... ou ils tentent de lui tordre le bras.

Par le hublot, Marie-Chantal observe le monstre capilaire urbain qui s'étire sur la surface planétaire de la capitale, camaïeu clair-obscur de lumières et de pénombres, révélant les fractures d'une cité tiraillée entre le prestige de ses institutions et la misère frappant sa population. Une escorte de chasseurs impériaux quadrille la trajectoire de son vaisseau protocolaire. Une nuée de moustiques acrobatique, multipliant les figures et les manoeuvres comme à la parade, sensées impressionner les naïfs et fasciner les adeptes de la servitude volontaire. C'était là la force principale de l'empereur et de son armée : la propagande. Un flot ininterrompu de propagande, ad nauseam, corrompant toute vérité historique, niant l'évidence face à l'épreuve des faits.

Marie-Chantal n'avait pas encore prononcé un mot depuis son arrestation. Un fonctionnaire du Secours Galactique soutient son regard avec insistance.

Marie-Chantal observe maintenant la capitale se réduire à la dimension d'une bille, tandis que son vaisseau aborde le point d'ancrage du voyage subluminique qui la ramènera vers son secteur natal. D'un geste faible de la main, elle signifie au questeur qu'elle répondra à ses questions plus tard. Rétablir la vérité sur la chute de la monarchie nécessitera du repos et de la patience, beaucoup de patience.

- Veuillez décliner votre identité.

- Statut, fonction, parcours professionnel.

- Informations complémentaires ?

- Veuillez préciser.

- Allons, ne pinaillez pas.

- Veuillez procéder.

- Madame, ce n'est pas très poli. Nous attendons.

- Bien. Que plaidez-vous quant aux accusations de trahison portées par sa majesté impériale ?

- ...pardon ??

- ...mais... euh...

- Madame ?

- Mais ? Madame ? Nous...

♫ http://bit.ly/1MeCN5s ♫

- Bon, les cocos, on va mettre un peu d'ordre là-dedans. Premièrement, le premier à avoir violé la neutralité du gouvernement de l'époque, c'est l'empereur lui-même, quand il m'a désavouée publiquement deux fois de suite pour des motifs fallacieux. Sortez-vous les doigts du cul, et regardez dans les archives de l'assemblée, tout est public. Je dois également rappeler le contexte : Nao ET Makarirus m'avaient nommée dirigeante de leurs gouvernements respectifs. J'avais alors pris l'initiative de me servir de cette forme de légitimité pour créer une institution neutre au service de la paix et de la stabilité. J'ai très sincèrement voulu rétablir la paix et je me suis vraiment efforcée d'être neutre.

Par contre il est certain que ces disgrâces publiques, dont la teneur était très insultante, m'ont progressivement poussée dans les bras du roi Nao, qui était beaucoup plus correct tant dans ses méthodes de gouvernance que dans ses propos. Je n'ai pas choisi de trahir l'empereur de but en blanc. Le processus s'est enclenché lorsque ce dernier m'a progressivement traînée dans la boue, et il est devenu irréversible lorsque le roi Nao m'a accordé une très large autonomie et qu'il a soutenu les réformes démocratiques progressives que j'envisageais pour la galaxie. Dois-je vous rappeler que le Roi m'a alors confié la gestion de la capitale, en toute confiance ?

L'empereur, de son côté, s'est montré d'une arrogance insupportable. Mon choix fut de servir le roi, pas de trahir l'empereur. Il est le seul responsable de la détérioration de nos relations. J'ajoute qu'en bonne adepte de la real politic, la supériorité militaire et économique écrasante du roi a achevé de me convaincre de choisir le parti monarchique. J'ai néanmoins milité auprès du roi et de ses alliés pour empêcher la liquidation définitive de l'empereur, et j'ai veillé à ce que le parti impérial ne soit plus victime de la censure. Peut-être que j'ai commis là une faute au regard de l'Histoire, qui sait.

Concernant les prétendues preuves impériales, ma foi, il doit s'agir de quelques archives issues de notre ancienne assemblée sectorielle, récemment prise d'assaut par son chien de guerre, le commandant Karnak. Mais elles n'ont rien de sensible. D'ailleurs, l'empereur ne s'est pas donné la peine de les rendre publiques. Comme d'habitude, Makarirus compte sur son aplomb, son culot et son charisme pour subjuguer toute une coterie de petits commandants zélateurs. Il lui est inutile de prouver quoi que ce soit : pour lui et ses sbires, seule sa parole compte. Et tant pis si cette parole ne vaut rien et ne supporte pas l'épreuve des faits. En des temps reculés de la proto-Histoire universelle, on appelait cette méthode de gouvernance le fhürerprinzip.

- Les livres et les blocs de données, ça ne sert pas qu'à caler les pieds de table, espèce de vergeture de bureau ! Résidu d'incubateur spermatique ! Torche-cul de dossier ! Gobe-phallus impérial ! Tantouze d'officine ! Racleur de dînette sociale ! Bouffeur de gonades bleues !

- Merci, je prends ça pour un compliment.

♫ http://bit.ly/1N3wVhh ♫

- Voyez la chronologie de mes activités publiques. Je travaillais dans mes bureaux de l'assemblée à l'élaboration de la Constitution lorsque je fus victime d'un choc très violent sur le crâne. Puis, après une solide gueule de bois (la première vécue sans avoir bu la moindre goutte d'astropastis au préalable), je me retrouve enfermée dans une cellule totalement occultée. Je me souviens d'une énorme silhouette qui venait de temps en temps m'inspecter. Je pense qu'on me droguait, mais rassurez-vous, je doute que quelqu'un ait tenté d'attenter à mon intimité.

- Non.

- J'étais dans cette cellule je pense, lorsque l'empereur a bombardé la capitale pour en reprendre le contrôle. Puis, je me souviens du goût acre de la poussière, et du poids des gravas. Puis, plus rien jusqu'à ce que ce type me fasse reprendre connaissance à coups de gifles. La suite, vous la connaissez. Je me retrouve jetée aux pieds de l'empereur, dont j'apprends qu'il me pardonne après avoir envahi ma planète capitale dans le secteur V avec l'aide de son sbire Karnak. Faut dire qu'il a su mettre mon absence à profit, le grand bleu.

- J'ai appris dans les archives de l'assemblée qu'il avait mystérieusement disparu peu de temps après mon enlèvement. Techniquement, j'étais encore en charge de la capitale lors de sa disparition. J'étais donc sans le savoir investie du pouvoir galactique jusqu'à ce que l'opportuniste le plus teigneux de la galaxie s'en empare.

- C'était un gugusse très doué pour la chose militaire, mais très peu porté sur la politique. Cela l'ennuyait beaucoup. J'imagine qu'il a décidé de prendre le large et de profiter d'une petite planète paradisiaque pour ses vieux jours. Vous savez, il faut avoir dirigé un jour pour se rendre compte de la vacuité du pouvoir galactique. Seuls les plus médiocres s'y accrochent comme des ténias.

- C'est méchant pour les ténias.

- On ne fait pas du neuf avec du vieux. Personne ne s'est réellement soucié de ma disparition, à part quelques commandants zélés. Pour le reste, mon héritage politique est voué à l'oubli. Vous trouvez qu'on parle souvent de mon travail en ce moment à l'assemblée ? L'empereur s'est entouré d'une nouvelle clique de lèche-bottes, qui ne connaît de moi que l'image déplorable que leur maître a bien voulu leur donner. Ce type a le talent de s'entourer de grosses brutes qu'il connaît depuis l'enfance, ou de zélateurs stupides qu'il agonit de petites flatteries pour mieux les manipuler. Franchement, il faut être maso ou naïf pour croire un seul instant que l'empereur vous respectera. Il n'est pas même fichu de respecter sa propre constitution. Fhürerprinzip, je vous dis ! Cet homme est un brillant opportuniste, mais un piètre intellectuel ! Il peut se le garder, son trône !

- Mon attitude, espèce de fiente anémique, est celle d'une femme courageuse qui n'a jamais eu peur du bleuet tyrannique pour qui tu bandes chaque soir en t'endormant. Makarirus sait que je dis toujours tout haut ce que je pense.