La pièce était une sorte de cagibi sans fenêtre et pleine de dossiers empilés et alignés. Un néon blafard éclairait le tout d'une lumière blanche et crue. Au centre de ces amoncellements de papiers, un petit bureau avec un écran. Derrière l'écran, une haute permanente de cheveux gris bouclés artificiellement. Madame Ybei était la personne la plus sympathique du monde. Dès l'entrée d'Athenais, elle leva un regard morose juste au ras de la bordure supérieure de ses lunettes :

Athenais s'avança la main tendue.

Madame Ybei regarda la main tendue un instant puis, se décollant à peine de sa chaise, elle tendit une main molle par dessus l'écran, et ce mouvement l'obligea à baisser la tête en rentrant légèrement le menton. Elle grogna un peu.

Elle agita un doigt boudiné vers une chaise de bureau assez classique et occupée par quelques dossiers. Athenais hésita un instant puis, après avoir rabattu sa mèche derrière son oreille, elle déplaça les dossiers de la chaise pour les déposer au dernier endroit disponible, devant la porte que Waren Stark avait refermée avec tant de délicatesse. Cette opération attira le regard de Madame Ybei qui semblait fort agacée qu'on déplaçât ses précieux dossiers et la tension dans la petite pièce monta d'un cran...

Athenais leva les sourcils. Elle ne se sentait pas préparée à vivre ça du tout du tout...

Madame Ybei se mit à pianotter sur son clavier et malgré une très haute fréquence de tics et de tacs, ses bras ne bougeaient pas d'un pouce. En revanche, sa permanente oscillait rapidement de gauche à droite.

Madame Ybei stoppa net. Elle pencha la tête pour ne laisser passer qu'un oeil sur le côté de l'écran. Mais quel oeil ! Athenais se crut de retour à l'école, toutes les fois où au lieu d'avoir fait ses devoirs elle avait fumé des joints derrière les buissons du jardin de récréation.

Athenais déglutit. Madame Ybei redisparut derrière son écran, tapotta pendant encore trente secondes puis s'arrêta net, se tourna, recueillit les feuilles qui sortaient de l'imprimante et, avec la dextérité d'une fée, elle accomplit presque d'un seul mouvement le rassemblement des feuilles, leur agrafage, la signature du tout et, avant qu'Athenais ne réalise ce qui se passait, Madame Ybei se tenait devant elle, à peine décollée de la chaise, tête baissée, un coude sur le bureau et l'autre bras tendu qui agitait en son extrémité les feuilles en question.

Athenais se sentit légitimée à saisir les feuilles qu'on lui tendait.

Madame Ybei s'était rassise lourdement dans sa chaise en poussant un soupir. Elle lança de derrière son écran :

Son oeil apparut à côté de l'écran :

L'oeil disparut derrière l'écran.

Un oeil suspicieux apparut :

Athenais en eut froid dans le dos et elle frémit légèrement. Une goutte de sueur perla sur sa poitrine et descendit entre ses deux seins.

Madame Ybei la regardait maintenant fixement des deux yeux, la tête complètement penchée hors de l'écran. C'était sans doute sa façon de signifier que l'entretien était terminé. Athenais se leva et tendit la main :

Poignée de main molle, regard blafard, la tête disparut derrière l'écran et Athenais demeura là un moment avant de replacer en silence les dossiers qui bloquaient la porte de sortie sur la chaise de bureau classique et de se retirer.