilan.

- Oh ça va hein, fais pas ton Jean-Khaled !

- Voyons, Marie-Chantal, reste zen. Où est passé ton sens de l'humour légendaire ?

- Dans les intestins de mon époux. Et dans les tiens si tu continues à m'asticoter.

- Hem. Bon, deux dossiers importants à suivre. Le nouvel hymne de l'empereur Makarirus nécessite votre approbation :

♫ http://tny.gs/1AfxUDX ♫

- Ouais, ça devrait convenir au Grand Bleu. La suite ?

- Quelques premières propositions pour votre réforme sociétale. Voici une première liste de titres :

- Bon, ben, c'est pas gagné.

Cloîtrée dans son bureau depuis plusieurs cycles, Marie-Chantal avait le blues. Un vieux tube tournait en boucle sur l'antique platine qui encombrait un coin de son antre, coincé entre une statuette ridicule du Grand Bleu qui distribuait des cure-dents quand on lui pressait ses impériales valseuses, et une énorme pile de dossiers portant sur la fameuse réforme sociétale dont elle avait la charge. Se risquant à prendre des nouvelles de son épouse, Roger-Apou fit irruption dans le fatras ministériel en enfonçant la porte pour la prévenir que le repas était prêt...

♫ http://tny.gs/1DHbWKj ♫

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Vos excellences,

Commandants,

J'ai tenté d’œuvrer pour le bien de cette galaxie, sans jamais me compromettre ou trahir mes engagements, en offrant mes services aux différents tyrans qui ont pris le contrôle de la capitale.

J'ai cru, sans doute avec beaucoup de candeur, que la réforme nobiliaire que j'ai conçue permettrait de stabiliser notre galaxie et de garantir à chacun des commandants les moyens de prospérer le plus équitablement possible dans le cadre d'un régime autoritaire. Le coup d'état actuel compromet gravement cette mesure phare, sur laquelle j'ai énormément travaillé.

J'avoue être découragée, étant incertaine quant à l'avenir que me réserve cet empire galactique ouvertement alienophobe. J'étais persuadée que le talent et le mérite étaient les seuls jalons qui permettaient de juger de la qualité d'un individu, loin de penser que l'apparence physique, la diversité génétique, le nombre d'antennes ou de tentacules avaient une quelconque importance en la matière. Ce n'est visiblement pas la volonté de l'empereur.

Je ne sais si un être non-humain comme moi a encore sa place dans un quelconque gouvernement galactique. Et quand bien même l'empereur voudrait encore de mes services, je ne suis pas certaine de jouir des prérogatives et des moyens de me faire respecter. Certains représentants racistes disposeraient face à moi d'un argument d'autorité contre lequel toute argumentation rationnelle échouera : celui de l'espèce supérieure.

Voir mes efforts ruinés, mon statut déprécié, mon autorité foulée au pied par le premier Être humain venu, ce n'est pas acceptable. C'est pourquoi je démissionne de toutes les charges gouvernementales auxquelles j'avais souscrit.

Je voue à l'empereur un certain respect, et j'ai toujours été franche avec lui lors de nos échanges. Avant que cette démission ne prenne effet, je profiterai une dernière fois de la prérogative qu'il m'a lui-même confiée : le droit de le contredire et de le tancer publiquement.

Votre majesté, ne vous trompez pas de cible. Les aliens ne sont ni supérieurs ni inférieurs aux Êtres humains. Seuls les individus se démarquent grâce au talent et au mérite. En stigmatisant une large part de la population galactique vous vous priverez des talents et des mérites qui pourraient contribuer à l'éclat de votre règne.

C'est par ailleurs avec une immense tristesse que je dois vous annoncer que l'un de mes enfants, celui-la même pour lequel j'avais sollicité votre parrainage, a été tué avec ses compagnons alors qu'il visitait la capitale galactique dans le cadre d'un voyage scolaire. Un véhicule d'assaut du BDSM l'a volontairement écrabouillé lorsque vos troupes ont lancé l'assaut sur la capitale.

Me retirant dans mon secteur pour observer le deuil de cet enfant innocent, je souhaite bonne chance au gouvernement, bonne chance aux aliens de toutes espèces, et j'espère que sa majesté impériale, en égard aux services que je lui ai jadis rendu, acceptera d'entendre mes propos en renonçant à sa politique discriminatoire.