Bizarre, c’est moi ou cette union nous propose,  sous couvert d’amour libre, d’instaurer un nouvel ordre galactique totalitaire? Si mon vieil instinct ne me trompe pas, voilà l’ennemi 

Elle avait fixé la plaque pendant presque une heure. Autour d'elle son cabinet, les prêtres-mages et les techniciens du service aérospatial des Labyrinthes. Tous regardaient la stèle, essayaient de comprendre. Le traducteur était-il opérationnel ? Oui. Sur quelles bases pouvait-on en être sûr ? Celles des archives terriennes ? Bon. On avait disserté longuement, sur la signification de la phrase, des mots qui la suivaient. Des adjectifs reconnus dans un certain nombre de cultures comme des qualités – ce qui pouvait se dire de tout adjectif, y compris des plus sordides, tenez, sordide était une qualité au sein de certains peuples. Humains. À prendre au sens de l'espèce, ou de la capacité à se montrer relativement bienveillant ? A priori rien ne laisser penser qu'il s'agissait d'une stèle suprémaciste. Non. C'était même improbable. Les interprètes du commité xénodiplomatique étaient formelles : ce lieu et ses canaux d'observation comme de communication étaient pensés pour être aisément accessible à quiconque possédait une technologie Plus Rapide que la Lumière. Sans codes d'accès. Sans fonctionnements préférentiels permettant de tirer la moindre conclusion politique. Alors qu'en penser ?

Mais enfin c'est l'évidence même. Il s'agissait en fait d'un mémorial. Une tombe, dédiée, peut-être, à quelqu'un. Peu probable. Il y aurait eu une statue commémorative, quelque-chose. Peut-être à un peuple ? Un ancien régime qui aurait dominé la région ? Ou peut-être quelque-chose de plus abstrait. Une idée. Un mémorial pour une idée.

Cette notion plut instantanément à la Nyalnamar Veritas, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. De toute façon il serait impossible d'en savoir plus avant d'avoir envoyé des hommes sur place, et les Labyrinthes en étaient bien incapables. Peut-être même ne le seraient-ils jamais : ils venaient à peine d'envoyer leurs premiers vols PRL longs-courriers.

Au moins ce lieu rendait possible l'inenvisageable : communiquer à travers la galaxie, sans délais, avec des peuples séparés de centaines de millions de parsecs du district capitolin. Expérience sociologiquement fascinante, et qui pourrait s'avérer nécessaire si la technologie PRL permettait, contre toute-attente, de traverser l'espace physique jusqu'à ces mondes extrêmement éloignés.

La première oratrice dispersa ses conseillers, fit un dernier point avec ses chargés de communication, avec les hommes et femmes du parti, avec les chamans. On fit de petits sacrifices dans le temple d'hivers de la capitale et elle se rendit enfin dans la salle depuis laquelle elle et ses prédécesseurs s'adressaient habituellement au peuple des Labyrinthes.

Cette fois le destinataire de son allocution serait un peu différent. C'était proprement grisant, mais la première oratrice fit de son mieux pour garder le ton impersonnel et détaché qu'elle avait décidé d'adopter pour ce premier contact.

– Chers dignitaires étrangers.

C'est une femme, membre de l'espèce humaine. Une frange carrée lui tombe sur le front, ses oreilles sont dégagées et le reste de ses cheveux est retenu en arrière par un épais chignon dont on devine qu'il retient une certaine longueur. Elle est délicatement maquillée et ses lèvres sont d'un jais élégant. En dehors de ça, ses vêtements offrent quelques indications sur la culture de son peuple : un long manteau blanc à col haut couvre un uniforme noir aux coutures dorées, au col duquel se trouve un motif de crâne. Elle semble se tenir dans un espace abstrait couleur bois, sur lequel des arabesques rouges se forment et déforment sous l'effet d'un paisible courant liquide.

La femme plie l'annulaire et l'auriculaire de sa main droite, avec laquelle elle se touche le front, puis les lèvres, puis le côté de la nuque. Elle affiche un sourire confiant. Sa voix est claire, distincte. Ou elle est naturellement bonne oratrice, ou elle a un excellent coach.

– Je suis la Nyalnamar Veritas, première Oratrice et cheffe du gouvernement des Treize Labyrinthes. Si je ne suis pas disposée à m'exprimer quant à notre position géographique absolue au sein de la Galaxie – sur des canaux aussi généraux il faut savoir se montrer prudent et estimer que pour cinq déclarations de bonnes intentions, seize prédateurs se tiennent aux aguets, comme je suis sûre que vos conseillers respectifs vous l'auront déjà dit, – je peux confirmer que le Grand Conseil Totaliste a approuvé ma volonté de vous imiter, de faire preuve de la naïveté désarmante, ou bien courageuse, de ceux qui tendent la main en direction de l'absolu.

Et elle joint l'acte à la parole et dresse son bras devant elle. Se faisant, la manche de son manteau recule un peu, révélant de nombreux bracelets qui s'entre-choquent joyeusement à son poignet.

– Les Labyrinthes ne désirent que se développer en paix, dans l'ordre et le respect de leur culture. Selon l'Académie toute nation ayant développé un niveau civilisationnel suffisant  pour prétendre à l'expansion interstellaire a probablement déjà effectué sa purge salutaire des anti-peuples. Mais je suis plus prudente qu'eux. L'Histoire le montre : ils ne disparaissent jamais vraiment. Ils tenteront de compromettre la paix et de s'infiltrer parmi nous. Il nous faut espérer que nous seront capables de les repousser. Restons prudents. Et à tous les autres, je promets la collaboration de notre gouvernement à ceux qui nous offrirons respect et présenteront les mêmes souhaits constructifs que nous. A titre personnel, enfin, je m'attends à de grandes choses.

Elle rabaisse son bras et marque un temps. Son regard passe des différentes personnes présentes avant de se poser sur la stèle. La première oratrice penche légèrement la tête sur le côté et porte un doigt à sa bouche, pensive.

– Concernant ceci, il nous a semblé qu'il s'agissait d'un sanctuaire. Elle cligne des yeux, fait la moue. Nous devrions peut-être continuer de parler ailleurs. Qui que soient ses architectes ; et qui que soient ceux qu'ils voulaient honorer ; il me semble que nous sommes en train de leur manquer de respect. Nous pourrions... Si vous le voulez nous pourrions ouvrir une autre salle. Selon nos observations préliminaires ce n'est pas ce qui manque. Et puisque nous sommes tous ici des projections holographiques ou astrales, cela ne changerait rien, sinon le cadre des discussions.