Azalée sentait son côté malicieux prendre le dessus et elle ne le bridait pas en cet instant.

Elle égraina encore une grappe de raisin et y associa quelques noisettes décortiquées.

Elle eut soudain envie de s'étendre, les yeux au plafond.

La tête sur un accoudoir, les jambes sur l'autre, elle ne le voyait plus mais entendait son souffle régulier et sentait son odeur. Elle entendait aussi le frottement des coussins quand il tournait la tête vers elle. Elle, ne bougeait pas.

Ses pensées s'envolèrent, ses paupières s'alourdirent sans qu'elle en eut conscience. Quelques minutes plus tard, la Druidesse dormait.

Kahoaliri fut étonné par cette soudaine poussée de fatigue de son interlocutrice. Il lui adressa quelques mots qui restèrent sans réponse. Il s'allongea de nouveau près d'elle et un étrange phénomène se produisit. Des volutes de vapeur blanche se mirent à s'assembler comme de petits nuages autour des deux personnages. Les nuages formèrent bientôt un drap presque tangible qui flottait autour d'eux. Kahoaliri ferma les yeux profondément...

Azalée ne savait pas vraiment où elle se trouvait. Tout ce qui l'entourait était flou, et malgré sa vision normalement bonne, elle ne pouvait distinguer la nature des formes vaporeuses et colorées.

Quand Kahoaliri rouvrit les yeux, il vit la Druidesse qui explorait d'un pas de sénateur le décor étrange dans lequel elle se trouvait. Lui savait la nature de cet endroit.

Azalée sursauta. La voix du Ma'kxey avait quelque chose d'étrange... une sorte d'écho éthéré était faiblement perceptible.

Dans le rêve, sa main était prisonnière de celle de Kahoaliri. Elle marchait à son pas, légèrement en retrait, sans être lourde à tirer, mais pour le laisser un peu seul tout en étant là... sans mot dire.

Le champ de fleurs était magnifique. Ils foulaient les coquelicots et les marguerites, faisant s'éveiller de lourds bourdons et de prestes sauterelles. Cela amusait Azalée qui traînait les pieds pour les déranger au mieux. D’ailleurs, elle s’aperçut à cette occasion qu’elle avait les pieds nus.

Elle eut tout à coup un rire clair qui arrêta le pas nonchalant du pirate.

Secrètement, elle savait qu’il allait accepter puisque c’était son rêve à elle... régresser, jouer comme des enfants qu'ils pouvaient être encore, sans nul regard extérieur…

Quelques secondes passèrent, où le pirate resta muet... Puis son regard s'illumina, il sourit. Et se mit à courir d'un coup en éclatant de rire !

En criant :

Azalée pesta contre la tricherie du pirate. Puis elle pesta à nouveau en relevant sa robe pour se mettre à courir à son tour. Quelle idée d'avoir mis une robe !!!

Constatant qu'elle n'arrivait pas à le rattraper malgré ses bonds et sa course effrénée, elle changea de tactique. Les roulé-boulé étaient plus véloces. Elle prenait de la vitesse et son cœur tapait fort dans sa poitrine sous l'effort.

Encore quelques mètres... Elle se laissa glisser sous l'impulsion de la vitesse et atterrit aux pieds du pirate, courbé en deux, soufflant comme une forge mais les yeux rieurs.

En se redressant, elle constata qu'elle était couverte de pollen, de pétales, d'herbes arrachées par sa course. La robe avait souffert de ce traitement et une épaule s'était déchirée. Ses cheveux s'étaient détachés et lui coulaient sur les yeux. Reprenant son souffle, elle tendit la main à Kahoaliri pour qu'il l'aide à se relever.

Dans un sourire espiègle, elle lui tapa la poitrine du poing.

Elle ferma les yeux sans réfléchir, puis se posa un tas de questions. Elle sentit brièvement les doigts de Kahoaliri effleurer ses sourcils, puis la lumière qui filtrait à travers ses paupières se fit plus intense. Azalée tendit l'oreille alors qu'elle entendait les pas du Ma'kxey qui remuaient l'herbe pour la contourner. Une main se posa sur son épaule en appuyant un peu. Elle s'assit sur les genoux.

- Mais qu'est-ce que tu fais ? dit-elle en riant.

Ses cheveux ? Vu l'état dans lequel sa roulade les avaient laissés, il n'y avait pas grand chose qui pourrait en couler... Cela dit, elle sentit quelque chose les remuer... La sensation se précisa, une paire de mains parcourait sa chevelure de la racine vers les pointes, s'affairant soigneusement à repeigner le tout. Mais... Comment pouvait-on se repeigner avec les mains ? C'était absurde, mais Azalée s'en moquait. Ce traitement lui faisait le plus grand bien, plus agréable et euphorisant encore que ses servantes coiffeuses lui faisant un shampooing. Ces mains... Elle voulut pendant un instant qu'elles puissent descendre pour ne plus masser que ses cheveux et son crâne mais aussi d'autres parties de son corps de façon plus sensuelle... Mais avant qu'elle réalise la digression de sa pensée, les mains se retirèrent.

Sans attendre, sa vision revint. En un éclair, un petit nuage blanc très compact et lumineux qui était situé juste devant ses yeux se dissipa pour laisser apparaître le visage de Kahoaliri... A l'envers. Il était très proche. L'oreille interne d'Azalée fut troublée. Sa lucidité revenue, elle sentait qu'elle était maintenant allongée sur le dos. Elle releva légèrement la tête, et vit que la robe déchirée par la dégringolade de la pente avait disparu. A la place, un élégant tissu brun, rouge et or l'enveloppait d'une sensation douce sur la peau. Ses cheveux aussi étaient redevenus soyeux et agréables au toucher.

Elle remit sa tête droite, le Ma'kxey n'avait pas bougé de la vingtaine de centimètres qui les séparait, et lui souriait.

Dans un rêve, rien ne peut surprendre puisque ce sont les aspirations inconscientes qui se manifestent. Elle portait tout à coup la robe aux couleurs des Ma’kxey dont le tissu fluide et doux ressemblait à un ruisseau sur sa peau.

Le renégat l'emmena ensuite hors du sentier. Ils traversèrent un mur végétal pour pénétrer au plus profond d'une forêt. Ils continuèrent sur une centaine de mètres puis tournèrent à droite pour y marcher quelques minutes. De là, face à un chêne vénérable, le renégat longea un fossé qui les conduisit vers un petit cours d'eau. Ils le remontèrent, les arbres devinrent de plus en plus denses.

La promenade lui avait semblé longue, faite de retours en arrière, de piétinements, de bonds en avant, comme si elle redoutait d’arriver dans un autre lieu et voulait prolonger le chemin, sa main dans la sienne.

Il passa derrière elle, mit ses mains sur ses hanches pour la diriger sur quelques mètres. Puis la stoppa.

Il approcha sa bouche à son oreille et dans un murmure s'adressa à elle.

Ce qu’elle voyait à l’intérieur de ses paupières, c’était ses mains sur ses hanches… c’était sa bouche près de son oreille… c’étaient ses poils qui lui chatouillaient le cou…

Il fallait qu’elle se concentre !

Elle pensa aux parcours dans les arbres les yeux bandés auxquels elle jouait petite… entendre… percevoir ce qu’on ne voit pas… anticiper… parer… Au bout d’un court moment, elle se détendit, focalisa son esprit sur ses sensations et murmura.

Elle se laissa aller contre lui, les yeux toujours fermés, savourant ce moment surprenant.

Elle ne voulait plus se réveiller.

Kahoaliri passa alors son bras autour d'elle et l'étreignit. Autour d'eux, le temps sembla s'arrêter pendant une minute. Puis le vol des feuilles jaunes et rousses reprit, tourbillonnant dans un courant aérien voluptueux.

Il ferma les yeux. Les sentiments refoulés se mêlaient les uns aux autres. La passion, la sérénité, la peur, la chaleur, le désir.

Puis les feuilles partirent en poussière. Au loin, les montagnes claires semblaient progressivement s'évaporer. En quelques dizaines de secondes, c'est tout le décor idyllique du rêve qui avait perdu la netteté de ses contours pour redevenir les formes brumeuses de son début. Le soleil avait disparu. La druidesse lança un regard inquiet à son partenaire. Bientôt il ne resta plus que les deux personnages enlacés au milieu du brouillard, ultimes éléments subsistant de la chute en lambeaux du rêve. Azalée allait se réveiller d'un instant à l'autre. Kahoaliri prit sa tête dans ses mains et approcha son visage du sien. Il chuchota avec un sourire:

Toujours dans son rêve, Azalée eut un frisson. Elle se retourna vers Kahoaliri et il s’était transformé. Son visage n’était plus simiesque mais buriné par le soleil et les vents marins, ses yeux étaient toujours aussi sombres et ses poils s’étaient mués en cheveux emmêlés par les embruns salés. Elle le trouvait beau. Il était à l’image qu’elle se faisait d’un pirate…

Après un moment fugace de plaisir et de chaleur, elle ressentit comme un remord de l’avoir transformé ainsi en une image qui lui plaisait davantage. Si elle n’était pas capable de l’accepter tel qu’il était, alors elle ne méritait pas son amitié.

Ce malaise la fit bouger dans son sommeil et la ramena vers la réalité. Tout s'effaça. Quand elle ouvrit les yeux, l’apparence inchangée de Kahoaliri la rassura.

Elle se demandait si elle allait lui avouer qu’il était dans son rêve, et elle n’osa pas. Les rêves font partie de l’intimité d’une personne… Enfin, c’est ce qu’elle croyait !

Elle se leva et s’étira gracieusement.

Ce rêve l'avait troublée. Il fallait qu'elle bouge et touche le tronc de vrais arbres pour retrouver un semblant de sérénité.

Kahoaliri répondit tout simplement:

Il se leva à son tour.

Il s'inclina et embrassa poliment la main de la Druidesse avant de se retirer. Sur une table basse, il avait laissé un gadget de métal blanc en forme de banane qui servait de laisser-passer pour la planète Wu'on.

Comment savait-il ? Azalée sentit le rouge de la honte lui monter au front. Dans ce rêve, elle s'était montrée si proche, si demandeuse, si libre... Elle s'était abandonnée contre lui et avait goûté la chaleur de ses bras...

Elle le regarda prendre congé en espérant qu'il ne remarquerait pas son malaise. Puis, une fois Kahoaliri sorti, elle manipula pensivement le passe-invitation en forme de banane pour aller visiter son monde à lui.

Elle sortit prendre l'air comme elle avait eu l'envie, parcourant les passerelles à quelques centaines de mètres du sol de son pas sûr, l'amulette Ma'kxey toujours dans la paume de sa main. En chemin, elle caressait le tronc des arbres et elle sentit enfin la sérénité calmer son esprit et son corps.

Elle déambula ainsi pendant trois bonnes heures avant de retrouver son antre secret. Et là, elle s'aperçut que la pièce avait été nettoyée et aérée. Il n'y avait plus aucune trace de son visiteur... sauf ce qu'elle avait au creux de la main.

Sur un petit plateau en lisière de la jungle, se tenait une structure circulaire bâtie en solides rondins de bois de Wo'ki, offrant un accès à l'espace sauvage de la planète Wu'on.

La construction de bois abritait une petite taverne au rez-de-chaussée et ses chambres d'hôtes à l'étage.

Les murs extérieurs de la taverne étaient escamotables pour pouvoir profiter des courants d'air.

Le bar proposait nombre de spécialité liquides et solides à base de différentes variétés de bananes locales.

C'est le dirigeant Kahoaliri qui s'assura de la préparation de l'auberge pour son inauguration. Il avait dû faire un voyage fatigant auprès des peuples de Wu'on pour des affaires politiques et territoriales, et comptait bien se détendre un peu ici. Il attendait une visite qui comptait beaucoup à ses yeux.

Mais c'est le commandant Floup qui fit un passage. Il se posa au plus près de la taverne a bord de son chasseur arkk personnel, sauta de la cabine et alla voir cette fameuse taverne... une fois arrivé, il agita les bras comme un petit fou et disparut dans une chambre.