Peinture d'acrylique recouvrant un fond de canevas, le décor semblait fixé dans un quantum de temps. Tout s'était arrêté, de la bruine qui perlait sur les larges feuilles des plantes félilacées suspendues à la canopée comme un jardin flottant, aux oiseaux qui avaient suspendu leur vol. Les volutes de fumées emplissaient l'air de leur lourdeur, la suie collait aux visages, les femmes et les hommes se tenaient immobiles, droits comme des i, leurs visages refermés.

Aucun regard n'osait en croiser un autre, chaque vision était axée sur ses pieds, pour espérer oublier le brasier. Les cendres dansaient au son de la mélodie des braises, contant l'écho des mots dits. La vie s'était éteinte lorsque, avant son dernier souffle, il donna à sa fille une dernière étreinte. D'empereur, au fil des années et de la décadence, il était devenu géniteur. Et maintenant que s'éteint sa flamme, toutes ces années d'incompétence à son égard elle blâme. Jadis amphigame, elle porte désormais le titre de Madame.

Un beau titre qui a éclot au ressac des souvenirs. À son grand dam s'est éteint la plume qui avait guidé sa main à l'écriture des premières lettres, désormais ne persiste qu'amertume. Son temps avait pris fin, il s'était figé dans le passé et deviendrait l'œuvre de l'écrivain.

Caldasie ! lui hêla-t-on. Elle se dépêcha d'eux. Le poids qui venait de s'abattre sur ses épaules lui était trop incombant, elle cédait comme la feuille casse au vent. Laissez-moi seule ! commandait-elle, sans toujours être écoutée. Elle subissait ses attentistes qui se pensaient gagner des faveurs en partageant une peine qu'ils savaient artificielle. Elle se serait bien demandée comment il pouvait être possible d'être ainsi au néant de ses sentiments, si elle n'avait connu leur place en courant les ombres des grandes rues de Crésidane.

Après salutations déterminées, peines partagées et pleurs simulés, elle quitta la forêt luxuriante des hauteurs équatoriales. Elle devait faire part du message grief de la mort de son père à son amie. Elle devrait aussi s'annoncer sur le sort de Meredith à la Galaxie.

Les oriflammes claquaient au vent, portées par des tours d'ivoires déchirant les nues, dardant le ciel de leurs reflets de lait. Au fil des heures la jungle avait lentement laissé place à un paysage plus urbanisé, avant de se transformer en métropole hors proportion où l'espace aérien était partagé entre des millions de véhicules volants, chacun plus pressé que l'autre de rejoindre sa destination. La chaleur avait aussi fait place au froid des rues où nul échange ne se faisait. Chacun avançait dans la vacuité de sa personnalité, obnubilé par ses propres préoccupations et ignorant celui qui ne demandait qu'à parler.

La ville de Chais soulevait haut les couleurs de son ancien régent, autorité suprême qui gouvernait il y a encore quelques jours les trois planètes situées à son point de coordonnées. D'ici une semaine, l'on abaissera les étendards aux couleurs rougeoyants et l'on hissera ceux aux couleurs argentées, tel que requis par Caldasie. Dans une semaine, tout va changer... ne pouvait-elle s'empêcher de penser. La cérémonie de couronnement aurait lieu et elle devrait reconquérir les trois planètes de son point de coordonnées ayant abandonné l'insigne de la chouette noire, symbole de sa Lignée.

Caldasie se retourna empourprée vers le cortège de nobles et riches marchands qui étaient venus assister à son couronnement. Chacun d'eux était présent pour bien se faire voir et espérer ainsi recevoir, un jour, les grâce des Son Impératrice.

Plus que deux jours. marmonnait-elle à l'attention de sa propre personne. C'était le temps qu'elle estimait nécessaire à asseoir les trois nations qui s'étaient désolidarisées de la chouette noire.

Il était tradition qu'à chaque changement de souverain, les trois planètes asservies au règne de Meredith reprenaient leur indépendance et que le nouveau monarque devait asseoir sa toute puissance en les colonisant à nouveau. S'il échouait à cette mission, alors pèserait sur lui le déshonneur ; la notion d'honneur étant essentielle au règne de l'Empereur, s'il venait à échouer il serait contraint à l'abdication. Au travers de l'histoire, seuls deux empereurs se sont faits démettre, laissant dix années de répit aux trois planètes du point de coordonnées avant d'essuyer une nouvelle tentative d'invasion.