Un vieil homme vêtu de façon grotesque, emballé de bandes molletières sombres, est entouré par une dizaine de drones de sécurité et de gardes de la Maison Tempête. Il est immobile. Son visage fané tient d'une écorce ancienne, dont les nervures craquelées forment autant de fissures et de rigoles par lesquelles s'écoule inéluctablement la sève de son existence. Bien que sa tenue en interloque plus d'un, son maintien est d'allure aristocratique. Son regard semble braver avec flegme les milliers de curieux qui l'observent depuis la multitude. La scène est ubuesque, ni les drones ni les gardes n'osent l'approcher. C'est finalement le vieux sicaire qui, brandissant son poignet droit en l'air, fend le silence comme il fendait jadis les gosiers. Sa voix forte et noble retentit dans les colonnades de la salle des pas perdus.

Les gardes médusés, les drones circonspects, nul ne bouge alors qu'il actionne le mécanisme du bracelet qu'il porte au poignet. Apparaît alors une projection holographique d'un œil rouge aisément reconnaissable.

L'individu affiche un sourire carnassier dont les reflets métalliques affolent les diplomates attroupés. Le vieux sicaire s'avance alors vers la foule, narguant les gardes de sa superbe, se fiche devant un officier et d'un geste désinvolte lui tend les deux lames affûtées qui l'ont servi fidèlement durant tant d'années. Encore quelques pas, et le voici qui franchit les portes du cénacle. Considérant le dôme et la hauteur de sa voûte, il laisse échapper un ricanement qui se voulait admiratif. Quelques secondes supplémentaires, et le voici cheminant parmi les pupitres et les travées, suivi craintivement par une procession composite de gardes, de diplomates, de huissiers, de drones et de fonctionnaires subalternes. Il prend alors place devant l'hémicycle, et balaie d'un regard perçant l'assistance. De son bracelet, une voix chaude et amicale lui rappelle naïvement que le bonheur est obligatoire...

La Commandante Zoa lança sans attendre :

Sur le réseau Holocom, une bande-annonce tonitruante de Téléstar Galactica perturbe un instant l'attention des rares holo-spectateurs, qui, victimes d'insomnie chronique, somnolent devant la chaîne Public-Assemblée qui retransmet en direct les débats de l'assemblée galactique :

Un claquement de langue sonore vint accueillir la proposition de la commandante Zoa. Le vieux sicaire localisa du regard l'étrange créature qui s'était empressée de réagir. Il plissa les yeux d'un air vaguement étonné, c'était la première fois qu'il observait une fashan en chair et en os. Sur la capitale galactique, les espèces non-humaines étaient rares. Du moins, elles l'étaient dans les recoins que Yerog M. avait l'habitude de fréquenter. Il se redressa sur le siège qu'il avait investi d'autorité, ayant poussé gentiment son propriétaire à le quitter d'un regard glacial mais courtois.

De ses mains blanches et noueuses, le sicaire, ridiculement emballé comme une momie mal embaumée, apprécia la texture du pupitre qui se dressait devant lui. Caressant le bois précieux tout en ignorant l'assistance médusée, il s'imagina dans la peau d'un dirigeant galactique. Un sourire fit grincer ses vieilles mâchoires. Sûr qu'il aurait pu diriger une galaxie dans une autre vie. Puis, rappelé pragmatiquement à la réalité par l'éternuement d'un jeune fonctionnaire indiscret, Yerog M. se leva de toute sa superbe et toisa la représentante fashan.

Coupé dans son élan rhétorique, le vieux sicaire eut une expression étrange. Un prix ? Il ne s'était jamais posé la question du prix. Ces enchères commençaient mal. Habile pour esquiver les situations embarrassantes, Yerog M. botta en touche. Oh, sûr qu'il aurait fait un bon politicien !

C'est à vous de faire une offre, commandante. Selon vous, quelle est la valeur d'un logiciel qui a réussi à unifier un secteur, créer une coalition d'une vingtaine de nations galactiques, développer un programme de recherche scientifique remarquable, amasser des milliards de £eems... et surtout, oui, surtout... qui détient dans sa mémoire toutes les informations et données confidentielles de l'ADPS ?

Une petite voix plaintive parvint du bracelet que le vieux sicaire portait au poignet.

Une poigne vigoureuse vint étouffer les protestations. Et le sicaire arbora un sourire triomphal.

La voix avait fusé d'un siège au milieu de l'Assemblée. Une femme. Costume Mao noir avec un pin's rouge à la poitrine, qui arborait, en doré et relief, un visage strict et les lettres slaviankes ККП (KKP pour les intimes). Cheveux noirs coupés en carré, yeux nuit bridés qui avaient l'air de rire de et pour tout, teint cuivré, petit nez. Bref, Sinéenne à la frimousse goguenarde et petit sourire en coin ; car l'enjeu... oh, l'enjeu ! il semblait être si intéressant. Politiquement juteux.

Elle s'enfonça dans son fauteuil et prit les deux Gardes Rouges qui l'accompagnaient — deux armures rouges et noires d'où on ne voyait que deux loupiotes écarlates pour les yeux... debout et en face de vous, un Garde Rouge est une chose terrifiante... nous disions donc qu'elle prenait ces gaillards par l'épaule, un bras pour chaque, comme un maquereau. Et sur cette accolade elle croisa les jambes et releva le menton. Le jeu allait promettre des rebondissements.

"Secteur 3 : Rouges, Rêveurs, Maison Tempête..

Un sinueux déguisé en bazz...

De l'eau, des librians, Némésis, un homme-femme de la Travelo Way... Un voyage secret.."

"Secteur 1 : Fashan, Nehirrim, logiciel Oedipe.

Une traque sous couvert d'ambassade. ADPS compromise..

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Le vieux sicaire releva un sourcil.

Un moment étourdi par l'avalanche de £eems qui s'offrait à lui, Yerog M. fut submergé par le souvenir d'un tube jadis à la mode, écouté à l'envi dans sa prime jeunesse, lorsque ses beaufs de parents l'avaient emmené en vacances, après avoir remporté un concours holophonique, sur Kawaï IV, une planète océanique réputée pour la beauté de ses plages, de ses lagons et de ses volcans de classe VI particulièrement instables et meurtriers.

Devenu orphelin suite à ces vacances inoubliables, ayant laissé ses parents distraits à leur baignade dans un lac acide en omettant d'appeler des secours, Yerog M. n'était depuis plus jamais parti en vacances. Un métier prenant, une réputation à entretenir, et tout ça vous éloigne du repos et des doigts de pied en éventail.

Pour sûr, le vieux sicaire, en acceptant de refroidir cette mégère de fonctionnaire et en récupérant ce stupide logiciel, avait eu le nez fin. Confortablement installé dans le siège qu'il occupait au coeur même de la prestigieuse assemblée galactique, il appréciait le spectacle de ces dirigeants galactiques, qui, inquiets ou opportunistes, voulaient mettre la main sur la dernière copie opérationnelle du logiciel Oedipe. Une fois remis de ses rêveries, Yerog M. se racla la gorge, ménagea son effet, et répondit à ses enchérisseurs.

Un premier message, puis un second et enfin un troisième firent vibrer son COM-X, modèle bas de gamme, acheté chez un receleur des bas quartiers de la capitale. Le sicaire exhiba dans un sourire malsain sa dentation horrifiante, dont les dents fichées dans ses mâchoires évoquaient des tessons de bouteilles plantés en haut d'un mur.

Sur le siège alloué à la Technocratie Valpasseanne, habituellement toujours vide, se matérialisa l'hologramme d'un homme de grande taille, portant un simple pantalon et une chemise on ne peut plus banale. Sans doute un petit fonctionnaire chargé de retranscrire les éternels palabres se déroulant à l'assemblée galactique et intéressant fort rarement les véritables services diplomatiques.

Très probablement avait-il reçu l'ordre d'intervenir, faute d'ambassadeur disponible dans la minute, avant que cet étrange vendeur n'ait fini cette transaction.

Il prit en main un papier et essaya de le lire de la façon la plus formelle malgré qu'il devait à moitié crier pour se faire entendre dans la cohue.

L'Amiral Dagmar pestait, comment ce logiciel n'avait pas pu être intercepté avant qu'il ne se retrouve en vente ici?

Que ce soit pour sa valeur technologique ou stratégique, un tel artefact aurait dû lui être présenté.

Il avait proposait au Roi de faire fermer cette salle et emmener le vieux sicaire sous couvert d'atteintes à la sécurité de l'assemblée, après tout le logiciel avait prouvé ses nombreux dysfonctionnements.

Son souverain n'avait pas jugé opportun d'appliquer une telle mesure, l’événement était publique à présent. Le logiciel sera vendu, quant au sicaire son avenir semblait des plus incertains.

Une fois arrivé dans la salle, l'amiral se contenta de faire un quatre de la main après avoir été sûr de croiser le regard de l'homme. Avant de repartir aussi sec prêt à brailler sur quelques incompétents.

Un diplomate assit sur le siège dédié au représentant du peuple Ultime coupa son intercom, resserra son col, cracha son chewing-gum sur son voisin et se leva lentement tout en élevant un bras dans les airs.

Lorsqu'il eut capté toute l'attention il s'exclama alors à son tour.