// Fond musical conseillé : http://www.youtube.com/watch?v=2MksOq1JfLA&feature=youtu.be

Commandants de Sagesse,

J'ouvre cette salle dans un but précis. Voilà maintenant 11 jours que Katelyne, la bien nommée Aryakis, s'est donnée la mort. Voilà maintenant 11 jours que la politique du silence et de la guerre à tout prix à porté ses fruits. Voilà maintenant 11 jours qu'une personne est morte de la folie de certains et du remord.

Après des milliards de vies perdues sans la moindre hésitation, Sagesse retrouve un semblant de paix. A vrai dire, je n'ai jamais connue Sagesse en temps de "paix", n'en étant pas natif, j'y ai atterrit en plein conflit, où l'enjeu n'était pas une simple planète ou un secteur, mais bien la vie de personnes ayant survécus à l'Apocalypse. Ce même évènement qui frappera cette galaxie à son tour, dans un peut plus de 92 jours.

Mais cet hommage n'a pas pour unique but d'honorer l'âme de cette personne que j'estimais beaucoup. Il est là également pour honorer celui de tous les commandants morts au combat, qu'il s'agisse de celui contre TsT, ou bien de celui contre Dieu. Il est également là pour honorer ces milliards d'âmes, anonymes, tombées sur le champ d'honneur ou suite à divers bombardements. Il est là pour rappeler à tous que, du haut de nos commandement, même si certains le croient haut et fort, nous ne sommes pas éternels. Et enfin, cet hommage est là pour dénoncer la folie de certains et la quête de vengeance d'autres, qui n'apportera rien de bon à cette galaxie, ni à toutes les autres.

En la personne de Katelyne, j'ai perdu une camarade. Camarade de ce combat que nous avons effectué contre Dieu, ce grand barbu qui, dans sa grande mansuétude, nous condamne à une mort certaine, et pour les rares survivant à devoir assister à une horreur sans nom. J'ai perdu une camarade qui à, tout comme moi, survécu à cette épreuve et s'est soulevée contre contre sa volonté. Plus que cela, elle était un exemple de volonté de vivre pour nous tous, pour avoir survécu à trois Apocalypses.

J'ai également perdu une amie. Une amie qui possédait ses défauts mais également ses qualités. Sans nul doutes certains se rappellerons plus de ses défauts que de ses qualités, j'ai cependant décidé de retenir ces dernières, et surtout son immense gentillesse et bonté de cœur qui la caractérisait tant.

Enfin, j'ai aussi perdu une mère. Elle qui se targuait de posséder la plus grande longévité galactique, nous étions, en Espoir, tous plus ou moins ses enfants. Dispensés de ses cours sur la "volonté de vivre" ou bien tout simplement la "survie". Elle a enseignée à bon nombre de commandants aujourd'hui défunts, d'autres se trouvant dans cette salle, de nombreuses choses. Pour ces quelques personnes, ces conseils resteront à jamais dans nos esprits. Je la considérais comme une mère pour ces nombreux conseils qu'elle m'a jadis prodiguée. Pour tout ceci, je ne l'oublierai jamais, et ses paroles resteront ancrées à jamais dans mon cœur.

Pour terminer ce petit discours, j'aimerais exhorter tout ceux ayant perdu une personne plus ou moins proche au cours de ce conflit de déposer ici-même quelques mots, afin que son âme puisse en capturer l'essence et l'entendre, même dans l'au-delà.

Au commandant Tsukama, guildéen et armé de son vieux colt. Qui, part son acharnement, sauva de nombreuses personnes.

A la civilisation Intyre, et à son commandant de son prénom Mac. Aussi têtu et borné dans la vie que dans la mort.

A Eicho, qui servit sa maîtresse et la suivit jusqu'au bout.

Et enfin à toi, Katelyne, l'Aryakis, qui m'a tant conseillée et apportée, alors que notre secteur était pourtant fermé et en proie à la guerre. Jamais je ne t'oublierai.

Malgré toutes ses obligations, la guerre contre les Impériaux, l'implantation politique dans le Onzième Océan Spatial et de façon générale la survie de son peuple, Téthys avait trouvé le temps de se rendre dans le Sixième Océan Spatial, le troisième qu'elle visitait depuis l'ouverture. L'apocalypse même ne l'aurait pas empêchée d'aller assister à la réalisation de ce projet.

Quand les Espériens avaient débarqué en Sagesse, les Néréides avaient fait fonctionner leurs contacts avec la Confédération Rouge pour obtenir un maximum de renseignements sur eux. Entre autres, elles avaient découvertes la nature de l'Aryakis, la Mémoire Seconde de la Sororité d'Evène. (référez-vous à sa description publique pour les détails de son histoire! C'est important pour comprendre la suite.) Une humaine portant l'Histoire dans sa tête, depuis les temps mythologiques! La dictature Patricienne avait complètement aboli l'Histoire de façon générale, ne voyant les temps qui l'avaient précédé que comme les balbutiements de l'humanité, et refusant qu'on puisse imaginer un autre modèle que le leur. La victoire des Néréides leur avait permis de détruire leurs carcans, mais de ramener ce qui avait été perdu à jamais : leur histoire. Les Néréides, pourtant vite propulsées à travers l'espace, avait moins de deux siècles d'Histoire à se transmettre, malgré les intenses recherches archéologiques.

Les historiennes Néréides aurait tué pour un simple entretien avec l'Aryakis, mais la première rencontre de celle-ci avec les mutantes, à Tulah, devait montrer qu'elle représenterait bien plus pour elles qu'une transmission orale. (et encore un renvoi HRP : http://www.apocalypsis.org/assemblee/viewtopic?c_topic=4033&c_forum_page=1&c_page=11) Les facultés détenues par la Mémoire Seconde depuis Eve, innée ou acquises, comptaient une forme humaine de télépathie qui semblait compatible avec la Vague, le réseau aquaneural à ultra-ondes des Néréides, et celles-ci avaient leur propre version de la Coagulation, à un faible Facteur Oméga, qu'elles utilisaient depuis longtemps pour l'éducation des jeunes - vous ne trouverez pas d'écoles chez les Néréides. Ce n'était qu'un simple flux d'informations partielles, rien à voir avec la miction totale opérée par les Sœurs d'Evène...

...mais c'était compatible.

La mémoire probablement millénaire de l'Aryakis était compatible à la transmission neurale vers les Néréides. Toutes les Néréides. Elles auraient remercié les dieux si elles en avaient de l'arrivée d'Evène en Sagesse.

Téthys était rentrée directement en contact avec Aryakis, pour lui demander de bien vouloir l'Histoire qui leur manquait tant, lui offrant tout ce qu'elle aurait pu souhaiter en contrepartie. Elle accepta sans rien demander en retour.

Presque toute la Flotte Polaris s'était consacrée au projet, rassemblant de nombreuses Anciennes, et de l'eau spécialement traitée au sel cérébral pour booster au maximum la connectivité de la Vague, le tout sur Mnimeio Doréa. C'était ce que Téthys était venue observer. Pas seulement la restitution de l'Histoire, mais aussi son écriture. Tout un peuple retenant son souffle.

Presque toute la planète avait la tête connectée à la Vague, suivant les derniers bulletins d'information, qui décomptait le temps estimé avant l'arrivée du vaisseau d'Aryakis sur Mnimeio. Téthys attendait près du sas réservé aux non-Néréides, aussi silencieuse que l'équipe de recherche, et peut-être, un monde entier.

Aucun son. Un silence palpable.

...

BIP!

" - C'est son vaisseau, Commandante. Elle vient d'arriver."

... Et resta ainsi silencieuse ... N'ayant aucun doute que ceux qui étaient là, sauraient comprendre qui elle était.

Téthys devint vite fébrile en voyant l'Aryakis de visu, comme tous les autres. Contrairement à Fraîcheur, elle avait pu se préparer à l'avance et s'isoler de la Vague en présence de la Mémoire Seconde, afin de ne pas subir ses impulsions neurales inconscientes. Mais même comme ça, elle pouvait ressentir l'âge et le pouvoir qui émanaient de l'humaine d'apparence pourtant simple qui s'était agenouillée devant elle. Elle allait lui dire de se relever, mais avait du mal à trouver la force de parler...les humains devaient vraiment avoir le cerveau sourd pour ne pas trembler face à elle. Pas de peur, juste...juste un émerveillement béat et terrifié à la fois. Les autres Néréides étaient dans le même état qu'elle, et Téthys décida de ne pas céder à elle-même, comme à chaque fois qu'elle était rendue vulnérable. Plutôt que de parler, elle osa elle-même tendre la main vers celle d'Aryakis pour l'inciter à se relever.

Électrique. Le genre de choc qui vous empêche de retirer votre main, de sorte qu'il fallut quelques secondes à Téthys après que l'humaine se soit relevée pour qu'elle la lâche. Réduire la connexion à la Vague c'était une chose, mais là, un isolement complet de ses tensions neurales étaient de mise si elle voulait éviter d'avoir l'air d'une enfant en face de son premier orage chaque fois qu'elle lui parlerait. De toute façon on était pas dans l'eau, donc ça ne posait pas plus de problème que ça.

" - Vous m'avez dit auparavant de ne pas m'incliner devant vous, même pour les affaires les plus importantes...faites de même en ce cas, même pour les politesses les plus triviales. Enchantée de vous rencontrer enfin en personne, Aryakis."

Téthys guida l'humaine, si le mot était encore appropriée, vers le bassin où l'attendait les anciennes, tout en lui décrivant le procédé en long et en large pour se donner une contenance et éviter que sa bouche ne reste béante. Les techniciens, scientifiques et observateurs avaient bien de la chance de ne pas avoir besoin de parler, et la Commandante Expéditionnaire aurait pour une fois tout donné pour conférer ce grade à une autre et foncer dehors pour respirer un grand coup. Aryakis elle-même lui offrait un regard impénétrable et un sourire jocondien inamovibles. Pas moyen de lire quoi que ce soit sur son expression. La Néréide ne se sentait pourtant pas menacée...effarée peut-être, mais pas menacée. Elle sentait confusément que la Mémoire Seconde portait une sincère sympathie aux Néréides...peut-être même affection. Et c'était troublant. En fait, c'était surtout sans précédent.

" - Nous n'allons pas directement transférer votre mémoire vers tous les Néréides. Ce serait d'une part bien trop brutal, et d'autre part impossible. Elle sera transférée à des Anciennes, les plus vieilles et déformées des Néréides, qui ont survécu aux siècles et sont devenues des créatures gigantesques, très loin de l'humanité. Elles flottent actuellement dans une solution d'eau salée à l'aide de minéraux bien particuliers générés par nos propres cerveaux. C'est cette substance qui résonne et nous permet la Vague. L'eau est donc actuellement un excellent conducteur, et les Anciennes seront à mêmes d'y coder les informations reçues. Nous ignorons précisément quelle quantité il faudrait...mais nous avons prévu suffisamment pour deux fois l'âge de l'univers. Ça devrait suffire.

Les Anciennes sont endormies, dans un état d'hyper-réceptivité. Leurs facultés mentales dépassent de loin celles des jeunes Néréides, mais elles sont actuellement dans un état complètement ouvert et vulnérable. Faites TRES attention à ce que vous faites là-dedans. Même toutes combinées, elles n'atteignent pas la moitié de ce que vous émettez. Il faudra y aller doucement...très très doucement. Personne ne doit souffrir de cette expérience."

Téthys amena Aryakis aux combinaisons faites pour les non-Néréides. Très légères, apparemment du tissu ordinaire même si ça n'en était probablement pas, les combinaisons étaient...minimalistes, question habillage. Un simple masque servait pour traiter directement l'eau, et transférer de l'oxygène. Pas de bouteille à air ou de câble, donc.

" - Avant de vraiment commencer...pouvez-vous me donner des précisions sur le procédé de..."Coagulation", je crois? Nous avons besoin de savoir exactement ce que vous allez faire, si nous voulons que tout se passe sans accroc."

Les premières paroles d'Aryakis parmi les Néréides ne les fit en effet pas s'offusquer de pudeur. En revanche, les lueurs de surprise et quelques rougissements parmi l'assistance, ainsi qu'une expression...intéressée, passant pendant une infime fraction de secondes sur le visage de Téthys lui prouva que les Néréides n'étaient pas du tout insensibles à la nudité d'une Humaine.

Ce qui suivit captiva cependant bien plus les mutantes. Téthys, comme la plupart des autres, interpréta au fur et à mesure les paroles d'Aryakis, bien que la métaphysique ne fasse pas partie de ses compétences. Elle comprit en même temps que les autres l'immensité de ce que représentait "Aryakis", ressentit comme les autres une certaine terreur à l'idée d'un tel pouvoir entre les mains d'une Humaine, sachant de quoi les Humains étaient capables. Elles comprirent également toutes que leurs informations erronées rendaient l'opération prévue impossible dans la forme - ce qui était décevant - et aussi quel genre de créature devait être le monstre dénommé Havelock. Et peut-être Ohsac Siusej également? Il semblait bien de plus que la nature de l'Aryakis confirmait les thèses sur l'anti-matière, et expliquait aussi la perturbation ressentie par toutes les Néréides qui l'approchaient.

Cependant, quand Aryakis commença à s'adresser à Téthys seule, l'expression de celle-ci changea complètement. Sa droiture quasi-militaire était envolée, et elle était devenue livide.

" - Je...il va falloir que nous discutions en privé dans ce cas.

- Comme vous voudrez..."

Aryakis suivit Téthys à travers un couloir oblong, laissant les scientifiques en charge du projet sur leur faim d'informations. La Commandante n'aurait jamais été aussi malpolie d'ordinaire, mais elle était littéralement dans la plus extraordinaire des perspectives. Il y avait des tonnes de salles de conférences vides et obscures où elles auraient pu parler, mais Téthys avait besoin de marcher pour réfléchir. Les Néréides construisent leurs villes prêts du fond des mers, et le tunnel passait intégralement sous l'eau, entièrement transparent. Il n'était pas même à sec d'habitude. Aryakis déambulait en regardant la mer comme si rien n'avait d'importance, en ramenant de temps en temps les yeux sur Téthys, qui elle avait l'expression du chef d'état qui se voit contraint d'entrer dans une guerre à l'ADM.

Téthys s'arrêta, en plein milieu de l'immense route marine. Aryakis s'arrêta également, et continua d'attendre qu'elle parle avec une patience qui aurait pu durer jusqu'à la fin de l'univers. La Néréide était parvenue à se reprendre après ce que lui avait annoncé Aryakis, et avait établi plusieurs choses dans sa tête :

' - Si j'arrive à survivre à ça, le projet "Mnémosyne" pourra quand même continuer. Il me suffira de transmettre les données de façon impersonnelles, un simple cours d'histoire comme un autre.

- Je ne veux pas qu'elle meurt. Je ne veux pas. Je ne veux pas. Jeneveuxpas. Jeneveuxpas. Jeneveuxpas. Jeneveuxpasjeneveuxpasjeneveuxpas.'

Téthys ouvrit les yeux, la tête douloureuse. Aryakis lui faisait face, les yeux rivés dans les siens, sa présence ridiculisant l'idée de la bloquer mentalement. La Néréide comprit qu'aucune de ses pensées ne lui avait échappé. Elle n'avait pas besoin de les formuler. Elle se sentait presque honteuse, honteuse de se voir proposer une chose pareille, honteuse d'être prise complètement au dépourvu, peut-être pour la première fois de sa vie. Pas honteuse, juste...juste incapable de savoir quoi faire. Même la mort ne l'aurait pas eue par surprise comme ça. Ou peut-être que si justement?

' - Je ne sais pas. Je ne sais pas du tout. Dis-moi.'

- Je ne sais pas tout. Mais je sais que c'est toi qui doit décider.'

" -...si j'accepte...", dit Téthys à haute voix, avant d'hésiter à nouveau.

Elle accepta de soutenir le regard d'Aryakis, de ses milles vies, et de l'univers qui la regarda à travers. L'Abysse avait déjà regardé en elle, et Téthys regardait en retour. Vouvoiement? Tutoiement?

" - ...qu'est-ce qui vous arrivera?"

Téthys s'effondra. Littéralement. Elle tomba à terre, terrassée par ses émotions. Et par son choix. Elle ne faisait même pas semblant de se cacher à Aryakis. Devant elle, tous les quolifichets et les grands discours qui imposaient le respect aux chefs de clans humains perdait leur sens. Elle était autant vulnérable et à découvert que quand elle avait enfin recouvré la vue, à ses sept ans, et avait vu sa mère pour la première fois.

Le choix était évident depuis le début. Quand la voix d'Aryakis avait résonné pour la première fois dans ses oreilles, alors que son défi à l'Empire affrontait la censure à l'Assemblée Galactique, elle savait déjà qu'elle allait accepter ce que cette femme amènerait. Qu'elle avait peut-être enfin trouvé l'objectif nébuleux de l'exploration des Néréides, à la recherche d'elles-mêmes et de l'humanité.

Ayant enfin fait la décision la plus difficile de sa vie, elle s'était donc effondré contre le mur oblong, la tête serrée dans ses doigts crispés et griffus, laissant couler toute la tension qui l'électrisait depuis l'arrivée d'Aryakis. Elle comprenait entièrement ce qu'elle devait faire et savait qu'aucune des guerres futiles de Sagesse ne lui demanderait autant de forces que ça. Elle allait passer par un avant-goût de la mort et revenir en parler. Si elle s'en sortait, plus rien ne l'arrêterait jamais. Répondant à son état, l'humaine se contenta de la serrer comme une enfant, sans la prendre en pitié ou la sermonner. Elle avait pleuré ce genre de larmes un millier de fois, dans mille vies différentes, avant de devenir l'Aryakis.

Elles restèrent ainsi pendant un long moment, vécu à l'identique des milliers de fois à travers le temps. Téthys s'était enfin habituée à ce que dégageait Aryakis, en se contentant de se laisser faire, emporter. Elle en finit par une confiance absolue. Et la détermination de réussir.

" - Venez. Nous vous avons fait atterrir tout prêt du bassin, c'est accessible à pied pour les humains."

Sans un mot, Téthys se releva et repartit en sens inverse avec Aryakis. Pas besoin de mots. La Néréide avait de toute façon la gorge sèche, ce qui est plus que rare pour une Néréide. Son peuple avait construit un monde, une place dans l'univers, une vie propre. Il lui semblait qu'elle allait apporter la pièce d'honneur à toute cette œuvre. Tout ce qui viendrait après ne serait que conséquences, et importerait moins. Elle sentait déjà, dans son esprit dont elle savait maintenant à quel point il restait primitif, les courants du temps l'appeler à marcher plus vite, comme quand l'on court au combat à l'ouverture d'un champ de bataille. Elle récita une dernière fois ce qu'elle devait faire dans l'ordre, sachant que c'était sa dernière occasion de se concentrer.

' - Accompagner Aryakis dans le bassin - et avoir une équipe médicale de prête à la récupérer.

- Les souffrances d'Eve exigent d'agir vite. Très vite. Ne pas la laisser déchirée une seconde de plus que nécessaire.'

Téthys et Aryakis revinrent dans la salle de préparation des scientifiques attelés au projet, qui les regardaient avec un air mi-"enfin!" mi-"elles auraient pu éviter de nous laisser en plan!".

" - Mesdames, désolée de ma brusquerie. Nous avons discuté du projet...il est toujours tout à fait possible, mais nous allons devoir procéder différemment. L'Aryakis ne transférera pas sa mémoire directement aux Anciennes...mais à moi-même. Et c'est moi qui la leur confierai ensuite."

Des indignations commençaient à s'élever, s'insurgeant contre l'idée qu'une dirigeante obtienne un tel pouvoir à elle seule, mais Téthys les étouffa dans l'oeuf en poursuivant :

" - Elle en a décidé ainsi, et je n'ai pas le choix. Les risques pour moi, ainsi que pour elle, sont...élevés. Il va falloir préparer des civières et du matériel médical d'urgence immédiatement, pour pouvoir nous emmener en soins intensifs si besoin. Elle, puis moi. Elle risque sa vie pour nous."

La solennité de Téthys laissa les Néréides silencieuses, dans un certain état de respect, et dans un silence d'enterrement, ou plutôt de calme avant les schrapnels. Le comportement de la Commandante était normal, elle était une soldate avant tout. C'était ce qu'elle était avant de devoir prendre un rôle politique. Le matériel fut préparé en serrant les dents, dans une atmosphère lourde même pour Aryakis. En arrivant au bassin, Téthys avait retrouvé toute son maintien de Commandante, son esprit désormais préparé, dans la mesure du possible.

Les couloirs Néréides, décidément plein de courbes et beaucoup moins anguleux que les constructions humaines (c'est bien plus hydrodynamique comme ça voyez-vous, c'est pour ça que les sous-marins c'est pas des carrés et que les poissons sont pas nés...mais je diverge.), montèrent en altitude et menèrent le groupe en surface. Téthys et Aryakis débouchèrent sur le bord d'un "balcon" artificiel, qui ouvrait sur un ciel paradisiaque, et un lac immense encerclé d'une bande de terre verdie et escarpée, surplombée de bâtiments Néréides apparemment placés directement contre la roche, et non pas creusés dedans.

Un vent assez puissant mais pas trop fit immédiatement voler les chevelures d'Aryakis et des Néréides qui en avaient, leur salant la peau, ce qui fit grimacer Téthys, sujette aux maladies solaires. Les yeux perçants de l'humaine lui permirent d'apercevoir de vastes formes tentaculaires et monstrueusement massives se mouvoir lourdement et lentement sous la surface de l'eau. Une échelle fut baissée par une des scientifiques jusqu'à l'eau, ainsi qu'un système de civière coulissante qui permettrait de remonter les blessées annoncées.

" - Voici le Lac Memoria! L'eau elle-même est naturelle, nous n'avons fait qu'ajouter le sel neural et nos Anciennes. Elles sont assez impressionnantes, terrifiantes pour la plupart des Humains, mais leurs vieux corps sont fragiles et fatigués. C'est leur esprit qui est redoutablement puissant.

Nous irons avec vous, pour opérer des relevés sur les activités de la Vague, et évacuer les blessés en cas de pépin pour nous ou les Anciennes. Des groupes de Vague se tiennent dans les bâtiments que vous voyez au loin pour réveiller les Anciennes, toujours en cas de pépin. Nous avons pris les précautions maximum..."

Téthys inspira une immense bouffée d'air salé, comme si c'était la dernière.

" - Prête à plonger?"

Aryakis abandonna ses vêtements et se laissa tomber à l'eau comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Téthys se dit que si il était plaisant de voir que les plus sages et expérimentés des Humains appréciaient les Néréides...il l'était moins de constater qu'il fallait être sage et expérimenté A CE POINT pour ça. Elle ne continua pas à y réfléchir, la formulation volontaire de pensées complexes lui devenant de plus en plus difficile. Elle ressentait déjà physiquement, par ce vieux sens que possèdent tous les esprits conscients et que presque aucun n'exploite, ce qui allait lui arriver bientôt. Elle abandonna l'idée d'arriver à se sentir vraiment prête, et se laissa choir dans l'eau.

Le piquant de l'eau neurale et le champ de Vague généré par les Anciennes lui secoua suffisamment l'esprit pour qu'elle retrouve la volonté suffisante pour penser, malgré sa croissante impression que ses sens commençaient à se courber désagréablement. Elle put même se demander ce que les Humains pensaient du goût des eaux Néréides. Heureuse de pouvoir au moins être dans un environnement familier pour ce qu'elles allaient entreprendre, elle rejoignit Aryakis et enserra son corps nu, faisant de son mieux pour être rassurante et chaleureuse, sachant que la "noyade" était une des morts les plus horribles à vivre pour une Humaine. La vérité, c'est que c'était de loin elle qui avait le plus peur, même si elle se contenait, et qui se sentait la plus nue et vulnérable.

Aryakis en revanche arborait toujours ce sourire Jocondien et cette présence écrasante et apaisante...Téthys avait entendu dire par les réfugiés d'Espoir que la précédente gardienne avait joué à dieu, au point qu'elle avait été assassinée par Tsukama. Les Néréides ne croyaient pas en dieu, et elle-même savait très bien qu'elle ne tenait pas une déesse entre ses bras. Mais tous ses raisonnements et ses prudences de dirigeante étaient impuissantes à la retenir de croire en Aryakis. C'était bien ce qui avait du lui rendre son existence si dangereuse, si incertaine...personne à son niveau. Mais celle-là lui convenait très bien en tout cas.

Retenant la respiration de ses branchies, Téthys serra l'humaine contre elle, répondant silencieusement à ses instructions. Les jambes et bras croisés, accrochées l'une à l'autre, les chevelures emmêlées...seins contre seins, tête contre tête, esprit contre esprit. Sa peau était si étrange sous ses doigts...elle réalisa que c'est parce que c'était la première fois qu'elle se tenait si prêt d'un humain sans avoir l'intention de le tuer. Téthys sentait l'univers pulser derrière ces yeux si proches des siens...elle murmura les derniers mots de sa vie comme elle la connaissait, les lèvres si proches qu'ils glissèrent directement dans l'esprit d'Aryakis... :

" - Je suis prête. Je te fais confiance..."

Aryakis souriait toujours...elle continuait alors que l'eau s'engouffrait dans ses poumons, que la tension montait, insoutenable, et que les convulsions lui faisait plonger les ongles à travers les écailles de la Néréide. Téthys la serrait, consciente de sa douleur, partageant sa douleur, lui caressant doucement les cheveux en ignorant ses spasmes de plus en plus violents et ses yeux injectés de sang. Elle sentait cette vie s'arracher, et savait que c'était pour elle et pour les siens. Elle qui avait étranglé ou brisé des dizaines d'hommes de ses mains nues, elle n'arrivait pas à supporter ça. La pensée que c'était temporaire n'arrangeait rien, au moins une mort définitive était rapide...

Ça dura longtemps. Une gardienne de la Mémoire Seconde était probablement bien plus solide qu'une Humaine normale. Même vers la fin, elle souriait, elle souriait dans l'esprit de Téthys. Comme si ce n'était pas grave. La Néréide avait renoncé à toute dignité, et pleurait. Elle pleurait pour Aryakis, les yeux engoncés dans ses cheveux noirs. Pourquoi était-ce celle qui vivait qui pleurait, et celle qui mourait qui souriait? Parce qu'elle se noyait aussi, elle se sentait basculer peu à peu...

...et puis elle tomba. Hors d'elle-même. Elle tomba vers tous les points de l'espace qui lui étaient extérieurs, l'esprit implosant et explosant à la fois. Son premier réflexe fut de hurler comme un bébé, pendant un instant infiniment court, puis elle se tut, abasourdie jusqu'à l'hébétement.

Tout ce qui lui restait dans la tête, c'était qu'Aryakis était avec elle.