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Cdt. O-
Respect diplomatique : 237 ![]() 24/12/1016 ETU 01:39 ![]() ![]() |
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La planète neutre 9.7.16.5.2 n'était connue jusque-là dans les registres galactiques comme rien de plus que le numéro lui tenant lieu de nom. Du point de vue de toute personne vivant en dehors du Secteur 7, son existence ne relevait même que de la pure théorie statistique, et tout ce qui pouvait se passer au-dessus ou en-dessous de sa surface n'était que complète abstraction. Au sein même du Secteur 7, les choses n'étaient pas bien différentes. La planète 9.7.16.5.2 était une planète neutre, aride, peuplée dans une certaine mesure mais pas au même niveau que les grandes capitales des civilisations actrices de la scène politique galactique. Un simple caillou un peu plus vivant qu'un autre, pour les peuples suffisamment curieux pour aller en constater l'existence dans le Système 16. Pour ce qui était de ce système, il n'était pas beaucoup plus animé que d'autres, des planètes indépendantes, des brigands dont la cruauté était trop banale pour que l'on s'en offusque encore. La planète 9.7.16.5.2 n'en était qu'une parmi d'autres, pas si désagréable à vivre. Une planète banale, autant que l'on puisse dire d'une colossale masse de minéraux défiant l'espace et la désagrégation de toute sa masse qu'elle soit banale. Pour les quelques millions d'habitants de 9.7.16.5.2, cette concaténation de nombres masquait toute leur vie, toute leur frémissante vie. Un bon nombre de marchands itinérants ne s'en préoccupaient pas beaucoup énormément, en dehors des quelques apports en diamants qu'ils pouvaient glaner d'une civilisation même pas encore au stade du développement spatial. Des babioles, un peu de technologie avancée par-ci par-là... la graine de la galaxie, présente dans le moindre de ses rochers. Pour les habitants de la seule véritable métropole de la planète, située dans la seule zone tempérée, 9.7.16.5.2 était un grand œil, dont le sable immaculé perdait tout son danger quand on le regardait depuis la sécurité azuré de leurs bâtiments cristallins. La ville était un joli cercle, un iris bleu entourant une pupille plus bleue encore, alimentée qu'elle était par la mer miraculeuse qui faisait tout le véritable sang de 9.7.16.5.2, bien plus que n'importe quelle pierre précieuse. Cet étrange littoral calmait les chaleurs destructrices du désert blanchâtre, et offrait l'été éternel aux résidents de cet aride coin du paradis. La vie n'était pas parfaite bien sûr, presque tous les vêtements se ressemblaient, un seul pays, presque une seule culture, l'isolation, la pauvreté pour beaucoup. Mais là, contrairement aux gigalopoles prétendument civilisées, les mendiants ne mourraient jamais de froid, ni de soif. Et il y avait toujours du travail pour réussir à remplir le ventre de ses enfants, à défaut du sien. Une maigre consolation, mais une consolation tout de même, pour des gens qui savaient qu'il existait bien pire, pas si loin d'eux. Le problème, c'est qu'aucun d'eux n'avait imaginé, n'aurait pu imaginer à quel point c'eût pu être pire. Et même s'ils avaient pu se le représenter, ça n'aurait rien changé. Su et son amant Syloth avaient pris leurs vacances sur la plage, sans qu'il y eut vraiment d'autre choix de destination à part une excursion infiniment trop risquée dans des transports précaires vers des civilisations patibulaires. Et puis, passer la journée à se prélasser contre le corps de quelqu'un qu'on aime sur une plage de sable bleue, encadrés par une mer de saphir et des bâtiments scintillants, il y a pire comme monotonie. La peau mate de Syloth donnait à Su la sensation d'étreindre une statue d'ambre, une statue d'ambre aux boucles parfumées et aux baisers ravageurs. Doux comme un agneau, il pouvait rester des heures à serrer Su contre lui en caressant sa longue tresse huilée, deux amoureux suffisant à rendre toutes les étoiles de l'univers insignifiantes. (Ambiance musicale extra-diégétique : https://www.youtube.com/watch?v=51iquRYKPbs) Le jour où tout s'acheva, ils échappèrent également au malheur de vivre pour voir leur amour mourir avant eux. Ce jour-là, Su et Syloth ne purent pleinement profiter du soleil, ni de la beauté de la mer, car lorsqu'ils ouvrirent les yeux pour comprendre pourquoi l'univers ne les illuminait plus, ils virent qu'un immense mur s'était élevé en lieu et place de l'eau. Noir comme de l'onyx, lisse comme du verre. Terrifiant, absurde, magnifique. Si large qu'il s'étendait jusqu'au bout de l'horizon, encadrant toute la mer. Si haut qu'il fallait écarquiller les yeux pour en distinguer le sommet. Su et Syloth y parvinrent toutefois, et y distinguèrent les vagues, l'écume qui gouttait depuis impossiblement haut. Su comprit plus vite que Syloth, et commença à s'enfuir, en s'efforçant de l'entraîner par la main, parce qu'il ne comprenait pas, il ne comprenait dramatiquement pas. Quand les vagues commencèrent à s'abattre, il ne comprit pas non plus. La ville au nom oublié de 9.7.16.5.2 regarda avec la plus profonde des terreurs, alors que la mer, noircie comme du charbon et arrachée à la gravité par une force inconnue, s'abattait vers le sol, comme un raz-de-marée si brutal qu'il s'effectuait dans le mauvais sens. Les premières séries de bâtiments furent broyées à leurs bases et s'effondrèrent dans les flots, en emportant avec eux les hurlements muets de milliers d'âmes avalées par la mort. Les secondes séries ne furent que fragilisées, et c'est sous leur propre poids qu'elle s'abattirent, broyant membres, bouches et chairs sous leurs poids, sans que le sang versé ne puisse changer la teinte de l'eau. Ceux qui furent saisis dans les rues n'eurent pas plus de chance : c'était comme si l'espace lui-même venait pour les engouffrer dans sa gueule aux dimensions infinies. Plutôt que broyés ou brisés, les dernières séries de bâtiments furent poussées, abattues, puis mangées. Leur lente chute vers le sable à l'extérieur de la ville ne laissa que peu de survivants. Ceux d'entre eux qui avaient réussi à fuir ensuite assez loin pour ne pas toucher une seule goutte de ce qui restait de la mer regardèrent, avec horreur, des proches et des inconnus aux corps mutilés par l'eau, devenue le pire des acides. Des cadavres ambulants marchaient encore, sans se rendre compte qu'ils étaient morts, la moitié de la tête ou du ventre disparues sous une pluie d'obscurité. De ceux qui survécurent, certains moururent de faim, d'autres de soif, et d'autres de désespoir. Su avait fui, fui dans le désert, plus loin qu'il n'était possible, plus loin que n'importe qui d'autre. Elle tenait toujours le bras de Syloth. Encore, toujours, obstinément, sachant qu'il ne faudrait jamais abandonner tant qu'il serait vivant, tant qu'il serait là, sachant qu'il ne fallait pas regarder en arrière pour comprendre pourquoi il était subitement devenu beaucoup plus léger. Alors, quand Su comprit qu'il n'y avait plus personne d'autre, il n'y eut plus rien d'autre à faire que de s'arrêter, et de se retourner. La mer avait dévoré Syloth à peu près jusqu'au niveau du coude. Seul restait un obscène membre tremblant, morbidement chaud, sectionné sans une goutte de sang. Il ne restait bien sûr qu'à tomber à genoux, hurler vers le ciel et mourir. C'est ce que fit Su, mais ce jour-là, rien ne devait se passer normalement. Le soleil qui aurait dû éclairer son dernier ciel était effacé par une impossible éclipse, par un astre qui n'existait pas, puisque 9.7.16.5.2 n'avait jamais eu de lune. Pire, l'éclipse ne bougeait pas, et semblait grandir, soumettant le bleu du ciel au même traitement que la mer. Su contempla cet étrange annihilation, sans chercher à échapper à son propre choc, et vit son monde devenir pures ténèbres, ne laissant en guise de lumière qu'un grand cercle de lumière solaire passant encore sur la surface de la planète pour mieux la narguer. Un grand O de lumière. Su regarda jusqu'au bout, puis sentit le vent qui mugissait, l'éther qui s'agitait, et la voix, à la voix à travers l'espace. O Une déferlante de sable passa brusquement sur Su, réduisant toute sa peau à du liquide en moins d'une seconde. Il y aurait eu encore assez de temps pour battre une dernière fois des paupières, si Su en possédait encore, mais ce n'était le cas, alors un tas de chair s'effondra sur le sable avec un bruit répugnant que personne n'était là pour entendre. Quelque chose demeurait à l'intérieur du crâne. Quelque chose de terrifié qui, confusément, à travers la douleur, sentait qu'une attraction étrange l'arrachait au sol pour l'élever dans les airs, lentement, irrésistiblement, vers le soleil obscurci. Avant de mourir, Su se sentit tomber à travers un trou dans le ciel. "La planète Dessiccation (9.7.16.5.2) passe sous notre contrôle"
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