Dans les tunnels, il faut courir. Il faut toujours courir.

C’est ce que cette pauvre femme a compris depuis le début, et c’est pour ça qu’elle a survécu plus longtemps que les autres.

Elle ne sait pas comment elle est arrivée là, elle ne sait plus. Elle ne sait pas pourquoi il y a les tunnels. Elle ne sait pas pourquoi il y a les monstres. Elle ne sait pas pourquoi il y a Eileen. Elle ne sait pas ce qu’Eileen a dû faire ou penser pour survivre aussi longtemps dans les tunnels. Elle ne sait pas si elle voudrait en arriver au même point, même pour sauver sa propre vie.

Quoiqu’il en soit, dans les tunnels, il faut courir, très vite.

Aujourd’hui, elle a été menée à une bouche de métro qu’elle avait vaguement connue dans son enfance, avant que les tunnels et les mondes ne mènent à son monde. Aujourd’hui, elle ne fait qu’y courir. Il y a encore des métros bien sûr, mais ils ne semblent fonctionner que lorsqu’elle est sur la voie et qu’il y a un risque de se faire écraser, alors on peut oublier l’idée d’en prendre un pour s’échapper. Ce n’est pas comme s’il la mènerait en dehors des tunnels, de toute façon.

Pelotonnée dans un recoin, un moment de pause. Quelques monstres morts autour, elle les a éviscéré avec une barre de fer. C’est le moment d’avaler deux-trois biscuits pour se remplir l’estomac sans vomir. Une piqûre aussi, pour la douleur, et pour que le genou cesse de puruler. Et ensuite, on se remet à courir.

La bouche de métro est plus étroite que dans ses souvenirs. Ça arrive souvent dans les tunnels, mais pas comme ça. Il y a quelque chose de différent, mais c’est difficile à remarquer parce que des chiens à la peau cuite et à la tête écartelée cherche à lui happer les chevilles.

En fait, on pourrait à peine faire tenir un métro là-dedans. Gros son de gargouillement. Elle a mangé pourtant. Les chiens ne font pas des bruits comme ça. C’est vraiment un très gros son. Tout autour d’elle.

Ce gargouillement provient du tunnel lui-même.

Ah, mais voilà ce qui ne va pas. Ce n’est pas qu’il est plus étroit que d’habitude qui est étrange, qui rend claustrophobe et donne l’impression que les murs vont se refermer sur elle. C’est qu’il rétrécit à vue d’œil.

Il faut courir. Trouver l’endroit le plus large possible. Un métro ne pourrait clairement plus passer.

On court et on court et on court et on court. On tourne, on se repère dans le noir. On tâte, on cherche, on prend une échelle, on rampe, on pleure, on se relève, on court.

Elle a pris toutes les issues qu’elle connaissait. Toutes les portes. Toutes les cages d’escalier. Les passages d’égouts. Pas de doute : les tunnels rétrécissent. Partout. Ils disparaissent enfin. Et les cadavres broyés des monstres trop gros pour y survivre ne laissent aucun doute quand à son sort si elle ne trouve pas un moyen d’en sortir très vite.

Elle court. Même plus la place pour une voiture, même dans les tunnels les plus larges. Elle court dans un passage obscur, elle n’y voit rien mais sent le plafond se rapprocher, le plancher se courber. Mais il y a une lumière, une lumière au fond du tunnel ! Un petit trou lumineux, loin, tellement loin, un petit O dans lequel elle peut bondir pour s’échapper !

ELLE COURT ! ELLE COURT PLUS VITE QUE JAMAIS ! Elle court le dos penché ! Elle rampe à quatre pattes, les jambes serrées, c’est tout près plus que deux-trois mètres et elle est dans la lumière ! Une pression sur son dos et ses seins lui fait croire qu’elle va mourir broyée à un centimètre du but… mais non, ça passe ! Elle a glissé hors du piège mortel ! Elle est passée dans la lumière ! Elle est sauve !

Et elle est dans un tunnel.

Un tunnel tout blanc. Ça avait l’air si lumineux depuis l’obscurité, mais ça ne l’est pas tant que ça.

Un tunnel très étroit. Qui continue à rétrécir.

Elle essaie de retenir l’inévitable en bloquant son coude et ses genoux : grosse erreur, ça sera encore plus douloureux. Les os se brisent et jaillissent de ses membres disloqués. L’un d’eux fait goutter du sang dans ses yeux. Elle hurle dans le tunnel, et si quelqu’un écoute à l’autre bout, s’il y a un bout, peut-être qu’elle sera entendue. Le tunnel blanc devient rouge. Elle convulse sous la douleur. Normalement on s’évanouit sous des douleurs pareilles ? Là, tout ce qui se passe, c’est qu’elle se frappe toute seule le front contre la paroi qui se rapproche, et que chaque fracture supplémentaire lui fait transpercer un nouveau bord de ses lèvres, en plus de faire d’elle une femme-tronc.

Depuis un écran allumé au fond de la salle, une créature grise à six yeux vitreux, visiblement parasitée par les insectes de Nous, prit la parole à l'encontre de la Commandante Eileen :

"Bonjour Commandante.

Comme Vous avez peut-être pu le remarquer, les déconvenues de Votre Secteur sont -sauf votre respect- devenus Notre nouveau feuilleton, à Nous comme semble-t-il à tant d'autres.

Ainsi ayant réfléchi de Notre position reculée, Nous aurions une théorie à Vous proposer.

Il semblerait que l'attaque du [de l'absence de] Commandant O- ne soit tourné que contre Vous et le Commandant Kalebb, ou du moins est-ce ce qui est déclaré pour l'instant. Vous semblez par ailleurs évoquer un lien avec le Commandant Abbu Safah, or si j'ai bien compris Vous étiez dans le camp du Commandant Abbu et le Commandant Kalebb, lui, a fini par se déclarer neutre sur la question ?

Se pourrait-il alors que ces deux affaires soient liées et que ce soit ce qui a motivé son attaque ? Savez-Vous si le Commandant LordB ou le Commandant Abbu Safah ont été aussi attaqués par exemple ?

Encore une fois Nous tenons à Nous excuser si Vous perceviez Notre prise de parole ici comme une tentative d'ingérence dans Vos affaires ou celles de Votre Secteur, sachant de plus que Notre démarche participe d'un voyeurisme mal placé."

Les événements du Secteur 7 sont d'une gravité sans nom

Le Cdt -O s'en est pris à la représentante de l'Economie de mon gouvernement

Ceci entraîne l'entrée en guerre immédiat de mes armées contre ce Cdt et engage mes armées de ce fait à se diriger vers ce Secteur

J'en appelle donc, à mes gardiens de me soutenir dans cet élan pour rétablir une justice toute évidente dans ce cas

Grema