"Plus qu'une demi-heure" se dit l'homme en regardant sa montre. Il s'appelait Tom Shepherd, et vaquait à ses occupations. Comme tous les jours, il se chargeait de la propreté des quais du spatioport de la capitale. Tâche ingrate et parfois difficile, mais qui lui permettait néanmoins de subvenir aux besoins de sa famille. Et puis, n'était-il pas agréable de descendre après un long voyage sur des quais propres et brillants ? C'était la satisfaction des clients qui lui permettait de garder son entrain et son professionnalisme jour après jour. Mais aujourd'hui sa tête n'était pas vraiment au travail. C'était l'anniversaire de sa fille, et il devait rentrer tout préparer. Alors qu'il s'apprêter à commencer le nettoyage des toilettes des hommes, dernière étape de sa longue journée, une odeur insoutenable lui souleva le cœur. Il fit le tour des lieux, sans pour autant mettre la main sur son origine. Ce n'est qu'en entendant l'agitation qui régnait sur les quais qu'il comprit que pour une fois, la source de la pestilence actuelle ne provenait pas des WCs. Il hésita quelques instants. Il pouvait aller voir la raison de ce brouhaha, mais au risque d'être retardé dans son emploi du temps. Mais finalement, la curiosité l'emporta. "Je ne suis pas à cinq minutes près." se dit-il. Et c'est le temps qu'il lui fallut pour qu'il regrette amèrement d'avoir cédé à la tentation.

Alors qu'il arriva sur les quais, il aperçut le vaisseau le plus immonde qu'il lui eut été donné de voir. "Une baleine gluante volante bizarroïde" furent les premiers mots qui lui vinrent à l'esprit. Le bâtiment lui faisait penser à un vaisseau de grande envergure auquel on aurait accroché la peau d'un cétacé mort, et aujourd'hui en état de décomposition avancé. La peau bleuâtre laissait filtrer des lumières vertes de ses diverses orifices, et un liquide visqueux à la teinte indéfinie en tombaient. Un spectacle à couper l'appétit. Puis sa gueule s'ouvrit, vomissant littéralement ses hôtes sur les quais. Une nouvelle vague méphitique ébranla le hall, déclenchant un haut-le-cœur au pauvre Tom qui parvint avec peine à se contenir malgré l'odeur. Ce qui ne fut pas le cas de tous les passants. Alors que les sortes de serpents et autres formes étranges se redressaient, il décida de repartir promptement finir sa journée, laissant le nettoyage à la prochaine équipe.

Il fit demi-tour, pour tomber quelques mètres plus loin sur son supérieur qui lâcha un "Oh qu'ils sont laids !" en voyant les créatures qui se dirigeaient maintenant lentement vers la sortie. Quatre sortes de serpents à grosse tête triangulaire encadraient une sorte d'escargot géant. Rampants tous sur le sol, ils laissaient derrière eux des sillons de viscosité puantes, ce qui n'échappa au chef de l'équipe de ménage qui n'envisageait pas de laisser les lieux en l'état. Et l'équipe de nuit n'arriverait pas à elle seule à nettoyer le tout. Ce dernier ne manqua donc pas Tom qui venait vers lui. Et pour quelques créatures visqueuses mal éduquées, ce dernier allait rater l'anniversaire de sa fille.

« Bl0blourb bLoB blOOOB blOb ? »

« Blonb. blNONb. »

« BlAaaab ! blNONb ! »

« blOUIb ! »

Ils étaient bien, au chaud, dans le gosier du vaisseau Mère Blob. Les envoyés de l’Empereur Blob. Les premiers diplomates de leur espèce. Les plus beaux, les plus forts, et les plus éloquents. Ils finalisaient leur dernier entrainement linguistique, lorsque la chaleur se fit plus forte, et que la pression du bâtiment remonta. La gravité fit son effet et au lieu de voguer paisiblement dans les « airs » du vaisseau, ils se retrouvèrent projetés contre les parois, ce qui ne manqua pas de les amuser. L’atterrissage se fit de plus en plus proche. Le vaisseau mère lança un grand « BLOB » pour les avertir de l’arrêt imminent. Puis le silence se fit. Les BloB se regardait les uns les autres, et inspirèrent un bon coup. Les parois se contractèrent et l’expulsion se fit.

Blob se redressa en premier. C’était le plus grand de sa fratrie. Sa tête triangulaire regarda les alentours, un peu déçu de ce qu’il vit. Néanmoins, il n’en oublia pas les consignes et se plaça en position autour de son cousin Blob.

Blob s’était lui aussi relevé, et tenta de se dresser sur la pointe de sa queue. Mais la gravité était trop forte pour une position confortable, et il se contenta de ramper de l’autre côté de son cousin, un peu déçu de ne pouvoir se montrer à la vue de tous. Car Blob se considérait comme le plus beau de ses frères.

Le cousin Blob commençait à s’impatienter. Sa protubérance arrière, la première et la plus grande distinction Blob, reçue suite au concours de diplomatie, le gênait bien plus que sur Centre Blob. La forte gravité avait une incidence directe sur son poids, et il dut modifier son organisation moléculaire pour mieux répartir ses muscles et ainsi alléger son fardeau. Le temps de l’opération, le cadet de la fatrie Blob qui l’accompagnait ainsi que l’unique femelle du groupe avaient pris leur place. Et c’est donc en rampant qu’ils se dirigèrent vers les salles de l’assemblée galactique. Et même si d’un œil extérieur ils étaient aussi silencieux que des mouches mortes, intérieurement ils ne purent s’empêcher de penser en voyant tous ces êtres qui s’agitaient autour d’eux : « BloB ! »*

* « Oh qu’ils sont laids ! »

Blob s'était éloigné du groupe. Il était le plus grand, mais aussi le plus musclé. Il se fatiguait moins que ses congénères, qui exténués par la longue marche séparant le spatioport de l'assemblée s'adonnaient maintenant à leur activité préférée : la sieste. Il décida donc d'explorer les lieux, ne craignant rien pour sa famille. Tous les êtres vivants qu'ils avaient croisé s'étaient détournés à toute vitesse de leur chemin. Puis au détour d'un chemin, il aperçut une créature. Un truc court sur pattes presque de même hauteur que lui. Elle était moins vilaine que les autres choses qu'il avait pu rencontrer, et dans sa surprise il lâcha un "BLOB".

La créature approcha, et commença à lui parler dans un langage inconnu. Un nouveau "BLOB" fut prononcé, avant qu'il ne se souvienne de sa mission. Il était Blob, l'un des cinq Blob en mission diplomatique. Il ne laisserait pas cette chance de discuter avec un autre peuple filer. Il adapta donc son langage à ce nouvel interlocuteur, se basant sur ce qu'il avait entendu.

" BloufaB Bloufib BlonBjourb ? Bleb Bluib Blob."

Toutes les cellules de Blob étaient en éveil. Sa concentration telle qu'il en oublia pendant un instant de créer le liquide gluant qui le recouvrait. Mais malgré tout, il ne comprit pas un mot de la chose. Il était prêt à abandonner, lorsque lui fut présenter les croquettes et la gamelle d'eau. Il hésita pendant un instant, se remémora ses cours diplomatiques, et en arriva à la conclusion que son boulot était fichtrement plus compliqué que prévu. La langue était différente, les gestes incompréhensibles. Il rampa de quelques centimètres et observa la gamelle d'eau. C'était un objet rond. Il leva sa tête triangulaire du sol, et se pencha de manière à voir le contenu. Ne fut-il pas surpris d'y avoir son reflet.

"Blomb Blunb BLOB !"

Blob se mit tout d'un coup à transpirer, transpirer, jusqu'à être parfaitement recouvert du liquide verdâtre et puant qui avait causé tant de vomissements sur les quais.

" BLOB !" Il se rapprocha cette fois-ci des croquettes, sûr de lui. Puis sortit une tentacule de nul part, et posa les petits bouts de nourriture sur sa tête, telle une coiffe. En retour, il déposa un peu du liquide visqueux qui le recouvrait à côté de la gamelle, ses minuscules yeux scrutant le comportement du chien.

Blomb Blunb BLOB ! fit le BloB.

Les yeux de Blob se dilatèrent d'étonnement lorsque le chien avala le liquide. Mais le chien ne le remarqua pas. En même temps, un écarquillement d'yeux de Blob, c'était un peu comme un écarquillement d'yeux d'acariens. C'est si petit qu'on ne le remarque pas. Sauf si on est un Blob, ou un acarien. Et ce chien n'était décidément pas un Blob. Ou tout du moins, pas encore. Car ce qu'il venait d'avaler n'était pas anodin, même si Blob lui-même ne le savait pas. Toujours est-il qu'après s'être restauré, le chien expulsa de son petit corps ce qui est communément appelé "du pipi et du caca". Blob ne voyant pas l'intérêt d'embellir son intérieur, comme le chien venait de le faire, il prit la tambouille et s'en mit sur la tête, couvrant ainsi une partie des croquettes. Il étala ensuite le mélange le long de son corps, dessinant une crête brunâtre. Cette décoration ne manqua pas d'impressionner ses compatriotes, qui venaient de le rejoindre. Des "Blob" d'étonnements et de compliments résonnèrent dans tout le couloir. Blob, le cousin de Blob, s'approcha alors telle une limace du chien pour se présenter.

" Blonblourb. Bloub Blommeb Blob, Blob, Blob, Blob, Blob. Bloub Blebrébenbland bleb Blobs. Bloub Blerblonb blablembéb blablabibl. Bloubliéb bloub bloub blyb blonblib ? "

Tous les Blobs se figèrent sur place. Le diplomate s'était-il mal exprimé, ou alors le chien était-ce une réaction étrange suite à l'ingestion d'une partie du Blob ? Toujours est-il qu'il avait commencé à baver, puis à parler, avant de gesticuler de manière erratique sur le sol. D'autres que des Blobs auraient compris qu'il hallucinait , mais ces derniers n'étaient pas très au fait sur leur anatomie, ni sur leur origine toxique.

Toujours est-il que sous la panique, les Blobs décidèrent de laisser le chien gisant, et de partir se réfugier dans une des salles proches. En espérant que personne ne fasse le lien entre eux et ce qu'il venait de se passer.