"Bon bon bon."

Harvest était assise à une table, dans son nouveau bureau à Hydrilas. Elle tapotait des doigts sur la table, donc.

"Mesdames et messieurs : le secteur XVIII a été ouvert par Canaan. Voila."

Elle poussa un soupire désespéré.

"Ce qui veut dire que, selon toute prévision annoncée par Flavius, que celui-ci va venir nous éradiquer soit disant que nous sommes méchants. Sauf changement d'avis, cela dit."

Harvest hésita très longuement.

"J'imagine que c'est la fin, du coup, et que cette action n'aura été que l'ultime souffle de Canaan pour nous faire souffrir : utiliser une faction tierce pour balayer le plateau, en voila une idée. Je pense que niveau machiavélisme, l'on a jamais été si haut.

J'ai toujours peine à croire que la légitimité ici s'obtient au fait d'être celui qui larmoiera le plus fort. Cela me débecte, mais qu'importe, car on dirait que je vais aussi y avoir recours."

La commandante broncha, et commença plus ou moins à attaquer le cœur de sa déclaration officielle.

"Ainsi le secteur XVIII, non encore colonisé entièrement par ses ressortissants, non encore épanoui, se voit ouvert à une galaxie dirigée par un gouvernement à priori, de facto, hostile à nos gouvernances. La raison a déjà trop été énoncée et discutable, mais si jamais Flavius vient à vouloir s'exprimer ou alors de nouveau discuter de ce sujet, nous aimerions ici tous entendre son avis sur la question.

Je crois néanmoins en l'humain, et j'espère sincèrement, Flavius, qu'il n'est pas trop tard pour reculer. Avant d'agir, discutons comme des êtes civilisés. Cela est la moindre des choses."

Courte pause. Son attention se recentra sur les Kaiserdiens.

"Vous autres, Kaiserdiens, êtes nos ennemis de toujours. Or, en ce jour funeste, vous êtes les premiers à devenir garants de notre sécurité et de notre prospérité, aussi relatif que cela puisse être. Vous avez fait un choix que je trouve particulièrement admirable, qui a mis de côté nos mésententes. Je vais beaucoup réfléchir à la signification de cela, mais sachez que j'apprécie et admire le geste, car on dirait bien que nous autres, du secteur XVIII, allons avoir besoin de... Suzerains. De protecteurs ; ou quoi que ce soit, car bien que cela me scie le cœur de le reconnaître publiquement, nous sommes bien les premiers des faibles."

Elle se pinça l'arrête du nez. Tout se passait parfaitement bien, et Canaan la canaille avait décidé arbitrairement de tout foutre en l'air. Cela dit, c'était loin d'être la première fois.

"A présent, le peuple d'Heaven déclare officiellement la guerre au commandant Canaan. Nous mettrons tout ce qui sera possible de mettre en oeuvre pour éradiquer son gouvernement, et son idéologie mensongère et dangereuse. Le commandant sera capturé, et exécuté à la première occasion. Désolé, Archangel, mais je considère que c'est là le seul jugement adapté qu'il soit possible de réserver à cet énergumène. Et je pèse mes mots.

Mais quoiqu'il se passe, quoique les "grands" fassent : observez. Ecoutez. Analysez. Ne vous fiez pas aux avis les plus beaux et les plus éloquents : faites preuve d'empathie et d'esprit analytique, et portez un jugement sincère à tout ce qui se passera ici."

Une autre courte pause ; la dernière, en fait.

"C'était la commandante Harvest, émettant depuis Hydrilas. Fin des communications."

Cette ouverture est vraiment un déchirement pour nous. Nous étions comme toutes les personnes de ce secteur, fermement opposés à une ouverture hâtive qui serait inévitablement dangereuses pour nous, directement et indirectement.

Mais vous ne nous avez pas laissé le choix. Vous sentant invincibles et hors des lois du bons sens dans ce cocon fermé, vous vouliez faire régner la terreur et nous détruire entièrement, en profitant de cette barrière immuable pour vous moquer et vous amuser. Nous ne pouvions laisser passer cela. Alors oui, nous avons ouvert le secteur XVIII, après avoir rallié pacifiquement la planète de Contrebande. Oui, cela causera pertes et fracas, et de nombreuses complications, en plus de nous attirer sans aucun doute les foudres de certaines personnes autrefois simplement neutres sur cette question. Mais nous n'allions pas laisser nos morts impunis, et accepter notre mort ou pire, notre éternelle souffrance. Nous avons voulu être conciliant et s'allier aux autres peuples du secteur XVIII, nous voulions que le bonheur et le progrès de chacun. Mais la guerre est arrivée. Rapide, violente. Nous ne pouvions faire front, notre destin était scellé.

Alors nous avons tenté la seule chose pouvant nous sortir de l'oblitération totale. Même si cela devra malheureusement nuire à d'autres. Nous sommes un peuple naïf et trop empathique, mais nous avons quand même un minimum d'instinct de survie. Nous avons parlementé avec la planète de Contrebande. Un immense bunker, que nous n'aurions pu sûrement jamais abattre par la force. Mais malgré tout cette sécurité, et d'être du côté des "socialistes" les citoyens étaient terriblement malheureux, alors que nous, vivant nos dernières heures, étions globalement satisfaits, exaltés par notre existence, même si nous avions peur de la voir se terminer très prochainement. En voyant cela, nous avons pu les faire réfléchir. Le malheur n'est pas inévitable, et il y a toujours le choix. Ils ont fait le bon, qui est de nous rejoindre. Nous sommes assez rassurés de voir qu'un dirigeant ne doit pas uniquement être puissant pour satisfaire son peuple.

Ils ont fait le bon choix : nous rejoindre. Nous ne pourrons que les féliciter, de véritables héros : plus qu'une réflexion sur eux-mêmes et le courage de faire face, ils nous ont offert une chance de survie.

Nous avons été forcé à cette désastreuse ouverture. Par la commandante Katarina Skull. Si nous n'étions pas en danger, nous aurions attendus des dizaines de cycles avant de ne serait-ce qu'envisager une possible ouverture, croyez-nous. Après tout, nous n'y aurions rien gagné non plus. Mais ici, malgré tout le mal que cela fera, cela amènera deux points bénéfiques : une chance de survie pour nous, autrefois inexistante, et surtout une possible condamnation de la destructrice de monde.

Au commandant Arkangel Hismer, nous ne vous dirons qu'une seule chose : nous parlons peu ici, c'est un fait, et maintenant que nous sommes vulnérables à ce monde, nous allons devoir y participer plus activement. Alors que pouvez-vous savoir de nous, de nos intentions et de nos véritables actes ? Les seules personnes qui pourrait vous renseigner serait la commandante Katarina Skull et Harvest. Les mêmes qui nous déteste et veulent notre destruction pour une raison qui nous reste assez obscure. Si vous souhaitez être juste, alors cherchez à voir de vous-même ce que nous faisons, pas à travers une vitre déformante que sont nécessairement les propos rapportés de n'importe quelle personne.

Mais si votre but est simplement d'aider des alliés sans chercher de vous même, soit. Nous n'avons de toute façon aucune influence sur vous, et nous ne pouvons même pas imaginer le potentiel de destruction de votre peuple.

"Non mais je rêve."

La commandante était arrêtée. Soudain, elle se leva et donna, de son bras mécanique, un violent coup de poing sur sa table, qui se fendit en deux.

"Putain ! Dites moi que je suis en train de rêver ! Il ose de foutre de ma gueule en face de moi, en plus, le con !"

Debout, elle fit quelques pas, et s'appuya sur le dossier de sa chaise, prenant de grandes respirations. Elle était hors d'elle. Elle fixa l'optique, avec une expression faciale signifiant quelque chose comme "je vais te crever, mec."

"Va pas me sortir que cette ouverture est un déchirement pour toi aussi si tu viens de l'ouvrir ! Sois cohérent au moins, putain ! Tu sais ce que ça signifie, au moins ? Tu appréhendes seulement ce que tu viens de faire ?!

Non, évidemment ! T'en as jamais eu la moindre chose à foutre de toutes façons, de ce secteur ! T'en as jamais eu quoi que ce soit à foutre de moi, de Lune, d'Orshen ou de Katarina ! Tu nous a toujours pissé à la gueule impunément en nous faisant tes menaces d'invasion et en nous taxant des mondes à la moindre occasion !"

La commandante serra les dents.

"Alors viens pas nous sortir des discours moralisateurs sur ce que veulent les peuples. Ne viens pas nous parler de déchirement, ou alors du nouveau bonheur bien acquis des contrebandiers.

Ton destin a été scellé le jour où tu as commencé à m'envahir et à me faire tes menaces. Et tous les leems avec lesquels tu m'auras arrosé n'effaceront jamais ce que tu viens de faire à présent."

Elle fixa le sol, l'air sombre.

"Alors à présent tu vas te comporter comme un adulte, et assumer ta condamnation. Ce serait juste de la décence, à ce stade."

"Vous n'avez pas été invitez à parler, et il me semble que vous avez déjà un putain de sujets dédiés à vos jérémiades mensongères, alors veuillez y retourner au lieu de venir parasiter des discussions entre adulte. Merci d'avance."

"Prost !"

"Bon, bon, BON ! Je vais faire comme si la marque de paté n'avait rien dit, répondre à ces tas de merde mensonger qui composent sont discours me parait être une perte de temps. Nan, à la place je vais faire comme s'il n'avait rien dit et j'invite tout le monde à faire pareil. Ici, le sujet c'est la Garantie du Dominium.

J'ai négocié avec le Dominium. Il était temps. Ce fut plus rapide que prévu et, je ne sais pas s'ils ne nous en voulaient pas tant que ça où s'ils ont sentis la bonne occasion, ça s'est très bien passé. Nous avons leur garantie inconditionnelle. C'est chic de leur part, vraiment.

Bon, ce sera sans doute totalement inutile si on part du principe que le Dominium est en effet une nation sans force armée majeure et n'est pas un état si puissant que ça. L'acte est donc plus symbolique qu'autre-chose. Quel qu'en soit le sens profond, j'apprécie réellement le geste. Cette garantie s'est aussi accompagnée dans mon cas d'un droit d'évacuation des civiles, athée, en cas d'invasion par une faction religieuse. Très aimable de la part d'Arcky. A la réflexion, je pense qu'il voit simplement plus loin que le bout de son nez, de ses rancœurs personnelles et de ses vues politiques. Il considère le bienêtre des peuples et hais ceux qui par le mensonge cherchent à y nuire. Je parle ici de Canaan, dont vous avez pu entendre les tissus de mensonges dans d'autres salles.

Bref.

Quoi qu'il en soit, eh bien, ihih, maintenant je on est super copine avec le Dominium, et ça fait plaisir, hein. J'vais pouvoir revoir ma planète capitale, et les nombreuses armées qui viendront buter les millions de soldats de métiers et de volontaires pour accéder aux palais gouvernementaux locaux de chaque monde dans le but de démettre les huit cent représentants de chacune des planètes de l'Enclave comptent désormais une faction de moins... C'est bien, vraiment.

Juste.

Tant que j'y pense.

Touchez pas à Orshen. C'est un brave gars, avec ses tapis.

Pis bon. Je crois que lui n'a pas "abusé" de la liberté de pensé qu'offrait cette assemblée, alors même si cette demande est sans doute inutile, ça peut toujours être sympa de la caser.

Ce sera tout.

Adieu tout le monde !"